Chroniques

L'autre succès d'Obama

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Par Paul Krugman

L’Obamacare fonctionne.

Mais qu’en est-il de l’autre grand projet de l’administration, la réforme financière ? Le projet de réforme Dodd-Frank a reçu, si c’est possible, des retours encore pires que ceux de l’Obamacare, décrit par la droite comme anti-entreprises et par la gauche comme totalement inadapté. Et tout comme l’Obamacare, ce n’est certainement pas la réforme que l’on aurait créée en l’absence de contraintes politiques.

Mais tout comme l’Obamacare, la réforme financière marche beaucoup mieux que ce qu’imaginent tous ceux qui écoutent ce que disent les média. Parlons notamment de deux aspects importants de la loi Dodd-Frank : la création d’une agence de protection des consommateurs contre des arguments de vente financiers trompeurs ou frauduleux, et des efforts pour en finir avec le "trop grand pour s’effondrer".

La décision de créer un Consumer Financial Protection Bureau ne devrait même pas être sujet à controverse, étant donné ce qui s’est passé pendant le boom immobilier. Ainsi que le demandait Edward M. Gramlich, un responsable de la Réserve Fédérale qui avait - tel un prophète - mis en garde contre les prêts aux subprimes " Pourquoi les prêts les plus risqués sont-ils vendus aux emprunteurs les moins sophistiqués ?", puis il poursuivait "la réponse se trouve dans la question –on a probablement réussi à faire croire à ces emprunteurs les moins sophistiqués qu’il fallait choisir ces produits". Une protection supplémentaire était nécessaire.

Bien entendu, ce besoin évident n’empêcha pas la Chambre de Commerce américaine, les groupes de pression de l’industrie financière et les groupes conservateurs de se regrouper afin d’empêcher la création du bureau ou du moins l’empêcher de faire son travail, dépensant ce faisant plus de 1,3 milliards de dollars. Les républicains du Congrès ont agi en bons petits soldats dans l’intérêt de l’industrie financière, essayant notamment d’empêcher le Président Barack Obama de nommer un directeur permanent. Et la question était de savoir si toute cette opposition allait entraver le nouveau bureau et le rendre inefficace.

Cependant, aujourd’hui tout indique que le bureau fait effectivement son travail et le fait bien – suffisamment bien pour que les banques et leurs alliés politiques soient toujours hors d’eux. Un détail récent : le bureau croule sous les milliards de frais de découverts en excès.

Une meilleure protection des consommateurs indique moins de mauvais prêts, et donc un risque réduit de crise financière. Mais que se passe-t-il si une crise survient quand même ?

La réponse, c’est que comme en 2008, le gouvernement va intervenir pour garder le système financier en état de fonctionnement ; personne ne veut prendre le risque de revivre la Grande Dépression.

Mais comment sauve-t-on le système bancaire sans récompenser une mauvaise attitude ? Et en temps de crise notamment, des sauvetages peuvent donner un avantage injuste aux équipes financières : elles peuvent emprunter à moindre coût en temps normal, parce que tout le monde sait qu’elles sont "trop grandes pour tomber" et elles seront renflouées si les choses se passent mal.

La réponse, c’est que le gouvernement devrait saisir les institutions qui posent problème lorsqu’il opère un renflouement, afin qu’elles puissent continuer à fonctionner sans récompenser les actionnaires ou les détenteurs d’obligation qui n’ont pas besoin d’être sauvés. Pourtant, en 2008 et 2009, l’on ne savait pas clairement si le Département du Trésor avait l’autorité légale nécessaire pour le faire. Et la loi Dodd-Frank a donc comblé ce vide en donnant aux régulateurs une Ordinary Liquidation Authority, également connu comme l’autorité de résolution, de telle façon que lors de la prochaine crise l’on puisse sauver les banques et autres institutions "systémiquement importantes" sans renflouer les banquiers.

Bien entendu, les banquiers détestent cette idée ; et les leaders républicains comme Mitch McConnell ont tenté d’aider leurs amis avec l’affirmation digne de George Orwell que l’autorité de résolution était en fait un cadeau fait à Wall Street, une forme d’état providence pour les entreprises, parce que cela allait simplifier de futurs renflouements.

Mais Wall Street ne s’est pas laissé prendre. Ainsi que l’indique Mike Konczal du Roosevelt Institute, si le fait d’être étiqueté important sur un plan systémique signifiait un état providence pour les grandes entreprises, alors les institutions seraient ravies de l’appellation ; en fait, ils l’ont combattue bec et ongle. Et une nouvelle étude du Governement Accountability Office montre que même si de grandes banques ont pu emprunter pour moins cher que de petites banques avant la réforme financière, cet avantage a presque totalement disparu. Cela pourrait aller jusqu’à refléter un calme plus général des marchés, mais l’étude montre néanmoins que la réforme a au moins fait, en partie, ce qu’elle était censée faire.

La réforme est-elle allée assez loin ? Non. Même si les banques sont obligées de conserver davantage de capitaux, elles devraient notamment être obligées d’en conserver bien davantage, puisque c’est une clef de la stabilité. Mais Wall Street et ses alliés n’hurleraient pas si fort, et ne dépenseraient pas des sommes astronomiques pour sabrer la loi si elle n’était pas un pas important dans la bonne direction. En dépit de toutes ses imperfections, la réforme financière est un vrai succès.

Paul Krugman

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