Ce ne sont que deux minuscules phalanges enfantines (voir photo), mais elles ont fait passer les chercheurs par toutes les couleurs ! Elles ont été exhumées il y a quelques années déjà dans des dépôts très anciens de la grotte de Ciemna, fouillée depuis 20 ans entre Czestochowa et Cracovie, au sud de la Pologne et célèbre pour ses ossements d'ours et ses milliers d'outils, moustériens notamment. Le hic est que ces osselets ont été découverts au milieu de centaines de restes animaux : il n'a donc pas été simple d'identifier avec certitude ces deux minuscules morceaux de 1 cm de long comme étant des portions de doigts humains.
Est-ce le premier homme de Pologne ?
Mais in fine, il s'agirait bien de phalanges vieilles de 100.000 ans à 115.000 ans et leur propriétaire était certainement un petit néandertalien âgé de 5 à 7 ans, selon de nouvelles analyses à paraître dans le Journal of paleolithic archeology. Contacté par Sciences et Avenir, le professeur Pawel Valde-Nowak, de l’Institut d’Archéologie de l’Université Jagellon, à Cracovie (Pologne), préfère attendre la publication pour donner d'autres détails, un peu embarrassé par la publicité faite autour de ses travaux. Début octobre, le site du ministère polonais de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, Science in Poland a d'ores et déjà fait une annonce préliminaire. Il est vrai que si cette interprétation est correcte, les paléontologues ont mis la main sur le premier homme de Pologne ! Ou plutôt, sur les plus anciens restes humains découverts dans le pays! Jusqu'à présent, les plus vieux fossiles de néandertaliens se limitaient à quelques dents vieilles de 42000 à 52000 ans et exhumées dans la grotte de Stajnia, dans les Carpates. Cette partie de l'Europe centrale ne semble pas avoir reçu la visite d'hommes plus anciens, tels ces Homo erectus débarqués notamment en Georgie, à Dmanisi, il y a 1,8 million d'années. (Lire Sciences et Avenir mensuel n°814).
La grotte de la Ciemna où les restes ont été découverts. ©P. Valde Nowak.
Néandertal au menu d'un oiseau?
L'affaire est donc d'importance nationale. Mais il y a plus croustillant encore ! "Des dizaines de petits trous observés à la surface des phalanges laissent penser que ce matériel est passé par le système digestif d’un oiseau géant", explique Pavel Valde-Nowak sur le site du ministère polonais.Comment peut-on tirer de telles déductions ? "Dans les pelotes de réjection des oiseaux, nous trouvons des ossements qui ont ainsi été altérés par des acides digestifs", explique le paléontologue Eric Buffetaut qui s'est fait une spécialité des oiseaux géants préhistoriques (Lire Sciences et Avenir n° 789). Les scientifiques polonais ne peuvent dire en l’état si l’oiseau a tué l’enfant. Ou s'il s’est simplement contenté de boulotter les restes du petit défunt.
Au fait, à quoi ressemblaient les plus gros volatiles carnivores ou charognards à l'époque où Néandertal scrutait le ciel en Europe ? "Du coté des rapaces nocturnes, il y avait des grands ducs et des chouettes Harfang dont l'envergure peut atteindre 1,80m", précise l'archéozoologue Véronique Laroulandie de l'université de Bordeaux, mais je serais étonnée que ces oiseaux perpètrent ce type d'attaque. Avec un aigle, chasseur diurne, ce serait serait plus plausible. Restent les vautours, les gypaètes qui peuvent de repaître de restes et étaient présents à l'époque". Ce ne serait pas la première fois que des enfants hominidés sont la cible de rapaces. En 2006 et 2007, des analyses ont montré que l'enfant de Taung, âgé de 3 à 5 ans, un Australopithecus africanus vivant il y a 2,5 millions d'années dans le sud de l'Afrique, présentait des marques de perforation sous les orbites correspondant aux griffes d'un aigle. Aujourd'hui, en Afrique, de grands rapaces s'attaquent toujours aux singes qui pèsent environ le même poids qu’un enfant humain.