A mes amis, malgré la primaire

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Chère Naïma Charaï (je ne crois pas connaître monsieur Cherki),

Chers amis qui pensaient que ces sujets ne devraient pas être débattus pendant une primaire de gauche et qu’une intellectuelle de gauche laïque devrait se taire plutôt que de critiquer un candidat qui a toutes les chances de l’emporter… C’est sans doute mon intérêt mais je n’ai jamais écouté mes intérêts, seulement mes convictions.

Je comprends que vous soyez en campagne et qu’il faille faire gagner votre candidat. Personnellement, contrairement à ce que vous sous-entendez, je n’ai pas lancé ces alertes pour soutenir Manuel Valls. Je rêve moi aussi d’une gauche toujours plus sociale, plus écologiste. J’ai critiqué le projet de déchéance de nationalité comme le recours au 49.3 pour faire passer la loi travail pendant ce quinquennat. Je note simplement qu’il a su tirer les leçons de ces erreurs, et que tout en étant impeccablement vigilant face aux extrémismes, il est convaincu de la nécessité d’une laïcité « bouclier » qui n’aille pas jusqu’à interdire le voile sur la plage ou à l’université. Un consensus auquel mon livre sur le Génie de la laïcité a contribué. Je m’en félicite.

Vous m’accusez d’attaquer Benoît Hamon dans un climat tendu par les identitaires, mais où êtes-vous quand certains dressent des listes de militants arabes soutenant Manuel Valls en les traitant de « caniches » dont on s’occupera après la victoire ? Où étiez-vous quand Benoît Hamon, le premier, a jeté le soupçon contre moi en me qualifiant de « ligne douteuse »?

Je comprends l’émotion que peut susciter le déluge d’insultes et d’attaques venant de la fachosphère qui nous vise tous (j’y suis dépeinte en collabo de l’Islam, en burqa, quand ce ne sont pas des menaces ou des propos homophobes), Benoît Hamon y a très bien répondu, mais savez-vous ce que peut coûter le procès en « islamophobie » de nos jours ? Faut-il qu’il collabore à ce genre de soupçons ?

N’avez vous-rien d’autre à répondre aux critiques factuelles adressées à la ligne du sinistre Pascal Boniface (invité lors du lancement de la campagne de Benoît Hamon) ou à son porte-parole Alexis Bachelay (soutien répété au CCIF, épinglé dans « Nos très chers émirs » pour ses demandes troublantes au Qatar, polémique contre Tel Aviv sur Seine…), à part « c’est de la mauvaise foi » ? Où sont vos arguments ? Vos réponses ? Vos clarifications ? A part amalgamer les débats sur la laïcité avec des débats identitaires, vous n’avez rien d’autre à dire ? C’est bien cette confusion qui m’inquiète pour l’avenir de la gauche.

Où serait ma crédibilité quand je dénonce l’OPA factice du FN sur la laïcité ou la laïcité façon « Sens commun » de François Fillon si je me taisais quand la gauche ferme les yeux sur l’intégrisme ?

Ces alertes, croyez-le ou non, je ne les lance pas pour fracturer le camp des progressistes. Mais parce que je crois profondément, sincèrement, qu’une gauche qui fréquente le CCIF, les « Y a Bon Awards », ne voit pas le problème du camp d’été décolonial interdit aux blancs, crie avec les loups contre « Tel Aviv sur Seine », flatte ceux qui laissent croire que « laïcité = racisme » pour gagner des voix dans les quartiers populaires, joue un jeu très dangereux.

Je l’ai fait en sachant ce que cela pouvait me coûter comme retour de bâtons (je n’ai pas été déçue), pour une raison simple : je me bats depuis vingt ans pour que la gauche reste laïque et anti-intégriste. J’avais jusqu’ici la fierté de dire à l’étranger : « La gauche française est différente des autres, elle est restée laïque, surtout depuis ce qui est arrivé à Charlie ». Je ne sais pas si je pourrais toujours le dire après dimanche. Peut-être… Si Jean-Luc Mélenchon continue à faire une campagne de qualité sur ces questions.

Nous verrons. Mais je suis sûre d’une chose. Les débats que vous avez refusés et caricaturés pendant cette primaire vont s’imposer à vous, et à nous tous, pendant le reste de cette campagne présidentielle. Vous n’avez pas aimé qu’une partie de la gauche vous pose poliment quelques questions dérangeantes ? Vous verrez le résultat quand Marine Le Pen passera l’essentiel de sa campagne sur ces points faibles.

Un candidat de gauche fragile sur ces sujets, ce n’est pas la garantie de l’apaisement, c’est tout le contraire. Un cadeau fait aux identitaires, les vrais. C’est ce qui m’inquiète profondément. J’aurais voulu qu’on leur oppose, tous ensemble, une gauche impeccablement laïque. Pour les contenir et les faire reculer. Bizarrement, en cas d’attentat, j’ai peur que brandir le revenu universel face au FN soit un peu léger… Mais vous allez trouver que je ne rêve pas assez. Parfois, pourtant, il n’est pas besoin de dormir pour rêver. Avec un peu d’imagination et de courage, on peut le faire en restant éveillé.

Caroline Fourest