Audiovisuel, cinéma, intermittence, Hadopi : le bilan contrasté d'Aurélie Filippetti à la Culture

On connaît donc le successeur d'Aurélie Filippetti. Il s'agit de Fleur Pellerin. Elle trouve un ministère de la Culture en mauvais état, miné par un manque de moyens, de vision politique, et par des crises violentes comme celle des intermittents du spectacle.

Par Aurélien Ferenczi, Olivier Milot, Richard Senejoux, Yohav Oremiatzki

Publié le 26 août 2014 à 16h21

Mis à jour le 08 décembre 2020 à 05h18

C'est par une lettre ouverte qu'Aurélie Filippetti a fait savoir au président de la République qu'elle ne souhaitait pas retrouver son poste de la rue de Valois. Mais déjà on la savait sur la sellette. Remplacée par Fleur Pellerin, elle a dû faire face à un manque de moyens, mais sa gestion de certains dossiers sensibles lui est reprochée. En voici cinq emblématiques.

L'audiovisuel public

« On veut en finir avec Radio Sarko et la Télé Elysée. » Les propos d'Aurélie Filippetti à son entrée au ministère étaient clairs, ils ont été partiellement suivis d'effet. Le gouvernement s'est offert une tête, une seule, celle du patron de France Médias Monde (RFI, France 24, MCD), Alain de Pouzilhac, voulue par François Hollande. Il a été rapidement débarqué et remplacé par Marie-Christine Saragosse, qui a pacifié un groupe que ses prédécesseurs (Pouzilhac et Ockrent) avaient mis à feu et à sang. Le gouvernement n'a en revanche pas touché un cheveu des deux autres patrons de l'audiovisuel public – Rémy Pflimlin (France Télévisions) et Jean-Luc Hees (Radio France) (1) – quand bien même il n'en pensait pas que du bien. A plusieurs reprises, Aurélie Filippetti ne s'est d'ailleurs pas privée de commenter, parfois maladroitement, certaines de leurs décisions. Jamais en revanche, ni elle ni les autres membres du gouvernement n'ont fait montre de l'interventionnisme d'un Nicolas Sarkozy.

Conformément à la promesse du candidat Hollande, la ministre de la Culture a fait adopter une loi – la seule qui restera attachée à son nom – sur « l'indépendance de l'audiovisuel ». Elle réforme la composition du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), renforce ses pouvoirs de régulation économique et, surtout, lui redonne le pouvoir de nomination des dirigeants de France Télévisions et Radio France, que Nicolas Sarkozy lui avait confisqué. Seul hic, l'indépendance ne tient pas qu'à la tête des dirigeants mais à la possibilité qui leur est ou non offerte de mener une politique volontariste, en particulier à un moment où le numérique révolutionne les modes de consommation de l'image et du son.

De ce point de vue, le bilan d'Aurélie Filippetti est moins reluisant et se résume à des soustractions. Chaînes et radios ont été mises à contribution pour financer la réduction du déficit des dépenses publiques. France Télévisions, plus que toutes les autres (Arte, INA, Radio France, France Média Monde). La baisse de son budget se chiffre déjà en centaines de millions d'euros et ce n'est pas fini. Le gouvernement prévoirait de baisser sa dotation annuelle de 292 millions aujourd'hui à… 29 millions d'euros en 2017. L'objectif est clair et sain : faire disparaître cette subvention qui dépend chaque année du bon vouloir du gouvernement et de l'état général des finances publiques, pour qu'à terme France Télévisions ne soit plus financé que par la CAP (contribution pour l'audiovisuel public, ex-redevance) et la publicité.

Problème, l'indexation de la CAP sur l'inflation ne suffira pas dans les années à venir à compenser la disparition de cette dotation. Les ressources de France Télévisions vont donc encore baisser sauf à augmenter la CAP ou à en améliorer le rendement. Chaque année, depuis au moins une décennie, le ministère la Culture brasse des idées pour en élargir l'assiette (extension aux résidences secondaires par exemple) ou l'adapter au monde numérique (l'étendre aux possesseurs d'ordinateurs, comme en Allemagne depuis 2013), sans que jamais une décision ne soit prise. Pas plus par Aurélie Filippetti que par ses prédécesseurs.

De même, il est depuis des années urgent d'adapter le cadre réglementaire qui régit le monde de l'audiovisuel et du cinéma au numérique (quotas de diffusion, quotas de production, chronologie des médias…) et à l'arrivée des géants du secteur. Là aussi les rapports se sont empilés, là aussi des concertations tous azimuts ont été menées sans que rien de concret ne débouche à ce jour. Les ministres de la Culture passent, le business continue. Aurélie Filippetti s'en va, Netflix, le champion américain de la vidéo à la demande, débarque en France dans moins de trois semaines.

