“Le problème des réfugiés n’est pas seulement un problème d’accueil. Nous ne pouvons plus nous permettre d’ignorer, notamment à la lumière de ce qui se passe en Libye, que ceux qui débarquent ici pourraient mener des actions terroristes ou recruter des combattants, comme le suspecte la police.” Ces mots, rapportés dans Il Fatto quotidiano, sont ceux de Massimo Bitonci, maire de Padoue et membre de la Ligue du Nord (Vénétie). Ils traduisent on ne peut mieux l’amalgame entre immigration et terrorisme actuellement répandu en Italie.

Deux, voire trois actualités se télescopent. D’abord, les naufrages particulièrement meurtriers des bateaux de migrants dans le canal de Sicile : plus de 300 morts rien que le week-end dernier. D’après les derniers chiffres du Haut Commissariat de l’ONU pour les réfugiés (HCR), 1 889 migrants ont trouvé la mort dans la traversée de la Méditerranée depuis le début de l’année. Au total, plus de 124 000 personnes ont tenté de rejoindre l’Europe par la mer – dont environ 108 000 via l’Italie – en 2014. C’est deux fois plus qu’en 2013. Toujours d’après le HCR, ces migrants sont en majorité des Erythréens, des Syriens et des Somaliens qui fuient les zones de conflit.

Des recruteurs originaires des Balkans

Ce jeudi matin, une autre actualité était à la une de la presse italienne : l’enquête de police antimafia lancée contre cinq personnes soupçonnées d’avoir endoctriné et recruté des “soldats” candidats au djihad, notamment en Syrie. D’après le Corriere del Veneto, ces cinq personnes, “toutes résidentes en Vénétie”, seraient originaires des Balkans et leur activité aurait un lien avec l’affaire Ismar Mesinovic, du nom d’un Bosniaque ancien résidant de la province de Belluno (Vénétie) mort en Syrie en début d’année.

Cette information est tombée quelques jours à peine après l’alerte terroriste lancée par le ministère des Affaires étrangères. En début de semaine, une circulaire a été envoyée à tous les préfets, leur demandant de renforcer la surveillance des sièges des administrations et des lieux sensibles (aéroports, gares, centres commerciaux, etc.), rapporte encore Il Fatto quotidiano. “Au cœur de l’Europe, il y a des milliers de personnes prêtes à entrer en action. (…) Nous connaissons [les 50 djihadistes italiens engagés au Moyen-Orient] mais ce sont les autres, avec des passeports européens, qui nous préoccupent. Ils viennent du nord de l’Europe et des Balkans”, a récemment déclaré Marco Minniti, sous-secrétaire à la présidence du Conseil italien.

Le “peuple des désespérés”

Enfin, la troisième actualité largement relayée dans la presse italienne concerne la situation en Libye, ancienne colonie italienne avec laquelle Rome maintient des relations économiques privilégiées [avec 4,59 milliards d’euros d’échanges commerciaux en 2011, l’Italie est le premier partenaire commercial de la Libye]. Certains craignent que l’instabilité politique de la Libye ne pousse de plus en plus de Libyens et de migrants à fuir vers l’Italie. “Avec les politiques d’intégration et d’accueil, il est de plus en plus difficile de reconnaître, parmi le peuple des désespérés qui arrivent sur nos côtes, les individus qui rentrent de Syrie ou de la Libye (…) susceptibles de recruter [de djihadistes]”, écrit le Corriere della Sera.

L’amalgame faisant des immigrés des terroristes en puissance a donc refait son apparition à la faveur d’une actualité particulièrement macabre. Des députés de la Ligue du Nord et de Forza Italia ont même reproché ouvertement à Angelino Alfano, le ministre de l’Intérieur, son “laxisme” : l’opération Mare Nostrum (qui a permis de sauver la vie de 113 000 migrants depuis octobre 2013) et la prétendue complaisance du ministre vis-à-vis de l’installation de lieux de culte favoriserait, selon eux, l’immigration de terroristes. C’est la principale peur exprimée : et si, dans ces bateaux remplis de migrants ou parmi ces étrangers qui viennent s’installer en Italie, se cachaient d’affreux djihadistes… En témoigne cette une de La Padania : “Alfano s’est trompé”.

A la question : “Craignez-vous des infiltrations terroristes avec les ‘débarquements’ de migrants ?” Angelino Alfano répondait dans une interview accordée le 24 août au Corriere della Sera : “Créer une symétrie entre immigration et terrorisme serait techniquement une erreur. Il est facile d’imaginer que les djihadistes disposent de moyens bien plus sophistiqués que celui qui consiste à s’en remettre à des passeurs (…) pour venir en Italie.”