Cet article vous est offert
Pour lire gratuitement cet article réservé aux abonnés, connectez-vous
Vous n'êtes pas inscrit sur Le Monde ?

En Inde, l’environnement sacrifié à la croissance

Le nouveau gouvernement, nationaliste hindou, a donné son feu vert à 140 projets industriels. Les experts des ONG sont mis sur la touche.

Par  (New Delhi, correspondance)

Publié le 20 août 2014 à 12h04, modifié le 21 août 2014 à 10h21

Temps de Lecture 4 min.

Les eaux polluées du Gange à la hauteur de la ville d’Allahabad, dans le nord de l’Inde.

Au nom de la croissance et de la relance des investissements, le premier ministre indien, Narendra Modi – au pouvoir depuis fin mai –, a décidé d'assouplir les règles de protection de l'environnement afin de faciliter la construction d'infrastructures et l'implantation de sites industriels.

La presse indienne vient ainsi de révéler que le Conseil national de la faune et de la flore a donné son feu vert, les 12 et 13 août, à près de 140 projets tels que la construction d'un barrage hydroélectrique et celle d'un oléoduc dans le nord-est du pays. Du jamais-vu en si peu de temps.

Ce déluge d'autorisations intervient quelques jours après un changement de gouvernance au sein de l'organisme. Les sièges traditionnellement réservés à cinq ONG de protection de l'environnement y sont désormais occupés par les représentants d'une agence environnementale dépendante du gouvernement de l'Etat du Gujarat, fief du premier ministre.

ON CONNAÎT DÉSORMAIS LA MÉTHODE 

Newsletter
« Chaleur humaine »
Comment faire face au défi climatique ? Chaque semaine, nos meilleurs articles sur le sujet
S’inscrire

De même, dix scientifiques aux compétences variées (de la faune maritime à la flore himalayenne) ont dû laisser leur place à deux experts spécialistes de la protection du tigre et de l'éléphant. « En l'absence d'un regard multidisciplinaire, le Conseil national de la faune et de la flore perd sa raison d'être. Les décisions ne serviront plus que des intérêts politiques », regrette Ritwick Dutta, avocat spécialisé dans le droit de l'environnement.

Comme ses autres collègues du gouvernement, le ministre de l'environnement, Prakash Javadekar, a été enjoint par M. Modi de limiter ses communications avec la presse. En juin, sur son compte Twitter, il s'est contenté de rappeler que « le développement et la protection de l'environnement de pair ». Et de justifier : « En délivrant des autorisations, nous allons nourrir l'environnement. »

On connaît désormais la méthode : des réformes discrètes plutôt que l'introduction longue et périlleuse de textes au Parlement. Pas de nouvelle loi sur la protection des forêts, donc, mais celle qui existe va être assouplie : les exploitants de mine n'auront plus besoin, dans certaines conditions, de demander l'autorisation des populations locales pour augmenter leur production. Beaucoup de ces mesures sont précisées dans des notes techniques aussi difficiles à déchiffrer que la pierre de Rosette, et sont présentées très discrètement sur le site Web du ministère.

DES RESPONSABILITÉS ACCRUES AUX ÉTATS RÉGIONAUX

Le gouvernement espère aussi accélérer le rythme de délivrance des autorisations en les regroupant dans un guichet unique, alors qu'aujourd'hui elles doivent être obtenues auprès de nombreuses autorités comme les comités de contrôle anti-pollution ou le Conseil national de la faune et de la flore. « C'est justement parce que chaque autorité est spécialisée qu'elle est compétente. Si on les supprime, l'environnement va en pâtir », redoute Himanshu Thakkar, du Réseau des rivières, des barrages et des populations en Asie du Sud.

L'autre stratégie mise en place consiste à confier des responsabilités accrues aux Etats régionaux. Ces derniers livrent plus volontiers bataille pour attirer les investissements que pour protéger l'environnement. Le gouvernement fait donc le pari qu'ils donneront facilement leur feu vert à des projets miniers ou d'infrastructure. Les Etats régionaux pourraient avoir le droit d'autoriser ou non l'ouverture de mines de sable dont la superficie est inférieure à 20 hectares, contre 5 hectares actuellement.

« Les inconditionnels de la croissance l'ont emporté. Ce que le gouvernement ne comprend pas, c'est qu'en détruisant les ressources naturelles, l'économie va en pâtir un jour », constate avec amertume Himanshu Thakkar. D'autres regrettent que la protection de l'environnement devienne le bouc émissaire du ralentissement de la croissance. « Le ministre de la défense bloque également de nombreux projets d'infrastructure au nom de la sécurité nationale », note Shibani Ghosh, avocate et chercheuse auprès du Centre for Policy Research, un think tank basé à New Delhi.

LE GOUVERNEMENT INTERPELLÉ PAR LA COUR SUPRÊME

Les ONG concentraient leurs maigres espoirs dans le sauvetage du Gange, fleuve sacré, ce qui lui vaut une attention particulière de la part du nouveau gouvernement (nationaliste hindou). Or, même cette promesse tarde à se concrétiser. Aucun plan n'a encore été dévoilé et la ministre des ressources en eau, Uma Bharti, s'est contentée de menacer d'une amende, voire d'une peine de prison, ceux surpris à cracher dans le Gange.

Un juge de la Cour suprême a violemment interpellé le gouvernement sur le sujet le 13 août : « Etes-vous en train de sauver le Gange ? C'était pourtant dans votre programme, alors pourquoi n'agissez-vous pas ? » Les juges ont donné deux semaines au gouvernement pour leur présenter un plan d'action détaillé.

Les ONG attendent enfin de connaître les attributions précises d'une nouvelle autorité indépendante, réclamée par des juges de la Cour suprême au début de l'année. Elle permettrait d'éviter les conflits d'intérêt lorsque c'est l'Etat qui demande lui-même une autorisation au ministère de l'environnement pour l'aménagement d'un corridor industriel ou d'une autoroute. La Cour suprême s'est toutefois contentée d'exiger de ce futur régulateur indépendant qu'il assure le suivi des projets approuvés et qu'il ordonne des sanctions en cas de violation des règles de protection de l'environnement. Elle attend une proposition du gouvernement d'ici la mi-septembre.

L’espace des contributions est réservé aux abonnés.
Abonnez-vous pour accéder à cet espace d’échange et contribuer à la discussion.
S’abonner

Voir les contributions

Réutiliser ce contenu

Lecture du Monde en cours sur un autre appareil.

Vous pouvez lire Le Monde sur un seul appareil à la fois

Ce message s’affichera sur l’autre appareil.

  • Parce qu’une autre personne (ou vous) est en train de lire Le Monde avec ce compte sur un autre appareil.

    Vous ne pouvez lire Le Monde que sur un seul appareil à la fois (ordinateur, téléphone ou tablette).

  • Comment ne plus voir ce message ?

    En cliquant sur «  » et en vous assurant que vous êtes la seule personne à consulter Le Monde avec ce compte.

  • Que se passera-t-il si vous continuez à lire ici ?

    Ce message s’affichera sur l’autre appareil. Ce dernier restera connecté avec ce compte.

  • Y a-t-il d’autres limites ?

    Non. Vous pouvez vous connecter avec votre compte sur autant d’appareils que vous le souhaitez, mais en les utilisant à des moments différents.

  • Vous ignorez qui est l’autre personne ?

    Nous vous conseillons de modifier votre mot de passe.

Lecture restreinte

Votre abonnement n’autorise pas la lecture de cet article

Pour plus d’informations, merci de contacter notre service commercial.