Le cinéma

L'action publique dans le cinéma ? Un casse-tête. Outre que le secteur obéit majoritairement à une logique de marché, il est structuré en lobbies puissants et a trouvé, via les divers leviers actionnés par le CNC (Centre national du cinéma), un équilibre qui, jusqu'à peu, satisfaisait à peu près tout le monde…

Pas de chance pour Aurélie Filippetti, confrontée à une quadrature du cercle : réaffirmer la nécessité d'un système régulant les excès du marché, tout en constatant que l'ère numérique a filé un gros coup de vieux au dispositif « rubik's cube » actuel. Sur le premier point, elle a fait le job pour défendre, face à Bruxelles, l'exception culturelle et donc la spécificité des règlements français (aides sélectives, investissements des régions, etc.). Mais c'est une guerre de cent ans, jamais achevée…

Sur le second, elle a jonglé avec des rustines : provoqué réunions et réflexions après le « maraval gate » (la tribune retentissante sur le salaire des acteurs), amendé timidement la chronologie des médias à la suite du rapport Lescure, réaffirmé la lutte contre le piratage – en se précipitant pour ne rien faire, déplore la profession. Elle n'a pas pu empêcher – mais personne n'y serait arrivé – la ponction des « trésors de guerre » du CNC.

Sur le dossier de la convention collective, elle a frotté ses « idéaux » de gauche à l'économie réelle : c'est elle qui a obtenu la nomination d'un médiateur dont l'avis, par la suite, a été négligé par Michel Sapin quand il l'a dessaisie du dossier. Aurélie Filippetti a été spectatrice de l'accord final, qui risque, à terme, de ne satisfaire à peu près personne.

Les arts

Rares sont les ministres de la Culture qui, comme Aurélie Filippetti, se sont aussi peu intéressés aux arts. D'où un bilan quasi nul en ce domaine. C'est à travers de laborieux processus de nominations à la tête du Musée du Louvre, puis du Musée National d'art Moderne, que la ministre sortante s'est particulièrement illustrée. Le pire ayant été atteint au Musée Picasso dont la présidente, Anne Baldassari, a été révoquée à quelques mois de la réouverture de l'établissement. Une réouverture qu'il avait d'ailleurs fallu repousser de juin à octobre 2014 (faisant ainsi l'impasse sur les recettes de l'été) tant le ministère avait trainé à faire embaucher un nombre suffisant d'agents de sécurité. A cela, s'ajoutaient les menaces d'Olivier Picasso d'annuler une donation de tableaux de son père, si Anne Baldassari était évincée. La reprise en main du dossier par Manuel Valls à Matignon et la nomination de Laurent Le Bon, le directeur du Centre Pompidou Metz, pour lui succéder, ont ramené le calme, laissant à celui-ci deux petits mois pour réaliser l'accrochage de la collection.

La crise des intermittents du spectacle

« J'ai tenu à la solidarité gouvernementale après l'accord du 22 mars sur le régime des intermittents, sur lequel j'ai pourtant dans la nuit même alerté le Premier ministre Jean-Marc Ayrault en lui disant qu'il n'était pas conforme à nos engagements. » Cette phrase tirée de la lettre adressée le 25 août par Aurélie Filippetti à François Hollande et Manuel Valls témoigne de la position intenable de la ministre sur le dossier brûlant des intermittents du spectacle. Dès le mois de mars, leur lutte a pris des proportions que ni elle ni personne au gouvernement n'avaient anticipées – et quand bien même, que pouvait faire d'autre la ministre de la Culture qu'apporter son soutien de principe aux intermittents ?

C'est aux partenaires sociaux qu'il appartenait de négocier la convention sur l'assurance-chômage et au ministre du Travail qu'il revenait de l'agréer. A partir du 19 juin, c'est même Manuel Valls en personne qui a pris la main pour éteindre le feu, entérinant l'idée que, sur la question des intermittents, le ministre de la Culture ne peut être qu'un ministre de la parole. De fait, les intermittents n'ont jamais considéré Aurélie Filippetti comme une interlocutrice crédible. Tout juste ont-ils contribué à la mettre un peu plus en porte-à-faux avec l'exécutif. Ou se sont-ils servis d'elle pour obtenir des images chocs – et parfois surréalistes – à l'occasion de comités d'accueil ad hoc, à l'entame de la saison des festivals d'été ? Celle du 10 juin, où la ministre dialogue avec un intermittent en tenue d'Adam, au Familistère de Guise (Aisne), est déjà dans les mémoires.

Hadopi et la politique culturelle numérique

Un de ses plus beaux ratés. Alors que la suppression de l'Hadopi figurait en bonne place dans le programme socialiste, histoire de séduire les jeunes, la ministre a progressivement baissé les bras. Mise en place par l'ancienne majorité en 2009, cette batterie de sanctions graduées contre les adeptes du téléchargement illégal s'est rapidement transformée en « révision », au calendrier plus que fluctuant. Aujourd'hui, on en est rendu au stade de la « réflexion ». En deux ans, seule la sanction de la coupure à Internet a été supprimée – elle ne fut jamais appliquée sous l'ancienne majorité. C'est bien maigre. La perspective de l'intégration de la Hadopi au CSA, comme le préconisait le rapport Lescure en mai 2013, est quasiment abandonnée. Un immobilisme que les créateurs dénoncent de plus en plus durement.

 

(1) Remplacé depuis par Mathieu Gallet.

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