Le groupe reste confiant
De son côté, l’avionneur américain a démenti toute tentative d’intimidation, sans pour autant répondre directement aux allégations de Sam Salehpour. «Les représailles sont totalement interdites chez Boeing», a-t-il assuré, indiquant que les signalements liés à la production avaient bondi de 500% depuis janvier, sur un an. «Nous continuons de mettre la sécurité et la qualité au-dessus de tout le reste», a martelé le groupe, se disant «confiant dans la sécurité et la durabilité des 787 et des 777».
L’audition de presque deux heures était la première d’une série au cours de laquelle des responsables de Boeing et de la FAA (l'administration fédérale de l'aviation) vont être appelés à témoigner, a précisé le sénateur démocrate Richard Blumenthal, président de la commission d’enquête. «Il y a de plus en plus de graves accusations selon lesquelles la culture de la sécurité chez Boeing est brisée et que ses pratiques sont inacceptables», a-t-il relevé, précisant avoir reçu de nombreux témoignages ces derniers jours.
Sauter sur des pièces de l’avion pour les aligner
Sam Salehpour reproche notamment à Boeing de procéder à des raccourcis de production susceptibles d’entraîner la désintégration des avions pendant les vols. «J’ai analysé les propres données de Boeing pour conclure que la société prend des raccourcis de fabrication sur le programme 787 qui pourraient réduire de manière significative la sécurité et le cycle de vie de l’avion», a-t-il déclaré. «Lorsque l’on est à 10 000 mètres d’altitude, [des détails de] la taille d’un cheveu humain peuvent être une question de vie ou de mort», a-t-il encore précisé.
Pour appuyer ses dires, l’ingénieur a déclaré que Boeing avait utilisé une force «non mesurée et illimitée» – y compris des personnes sautant sur des pièces de l’avion – pour corriger le désalignement entre certaines sections, et que l’écart était finalement bien plus grand que les 5/1000e de pouce (environ 0,01 centimètre) autorisés par les propres normes de Boeing. «Dans 98,7% des cas, les espaces qui devaient être calés ne l’ont pas été», a-t-il encore asséné. Aucun témoin de l’avionneur n’a été auditionné mais ce dernier avait déclaré plus tôt dans la semaine que cette norme était «hyper-conservatrice» et que même lorsque l’écart est plus important que ce qui était initialement prévu, les inspections des avions n’ont montré aucun signe de fatigue ou d’autres problèmes, même après des années de service.
«Dissimulation criminelle»
D’autres lanceurs d’alerte ont également témoigné lors de cette audition: Ed Pierson, un ancien responsable de Boeing notamment sur le programme du 737 MAX, Joe Jacobsen, qui a travaillé 25 ans à la FAA après onze ans chez Boeing, et Shawn Pruchnicki, spécialiste en sécurité aérienne et ancien pilote de ligne. «J’ai fait tout ce que j’ai pu pour dire au monde que le MAX n’était toujours pas sûr et pour alerter les autorités sur les dangers de la production de Boeing», a expliqué Ed Pierson. Mais «rien n’a changé après les deux crashs (celui d’un vol Lion Air en octobre 2018 et d’Ethiopian Airlines en mars 2019, ndlr)».
Cet ancien responsable accuse également Boeing de «dissimulation criminelle» suite à l’incident ayant touché un 737 MAX d’Alaska Airlines qui a vu la dislocation d’une porte-bouchon en plein vol. «Il existe des dossiers documentant en détail le travail acharné effectué sur l’avion d’Alaska Airlines et les dirigeants de Boeing le savent aussi, car ils se sont battus pour ne pas divulguer ces mêmes dossiers accablants après les deux crashs du MAX», a-t-il déclaré dans ses commentaires d’ouverture.
La FAA jugée inefficace
«A moins qu’une action soit menée et que les dirigeants soient mis devant leurs responsabilités, chaque personne montant à bord d’un Boeing est à risque», affirme-t-il, estimant que la supervision de la FAA était «inefficace». Boeing «doit s’engager à de réelles et profondes améliorations et nous engagerons leurs responsabilités à chaque étape», a indiqué de son côté le régulateur après l’audition. «Nous poursuivrons notre supervision incisive» de Boeing, a-t-il ajouté. La FAA en a également pris pour son grade lorsque la sénatrice démocrate Tammy Duckworth, présidente du groupe d’experts sur l’aviation, lui «a reproché d’être trop passive dans la supervision d’un programme qui permet essentiellement à des fabricants comme Boeing de certifier eux-mêmes leurs avions, sous le contrôle même de la FAA», a rapporté le média Politico.
«Au cours des 20 dernières années, chaque loi d’autorisation de la FAA a fait passer de plus en plus de responsabilités du côté des constructeurs, généralement dans le but d’accroître l’efficacité et la productivité», a poursuivi Javier De Luis, du département d’aéronautique et d’astronautique du Massachusetts Institute of Technology, qui a perdu sa sœur à bord d’un 737 MAX 8 qui s’est écrasé en 2019 en Ethiopie.
Pour United Airlines, de bonnes prévisions malgré tout
Ces problèmes de sécurité ont également coûté gros à certaines compagnies, notamment United Airlines, qui possède la plus grande flotte de 737 MAX 9, cloués au sol durant trois semaines suite à l’incident d’Alaska Airlines. Cette immobilisation a provoqué l’annulation de centaines de vol lui ayant coûté au final 200 millions de dollars au cours des trois premiers mois de cette année. Un événement auquel elle attribue son incapacité à dégager un bénéfice trimestriel. Le transporteur américain est cependant plus optimiste pour le reste de cette année et prévoit un bénéfice compris entre 3,75 et 4,25 dollars par action pour le deuxième trimestre, des chiffres supérieurs aux estimations.
Le Washington Post révèle également que la compagnie a interrompu le recrutement de nouveaux pilotes pour mai et juin et a encouragé certains de ses employés à prendre des congés non payés le mois prochain. Des directives mises en place pour faire face aux retards dans les calendriers de livraison, provoqués par les examens plus approfondis des processus de fabrication de Boeing imposés par la FAA.