Bouteflika en Suisse : quand les Algériens appellent l’hôpital où est soigné leur président

La protestation contre la candidature à un cinquième mandat du président Abdelaziz Bouteflika prend de nouvelles formes. Des Algériens ont ainsi décidé d’accompagner les manifestations par une campagne d’appels téléphoniques et d’envoi de courriels – souvent humoristiques – à l’établissement hospitalier où leur président séjourne depuis dimanche 24 février.

Abdelaziz Bouteflika à Alger, le 9 avril 2018. © DR / Capture d’écran Youtube.

Abdelaziz Bouteflika à Alger, le 9 avril 2018. © DR / Capture d’écran Youtube.

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Publié le 5 mars 2019 Lecture : 4 minutes.

Des manifestants contre la candidature du président Abdelaziz Bouteflika à un cinquième mandat, vendredi 1er mars à Alger. © Anis Belghoul/AP/SIPA
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Démission de Bouteflika : les six semaines qui ont ébranlé l’Algérie

Confronté à une mobilisation populaire d’une ampleur sans précédent, Abdelaziz Bouteflika a annoncé mardi 2 avril sa démission de la présidence de la République. Retour sur ces six semaines qui ont ébranlé l’Algérie et mis un terme à un régime en place depuis vingt ans.

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Le standard téléphonique des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), où le chef de l’État algérien a été admis dimanche 24 février, n’en finit pas de sonner. Depuis que les Algériens ont eu la confirmation dans la soirée du lundi 4 mars – dans une séquence de l’émission française Quotidien – que leur président se trouve bel et bien dans l’enceinte de l’établissement, ils ont décidé de lancer une opération sur les réseaux sociaux pour obliger la direction de ce dernier à communiquer sur l’état de santé d’Abdelaziz Bouteflika.

La campagne incite les Algériens à solliciter le standard de l’hôpital suisse et à adresser des courriels à la direction du HUG. « Il faut les harceler ! » s’exclame un internaute. Lancé comme une plaisanterie, le mouvement commence à prendre de l’ampleur. « Nous avons reçu plusieurs dizaines d’appels d’Algériens depuis ce matin », explique à Jeune Afrique une standardiste de l’établissement.

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L’hôpital ne confirme toutefois pas la présence d’Abdelaziz Bouteflika dans ses locaux. Un Algérien, qui a partagé dans la soirée du lundi 4 mars l’enregistrement de son appel téléphonique, a eu pour tout commentaire de l’agente de permanence : « Je ne vois pas le nom de Monsieur Bouteflika sur le registre des patients ». Jeune Afrique a également tenté de contacter électroniquement l’hôpital pour confirmer ou infirmer la présence du président, mais n’a reçu qu’une réponse automatique, sans plus de détails.

« En réponse aux messages reçus, les Hôpitaux universitaires de Genève rappellent que leur unique mission est de soigner toute personne le nécessitant quel que soit son statut. Ils ne communiquent jamais sur l’état de santé de leurs patients. Seul le patient, ou une personne habilitée par lui, peut donner des informations. Nous vous remercions de respecter la déontologie et les valeurs universelles partagées par celles et ceux qui soignent », a réagi l’hôpital dans un commentaire Facebook.

Entre humour noir et action collective

Enseignante en arts graphiques à Alger, Dalal n’en revient pas de l’emballement sur les réseaux sociaux : « Au départ, un ami a simplement trouvé les coordonnées de l’hôpital, et évoqué l’idée d’envoyer un courrier commun, raconte-telle. Mais très vite, l’information s’est diffusée ! Puis les internautes ont mené l’enquête et transmis le numéro du huitième étage de l’établissement, où se trouve précisément le président. »

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Lundi soir, l’émission Quotidien, diffusée sur la chaîne française TMC, a diffusé le reportage d’un de ses envoyés spéciaux qui a réussi à s’introduire dans l’enceinte de l’hôpital, vendredi 22 février, avant d’être prié de quitter les lieux. Une image furtive du frère du président, Nacer Bouteflika, a été captée par le journaliste, qui filmait à l’aide d’un téléphone portable dissimulé dans la poche de sa chemise.

Une autre initiative appelle à un départ collectif en covoiturage de Paris à Genève pour organiser un rassemblement devant le centre hospitalier

Dans leurs messages, certains Algériens font preuve d’originalité. Un citoyen suggère même d’euthanasier le président – une pratique légale en Suisse, qu’il compte appuyer « par une dérogation signée par 40 millions de personnes », plaisante-t-il. Une autre initiative appelle à un départ collectif en covoiturage de Paris à Genève, dimanche, pour organiser un rassemblement devant le centre hospitalier. « C’est formidable ce qu’il se passe, s’enthousiasme Dalal. C’est un festival de campagnes citoyennes ! »

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Une assistante « transmet le message »

Certains vont même plus loin. Des messages contenant l’adresse courriel et le numéro de téléphone du médecin chef du service neurologie des HUG sont publiés sur les réseaux, afin d’inciter les internautes à prendre attache directement avec lui.

Rosh, Algérien établi en France, a par exemple décidé de joindre directement le docteur en question. « C’est une dame qui était à l’autre bout du fil, raconte Rosh. Elle m’a répondu que le médecin était en réunion et qu’elle pouvait lui transmettre un message si je le souhaitais, relate-t-il à Jeune Afrique. J’ai répondu que je souhaitais que le docteur nous donne des nouvelles du président Bouteflika, en précisant que j’appelais de la part du peuple algérien, car nous avons une élection en cours », continue-t-il. Dubitative, l’assistante a confirmé qu’elle allait bien transmettre le message. « Merci Madame, nous sommes plus de 40 millions à attendre sa réponse », a réagi le jeune homme, avant de raccrocher.

Plainte pour « certificat de complaisance » ?

« Nous ne comptons pas nous arrêter là, reprend Dalal. Nous avons contacté nos amis suisses pour qu’ils étudient la possibilité d’un dépôt de plainte contre ce médecin pour certificat de complaisance. » La législation algérienne oblige en effet un candidat à l’élection présidentielle de produire un certificat médical attestant de sa bonne santé – le Conseil constitutionnel n’a pas encore validé les candidatures déposées (dont celle du président Bouteflika).

>>> À LIRE – Algérie : alors que les manifestations continuent, l’opposition réclame la destitution de Bouteflika

D’emblée, des Algériens jugent que si son dossier est validé, il ne pourrait s’agir que d’un faux certificat médical, dans la mesure où l’état de santé du président est précaire – mardi 5 mars, l’Ordre des médecins algériens a d’ailleurs mis en garde tous les candidats contre d’éventuelles falsifications. L’article 318 du Code pénal prévoit « une peine privative de liberté de trois ans au plus ou une peine pécuniaire » en cas de « rémunération spéciale pour dresser ce certificat ». Si une fausse attestation est établie par négligence, la loi prévoit une amende sans privation de liberté. Le document ne peut être antidaté, sans quoi il peut être qualifié de faux certificat.

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