Menu
Libération
Reportage

Gaza: un journaliste palestinien parmi les neuf tués de vendredi

Yasser Mourtaja a été touché par balle lors de la «marche du retour», malgré son gilet «presse», alors que l'armée israélienne assure ne tirer que sur les «meneurs» des «émeutes» et les Palestiniens cherchant à passer les barbelés.
par Guillaume Gendron, Envoyé spécial à Gaza
publié le 7 avril 2018 à 14h04

La tente funéraire a été dressée devant sa maison, dans le centre de la ville de Gaza. Quelques rafales d'armes automatiques claquent, pendant que des amplis installés sur un vieux pick-up diffusent à volume tonitruant des chants à la gloire des «shahids». Autant de rituels auquel les Gazaouis sont rompus. Dans la petite foule qui attend la sortie du corps, les journalistes locaux sont venus en nombre, qu'ils travaillent pour des médias affiliés avec les factions, en indépendant ou avec la presse internationale. Preuve que Yasser Mourtaja était respecté dans le milieu. «Un vrai journaliste», insiste-t-on, employé par une boîte de production gazaouie, Ain Média. Alors que certains médias israéliens l'ont présenté comme un «partisan du Hamas», ses proches ont nié toute affiliation politique. Ismaïl Haniyeh, le leader de la branche politique du mouvement islamiste qui contrôle l'enclave depuis une décennie, était au premier rang lors de ses obsèques, suivies par des centaines de personnes. Difficile d'en tirer une conclusion pour autant : depuis le début du mouvement, le Hamas s'est employé à récupérer médiatiquement les martyrs de la «grande marche».

Le jeune photographe n'avait pas l'ambition de mourir en martyr. Son rêve (il l'avait décrit sur Facebook), c'était de pouvoir un jour prendre l'avion et shooter les plages de sa ville natale depuis le hublot. «J'ai 30 ans, j'habite à Gaza, et je n'ai jamais voyagé», écrivait-il il y a deux semaines. «C'était quelqu'un de très doux, très créatif, il avait tourné avec un drone de superbes vues aériennes de Gaza», raconte Hind Khoudary, une consœur anglophone. D'après la cinéaste palestinienne Annemarie Jacir, il avait œuvré en tant que cameraman sur le film Ouroboros de Basma Alsharif, sélectionné au festival du film de Locarno en 2017.

À lire aussi A Gaza, des pneus brûlés face à des consignes «précises et dévastatrices»

Il a succombé à une blessure par balle à l'abdomen dans la nuit. Vendredi, comme des dizaines d'autres journalistes, il couvrait à la frontière le deuxième épisode de cette «marche du retour», qui doit culminer le 15 mai, jour de la Nakba (la «Catastrophe», soit l'exode des Palestiniens après 1948). Plusieurs versions circulent sur les circonstances de sa mort : certains disent qu'il pilotait un drone pour réaliser des vues aériennes de la scène aux abords de Khan Younès (sud de Gaza) entre les jeunes palestiniens à quelques dizaines de mètres des barbelés et les soldats sur leur monticule de l'autre côté. Un reporter radio local assure lui qu'il n'avait qu'un appareil photo 5D monté sur trépied au moment de rejoindre la foule, à environ 200 mètres de la clôture sécurisé, dans la zone de tir des snipers israéliens.

«Manifestement victime d’un tir intentionnel»

Une certitude : Yasser Mourtaja était non seulement désarmé mais portait son gilet de protection bleu, bardé d'un dossard «PRESS» bien visible, comme l'attestent les photos de l'AFP prise dans les minutes suivant les tirs, où on le voit transporté sur un brancard. Lors de la procession funéraire, ses proches ont déposé un gilet «presse» sur son corps enveloppé dans un drapeau palestinien. Dans un laconique communiqué, l'armée israélienne a assuré qu'elle «ne vise pas intentionnellement les journalistes». Tsahal ajoute que «les circonstances selon lesquelles des journalistes auraient prétendument été touchés par des tirs de l'armée» ne lui sont pas «familières», mais seront «examinées». Selon le syndicat des journalistes palestiniens, cinq autres professionnels ont été blessés par des tirs israéliens, bien que parfaitement identifiables à leur veste.

Le morbide décompte des rassemblements de la veille s'élève désormais à neuf morts après des tirs de l'armée israélienne, une semaine après les 19 Gazaouis tués dans des circonstances similaires lors de la plus sanglante journée dans la bande de Gaza depuis la guerre de 2014. Dans une série de tweets, le secrétaire général de Reporters Sans Frontières (RSF), Christophe Deloire, a condamné «avec la plus grande indignation les tirs délibérés de l'armée israélienne contre des journalistes» et réclamé «instamment une enquête indépendante» sur les circonstances de la mort de Mourtaja «manifestement victime d'un tir intentionnel». 

Il s'agit du premier journaliste local tué depuis l'opération israélienne «Bordure Protectrice» de 2014. RSF avait alors dénombré treize journalistes et fixeurs palestiniens tués à Gaza par l'armée israélienne durant la guerre.

À lire aussi  Hamas et Fatah courent derrière la «grande marche»

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique