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Après 136 ans, le crâne de l'insurgé kanak Ataï rendu aux siens

Le Muséum national d'histoire naturelle a restitué, jeudi 28 août à Paris, les restes du chef kanak, tué en 1878, à ses descendants.

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Publié le 29 août 2014 à 12h33, modifié le 15 septembre 2014 à 16h35

Temps de Lecture 5 min.

Les cercueils contenant les crânes du chef de guerre Ataï et de son guérisseur, le « Méche », restitués à leurs descendants kanaks au Muséum nationale d'histoire naturelle, à Paris, le 28 août 2014.

Portés par quelques membres de la délégation kanak, venue spécialement de Nouvelle-Calédonie, deux petits cercueils font leur apparition dans l'amphithéâtre du Muséum national d'histoire naturelle, à Paris, où ils sont solennellement déposés entre quatre totems.

A l'intérieur reposent les crânes du chef de guerre Ataï et de son guérisseur, le « Méche », tous deux tués lors de l'insurrection de 1878 menée par les indigènes kanaks contre la colonisation française. Cent trente-six ans plus tard, l'Etat français s'est décidé à les restituer, jeudi 28 août, à leurs descendants.

Pendant ces décennies d'exil, ces ossements humains ont été l'objet de toutes les intrigues. Longtemps, une rumeur les dit perdus. Dès 1988, les accords de Matignon, qui mettent fin à quatre années d'insurrection indépendantiste sur le territoire calédonien, promettent leur restitution.

Mais les demandes des clans kanaks restent vaines. Jusqu'en 2011, quand l'écrivain Didier Daeninckx, auteur du roman Le Retour d'Ataï, a vent de leur présence dans les collections du Musée de l'homme.

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Ils y étaient tout simplement, y affirme-t-on, « conservés dans les réserves des collections d'anthropologie (...) sans jamais avoir été exposés au public ni perdus au sein de l'institution scientifique ». Pour les besoins des études anthropométriques.

Lire (en édition abonnés) Article réservé à nos abonnés Le crâne d'Ataï : une relique, pas un objet d'étude

Simple malentendu, imbroglio bureaucratique, manque de volonté politique ou scientifique… Le voici en tout cas retrouvé et dûment authentifié, ce crâne que l'anatomiste Paul Broca, fondateur de la Société d'anthropologie de Paris, décrivait en 1879 – juste avant qu'il ne soit décharné – comme la « magnifique tête du chef Ataï », au front « très haut », aux cheveux « complètement laineux » et à « la peau tout à fait noire ».

Ne manquait plus qu'à le restituer, mais à qui ? Là où les scientifiques avancent les tests ADN pour identifier les descendants légitimes, c'est la mémoire des généalogies kanaks qui l'emporte finalement.

Cette histoire orale, récitée génération après génération, retient qu'à la fin du XIXe siècle, c'est la famille Kawa qui détenait la chefferie du grand groupe clanique auquel appartenait aussi Ataï, dont il était le chef de guerre.

Aujourd'hui, Bergé Kawa, lui-même « grand chef », en est l'un des descendants. A 67 ans, il a fait le déplacement, de sa tribu de Petit-Couli à Paris, pour récupérer les ossements « des grands-pères ».

« DES CICATRICES CENTENAIRES »

 Le chef coutumier Bergé Kawa montre des cartes des anciens territoires des clans, dans la tribu de Petit-Couli, commune de Sarraméa, en Nouvelle-Calédonie.

Toute sa vie, Bergé Kawa se sera battu pour la restitution du crâne d'Ataï, comme il se sera battu pour la restitution des terres dont son clan s'estime spolié.

Il y a quelques mois, le chef coutumier nous avait accueilli à côté de la grande case de Petit-Couli, au cœur de la chaîne qui traverse la Nouvelle-Calédonie. Il avait alors déployé des cartes, documents, photographies, montrant selon lui les anciens territoires des clans à l'époque d'Ataï et, dessus, les parcelles de terres attribuées par l'administration française aux bagnards ou aux colons volontaires.

Autour de chez lui, au milieu des champs appartenant aux Caldoches (les Européens implantés en Nouvelle-Calédonie depuis plusieurs générations), il montrait les traces d'une case ou d'une rangée d'arbres, vestiges de l'ancienne implantation des clans kanaks.

Case de la chefferie à Petit-Couli, commune de Sarraméa, en Nouvelle-Calédonie.

« Je commençais à désespérer de pouvoir assister de mon vivant au retour d'Ataï », soupire-t-il aujourd'hui, devant les cercueils de ses ancêtres. Pour la cérémonie de restitution, le vieux chef coutumier a troqué sa chemisette pour un costume-cravate – mais a toujours sa tête de mort tatouée sur le dos de la main.

Devant la ministre des outre-mers, George Pau-Langevin, il déroule au micro du muséum une parole ininterrompue, émue, où se mêlent reconnaissance et rancœur. Au fil d'un discours fleuve, l'histoire des crânes d'Ataï et de son guérisseur quitte les collections des musées parisiens et se transpose dans un douloureux passé colonial :

« Le fait de recevoir ces reliques me met mal à l'aise (...) car elles rouvrent des cicatrices centenaires, qui ne pourront se refermer qu'après un long processus de pardon et de réconciliation. (...) Nous, les Kanaks, nous revenons de loin, sauvés par les sacrifices d'Ataï (...) qui avait pris conscience de la menace effroyable de l'extermination de notre peuple. »

La rébellion d'Ataï, en 1878, est restée bien vivace dans les mémoires calédoniennes, et ce bien au-delà du clan Kawa. Vingt-cinq ans après la prise de possession de l'île par la France, à la fin d'un été de sécheresse, ce chef de guerre d'un grand clan kanak se révolte contre l'accaparement des terres par les colons et leur bétail. L'insurrection, qui gagna une grande partie de la côte Ouest, fut durement matée par l'armée française, appuyée par des clans rivaux de Canala (côte Est).

Photographie d'archive du clan d'Ataï, montrée par le chef coutumier Bergé Kawa, à Sarraméa, Nouvelle-Calédonie.

C'est l'un d'eux, Ségou, qui tua Ataï, le décapita et livra sa tête mise à prix. Cette guerre se solda par la mort de quelque 200 Européens, 1 200 Kanaks, mais aussi des tribus brûlées, des hommes déportés, des clans déplacés.

S'ensuivit le cantonnement des Kanak dans des réserves, desquelles ils n'eurent plus le droit de sortir librement jusqu'en 1946 – date à laquelle ils accédèrent à la citoyenneté.

« ALLER DE L'AVANT »

Aujourd'hui encore, l'implantation des tribus kanak est directement héritée de ces réserves, et nombre de clans s'estiment toujours lésés, relégués sur des terres caillouteuses et trop réduites.

Quant à Ataï, il est devenu une icône, symbole de l'insoumission au colonialisme, qui a pris la forme, un siècle plus tard, d'un mouvement politique indépendantiste. Ce n'est pas un hasard si, au début des années 1970, l'une des premières formations des indépendantistes se baptise le « Groupe 1878 » – date de sa mort.

Le chef Ataï.

Preuve, encore, que cette histoire demeure bien vivante : les crânes, qui regagneront la Nouvelle-Calédonie le 2 septembre, seront accueillis près de la grande case du chef Bergé Kawa pour les cérémonies de deuil, en attendant de rejoindre leur emplacement définitif.

La stèle doit être posée non loin de là, auprès de l'arbre dit du « banian d'Ataï ». Or, explique l'un des membres de la délégation calédonienne, Lucien Boeareu, ce site sacré est actuellement sur les terres d'un propriétaire caldoche, et l'Etat doit encore négocier sa restitution aux clans kanak.

Seulement alors pourra s'achever l'itinérance des crânes d'Ataï et de son guérisseur. Ces tombeaux permettront aussi de tenir des cérémonies de réconciliation, avec les clans de Canala et, espère M. Boeareu, avec l'Etat français.

Tour à tour trophée de guerre, puis objet d'études scientifiques, le crâne d'Ataï est en effet devenu une relique à forte valeur politique. Lors de sa restitution, la ministre, George Pau-Langevin, a salué un geste qui marque la volonté « d'aller de l'avant » dans le processus de « décolonisation dans laquelle la France s'est engagée ». Avant de citer le préambule de l'accord de Nouméa (1998), texte fondateur de la Nouvelle-Calédonie :

« Le choc de la colonisation a constitué un traumatisme durable pour la population d'origine. (...) Il convient de faire mémoire de ces moments difficiles, de reconnaître les fautes, de restituer au peuple kanak son identité confisquée, ce qui équivaut pour lui à une reconnaissance de sa souveraineté, préalable à la fondation d'une nouvelle souveraineté, partagée dans un destin commun. »

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