La police et les services sociaux savaient, mais le scandale a mis des années à éclater. Quelque 1 400 mineures, parfois des enfants, ont été victimes d'abus sexuels et exploitées entre 1997 et 2013 à Rotherham, une ville industrielle du nord-est de l'Angleterre frappée par le chômage. Leurs plaintes n'ont pas été prises au sérieux ou ont été étouffées par des coups et des menaces.
« Il est difficile de décrire la nature effroyable des abus dont ces petites victimes ont souffert », conclu le rapport accablant rendu public mardi 26 août par Alexis Jay, une inspectrice des affaires sociales chevronnée. Mme Jay, qui avait été chargé d'enquêter il y a un an après la révélation de faits terribles par le Times, décrit des cas d'« enfants aspergés de pétrole et menacés d'être brûlés, menacés avec des armes ou forcés d'assister à des viols violents, et menacés de subir le même sort s'ils parlaient ». L'ancienne travailleuse sociale spécialiste des quartiers défavorisés, mentionne le cas d'une fillette de 11 ans violée par un grand nombre d'hommes. Les victimes étaient « violées par de nombreux hommes, envoyées pour être exploitées dans d'autres villes du nord de l'Angleterre, enlevées, battues et intimidées », précise-t-elle.
Les auteurs étaient pour la plupart des hommes d'origine pakistanaise ; les proies, âgées de 11 à 16 ans, essentiellement des filles, « britanniques blanches ». Mais les victimes les plus récentes sont aussi d'origine pakistanaise, cachemiri et rom.
L'affaire de Rotherham, qui survient après plusieurs scandales similaires, provoque en Angleterre une émotion d'autant plus vive qu'elle met en cause les institutions – services sociaux, municipalité, police – précisément chargées de la protection des mineurs. Un porte-parole du premier ministre David Cameron a qualifié de « consternant » les « échecs des responsables locaux ». « Ceux qui ont exploité ces enfants seront traduits en justice », a-t-il promis.
Dans plus d'un cas sur trois, les victimes étaient connues des services de protection de l'enfance. Le rapport de Mme Jay dénonce aussi les échecs collectifs « flagrants » des élus locaux qui n'ont pas voulu se mettre à dos la communauté pakistanaise. Sa publication a provoqué, mardi, la démission du président du conseil d'agglomération, le travailliste Roger Stone.
TROIS RAPPORTS IGNORÉS
Entre 2002 et 2006, pas moins de trois rapports « qui ne pouvaient pas être plus clairs dans la description » de ce qui se passait à Rotherham, ont été rédigés. Le premier a été « annulé » parce que les responsables n'ont pas cru les chiffres qu'il contenait, les deux autres ont été tout simplement « ignorés ». Selon le document publié mardi, les auteurs des abus sexuels sont « en grande majorité d'origine asiatique », mais les responsables des services sociaux « semblaient considérer qu'il s'agissait de faits ponctuels ». Ils étaient « réticents à identifier les origines ethniques des coupables par crainte d'être traités de racistes ». Mais des travailleurs sociaux affirment aussi avoir reçu de leur hiérarchie l'ordre de ne rien faire. Quant à la police du Sud-Yorkshire, elle n'a pas jugé prioritaire ce dossier et « considéré beaucoup des mineures victimes avec mépris ».
En 2010, la condamnation à de lourdes peines de prison de cinq hommes décrits par la justice comme des « prédateurs sexuels », avait mis le projecteur sur Rotherham. Ils manipulaient psychologiquement des adolescentes pour les exploiter ensuite sexuellement. D'autres affaires comparables ont éclaté depuis lors dans plusieurs villes anglaises et le Times a publié dès 2012 des documents confidentiels établissant l'inaction des services sociaux et policiers dans la région de Rotherham. En 2013, le journal décrivait « des abus endémiques d'adolescentes vulnérables par des hommes plus âgés, la plupart d'origine pakistanaise ».
Le quotidien racontait le calvaire subi en 2000 par « Jessica », une adolescente en rupture familiale alors âgée de 14 ans. Les services sociaux qui la suivaient, n'avaient rien fait pour empêcher un homme marié âgé de 25 ans, connu pour violence et abus sexuels, de la fréquenter assidument, au point qu'elle était tombée enceinte à deux reprises. Faute de plainte formelle de l'adolescente, ni la police ni les services sociaux n'avaient réagi. En août 2013, Jahangir Akhtar, maire adjoint de Rotherham, parent lointain du prédateur, avait dû démissionner après les révélations du journal : treize ans plus tôt, alors que « Jessica » avait disparu, il avait convaincu l'homme qui la retenait et l'exploitait de la remettre à la police, contre une promesse d'impunité.
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