Professionnalisation de la vie politique : un danger pour la démocratie ?

Roger Morin

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Professionnalisation de la vie politique : un danger pour la démocratie ?

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Un quart des nouveaux maires sont issus des entourages d’élus où ils exerçaient à titre professionnel. La professionnalisation de la vie politique est une explication majeure de la crise de confiance démocratique. Les choses empirent alors que les solutions sont connues. A quand le sursaut ?
Montée de l’abstention et des votes extrêmes, effondrement de la confiance dans les partis et le personnel politique... les symptômes d’une crise grave de notre démocratie s’accumulent. Une des explications de ce phénomène concerne particulièrement le monde local: l’exercice des mandats est devenu l’affaire quasi-exclusive d’élus professionnalisés.Une récente étude a mis une évolution en évidence : plus des deux tiers des maires élus cette année l’étaient déjà lors du mandat précédent ; un quart des nouveaux maires sont issus des entourages d’élus où ils exerçaient à titre professionnel. Le phénomène est aussi récent que spectaculaire: le nombre de mandats susceptibles d’être exercés à temps plein s’est considérablement accru, en même temps que se multipliaient les postes de conseillers attachés aux cabinets et aux groupes politiques.L’entrée en politique dès la fin des études (le plus souvent en passant par le sas des entourages) est devenue monnaie courante. Et l’idée s’est installée que cette entrée se faisait pour la vie entière. Ainsi prend place dans les exécutifs un personnel politique de plus en plus composé de personnes qui n’ont jamais exercé d’autre activité et, pour beaucoup, n’envisagent pas de le faire.
La concentration du pouvoir dans les mains d’une élite professionnalisée alimente le malaise qui s’installe entre représentés et représentants
Le plus étonnant est que pareille transformation soit non seulement peu discutée, mais à peine étudiée, comme si elle avait la force de l’évidence. L’indemnisation des mandats politiques, qui l’a rendue possible, était bien entendu une évolution indispensable pour ouvrir la représentation à d’autres que les notables disposant des moyens de s’y consacrer sans contrepartie. Le problème est apparu ensuite, quand se sont multipliées les fonctions donnant lieu (avec ou sans cumul) à un niveau d’indemnisation équivalent à un salaire. On a vu d’abord de nombreux élus couper les ponts avec leur univers d’origine et se placer dans une posture de professionnalisation définitive. Puis, évolution la plus récente, s’est diffusé le modèle de la carrière politique comme seul projet professionnel, mené à bien moyennant des va-et-vient entre mandats et passages dans les entourages salariés.

Faut-il s’en inquiéter ?

Si l’on en croit les intéressés, il n’y aurait rien là que de très normal : la complexification croissante de la chose publique exigerait des compétences que seule l’expérience permet d’acquérir ; et la conduite des affaires s’accommoderait mal des discontinuités qu’implique la rotation dans les mandats. De plus, nous disent-ils, ce sont les électeurs qui choisissent, et ils expriment une préférence marquée pour les hommes politiques aguerris. Et de continuer à nous jouer la petite musique de vie entière de service, de dévouement, voire de sacrifice...
La plupart des partis sont composés quasi exclusivement de professionnels ou d’aspirants à ce statut
Pendant ce temps, les signes s’accumulent de ce que la concentration du pouvoir dans les mains d’une élite professionnalisée, vivant sur elle-même et se reproduisant en milieu fermé, alimente le malaise qui s’installe entre représentés et représentants. Les citoyens se reconnaissent de moins en moins dans les élus qui les représentent. Ceux-ci s’en éloignent, faute d’en passer désormais par cette phase d’engagement dans la vie civile qui, en d’autres temps, précédait et légitimait leur entrée en politique. et leur mode de vie les cantonne dans un entre-soi à bonne distance des préoccupations de tout un chacun (que les permanences et les passages sur le terrain ne peuvent suffire à résorber...).
Le sentiment d’une dérive oligarchique du système politique gagne sans cesse du terrain
Plus grave encore que l’éloignement, le doute s’installe quant aux critères qui guident les décisions de ces nouveaux élus professionnalisés: souci du bien commun? ou préservation de leur position? (voir les positionnements dans le débat sur les réformes territoriales). En fin de compte, le sentiment d’une dérive oligarchique du système politique gagne sans cesse du terrain. et le discrédit du personnel politique s’alimente de ce qu’il semble vivre en symbiose avec d’autres oligarchies avec lesquelles il cultive les connivences, soit pour des enjeux d’image (les médias), soit (les plus riches) pour des besoins d’argent que le coût croissant de la conquête du pouvoir rend de plus en plus pressants.

Les remèdes sont connus

Vue sous un autre angle, cette professionnalisation de la politique peut être considérée comme conduisant tout droit à la fin de la démocratie elle-même. bien avant que le phénomène n’atteigne l’ampleur qu’il a aujourd’hui, J. Schumpeter a émis l’idée qu’il portait en lui la transposition de la logique économique producteur/consommateur au niveau politique, faisant des hommes politiques des producteurs de politique, en rivalité pour séduire et satisfaire des citoyens devenus clients.
Cette professionnalisation de la politique conduit-elle tout droit à la fin de la démocratie elle-même ?
Chacun sait ce qu’il faudrait faire pour inverser la tendance : renouer avec l’idée fondatrice de la démocratie selon laquelle la représentation est une mission, d’autant mieux remplie qu’elle se nourrit d’une bonne immersion dans la vie collective, et qu’elle est partagée entre un large ensemble de personnes qui ne s’en chargent que pour un temps. La traduction en règles de droit est simple à concevoir : limitation des cumuls, limitation de la répétition des mandats dans le temps, généralisation des primaires, statuts facilitant la conciliation vie professionnelle et retour à la vie civile, recours au tirage au sort pour certaines missions...

Un système qui s’auto-entretient

Et pourtant, rien de tout cela n’est décidé, ni même vraiment débattu. C’est que la professionnalisation de la politique est en fait un système qui s’auto-entretient. Ceux qui pourraient le remettre en question sont ceux-là même qui en bénéficient. et les élus professionnalisés assèchent autour d’eux les viviers qui seraient nécessaires pour crédibiliser rotation et renouvellement ; il suffit pour s’en convaincre de voir ce que sont devenus la plupart des partis, composés quasi exclusivement de professionnels ou d’aspirants à ce statut.
La professionnalisation de la politique est en fait un système qui s’auto-entretient
Il y a là un vrai cercle vicieux à briser, sous peine de laisser s’accentuer la dérive oligar- chique de notre démocratie. C’est certaine- ment la limitation de la répétition des mandats qui répondrait le mieux à cette nécessité: sommes-nous capables du sursaut citoyen qui l’imposerait ?

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