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Des chercheurs réécrivent la mémoire des souris

Grâce à l'optogénétique, une technique récente, des neurobiologistes ont transformé chez des rongeurs un bon souvenir en mauvais… et un mauvais en bon.

Par  (Le Temps)

Publié le 28 août 2014 à 11h04, modifié le 29 août 2014 à 19h18

Temps de Lecture 5 min.

Les neurones de l’hippocampe de souris, visibles ici en rouge, ont été activés par un rayon laser arrivant via une fibre optique (canal noir au centre)., ce qui a fait revivre aux souris les souvenirs qui y étaient stockés.

«Un plaisir délicieux m’avait envahi, isolé, sans la notion de sa cause. [...] D’où avait pu me venir cette puissante joie ?» Lorsqu’il croque dans sa madeleine qui lui rappelle son enfance, Marcel Proust est envahi de souvenirs et d’émotions agréables intimement liés. Notre cerveau, en effet, est bien plus qu’un simple disque dur. Il agrémente chaque souvenir (lieu, date…) de sentiments et de sensations appelées « valences émotionnelles ».

Peut-on intentionnellement modifier ces valences, par exemple pour embellir des souvenirs douloureux ? C’est ce que vient de réaliser une équipe de neurobiologistes du Massachusetts Institute of Technology (MIT), à Boston.

Ils ont pour cela eu recours à une technique récente appelée optogénétique, qui permet de commander des neurones avec simplement de la lumière. En activant certains neurones chez la souris, ces chercheurs ont artificiellement pu leur faire revivre des souvenirs et même altérer les émotions associées.

Les souvenirs sont-ils physiquement constitués par des réseaux de neurones quelque part dans le cerveau ? La question est longtemps demeurée sans réponse. Dans les années 1930, le neurochirurgien canadien Wilder Penfield établit par hasard un premier lien entre la mémoire et son support biologique. Alors qu’il stimule électriquement le cerveau de patients épileptiques, et plus particulièrement une région appelée l’hippocampe, ces derniers se mettaient à revivre certains souvenirs.

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Les chercheurs ont par la suite continué à explorer les liens entre hippocampe et mémoire, mais sans jamais parvenir à des démonstrations irréfutables.

DES SOUVENIRS ENCODÉS DANS CERTAINS NEURONES

En 2012, au MIT, l’équipe de Susumu Tonegawa tire profit d’une technique nouvellement apparue, l’optogénétique, qui permet d’« allumer » ou « éteindre » les neurones à volonté. Elle consiste à greffer des petits interrupteurs biologiques photosensibles à la surface des neurones qu’on désire étudier. Une canule de fibre optique implantée dans le cerveau permet ensuite de véhiculer la lumière d’un laser précisément jusqu’à ces cellules. Elle excite ainsi les interrupteurs, ce qui stimule le neurone, comme s’il s’activait normalement.

Les chercheurs ont alors utilisé cet outil sur des souris soumises à de fréquents chocs électriques, de désagréables stimulations qui les font fuir. En modifiant des neurones de leur hippocampe par optogénétique, puis en les éclairant simplement avec un laser, ils ont pu faire ressurgir chez ces rongeurs le souvenir des chocs électriques.

Les animaux se mettaient alors à fuir, quand bien même ils étaient en parfaite sécurité. Ces résultats confirmaient les conclusions de l’expérience de Penfield : les souvenirs sont bel et bien encodés dans certains neurones.

Les nouveaux travaux de ce groupe du MIT, décrits ce jeudi 28 août dans la revue Nature, cherchent à aller encore plus loin en modifiant les valences émotionnelles des souris, autrement dit en rendant agréable un souvenir effrayant, et vice-versa.

Les valences ne sont pas gravées dans le marbre, mais peuvent changer naturellement avec le temps ou l’environnement. C’est pourquoi le souvenir exquis d’un rendez-vous galant peut tourner au vinaigre après une séparation douloureuse.

RAYONS DE LUMIÈRES ET CELLULES NERVEUSES

Les neurobiologistes pensent que les informations contextuelles d’un souvenir sont codées dans l’hippocampe, tandis que les émotions le sont dans une structure distincte, l’amygdale. Roger Redondo, auteur principal de cette étude, a donc examiné de plus près les neurones de ces deux structures.

Son équipe et lui ont d’abord exposé des souris mâles à des émotions effrayantes (créées par des chocs électriques) ou au contraire agréables (en les mettant en présence de femelles), ceci dans un petit enclos.

Afin de pouvoir ensuite faire revivre exactement ces souvenirs aux rongeurs, les chercheurs ont modifié leurs neurones de l’amygdale ou de l’hippocampe par optogénétique. Grâce à cette modification, ces cellules nerveuses pouvaient être sollicitées à souhait à l’aide de rayons de lumière bleue, comme dans l’étude de 2012.

Pour vérifier d’abord que c’était bien les souvenirs liés au conditionnement dans l’enclos qui étaient réactivés, les scientifiques ont placé les rongeurs dans une boîte sombre dont une partie est éclairée par une lumière bleutée.

Résultat : « Lorsqu’elles pénètrent dans la zone illuminée, les souris conditionnées par la peur s’enfuient parce que la lumière faisait ressurgir le souvenir désagréable des chocs électriques, dit Roger Redondo. Au contraire, les rongeurs conditionnés par le plaisir préfèrent s’y attarder parce que leur souvenir est agréable. »

« LA PEUR REMPLACÉE PAR UN PLAISIR ET VICE-VERSA »

Poursuivant l’expérimentation, le neurobiologiste a fait vivre l’émotion opposée à chaque groupe de souris. Celles initialement conditionnées par la peur ont passé une journée avec des femelles, tandis que les autres, ayant d’abord connu des stimulations agréables, ont subi à leur tour des décharges électriques.

Dans chaque cas, la lumière bleue baignait les cages. « Dans cette situation, les neurones liés à la peur et ceux liés au plaisir étaient activés simultanément, par la stimulation optogénétique en même temps que par la stimulation externe, explique Roger Redondo. Nous espérions ainsi créer des connexions entre ces deux groupes de neurones. »

Le résultat est limpide : lorsque, le lendemain, les souris aux souvenirs initialement effrayants retournent dans leur boîte et pénètrent dans la zone illuminée, elles ne s’enfuient plus. Inversement, celles conditionnées d’abord par le plaisir puis électrisées ensuite fuient les zones illuminées. « Nous avons pu remplacer un souvenir de peur par un souvenir de plaisir et vice-versa », conclut le scientifique américain.

Mais que s’est-il passé dans le cerveau ? En observant les neurones au microscope, Roger Redondo a remarqué que les connexions entre amygdale et hippocampe ont été modifiées.

Chez les souris conditionnées par la peur, les connexions initialement établies disparaissent pour laisser la place à un autre réseau formé après le contact avec les femelles.Leur présence agréable pour les mâles aurait contribué à reformer d’autres connexions qui associent alors une sensation plaisante au souvenir initial.

TRAITER UN JOUR CERTAINS TROUBLES PSYCHOLOGIQUES ?

Pour les auteurs de cette étude, la compréhension des relations entre les souvenirs et leur support biologique pourrait aider à lutter contre certaines maladies telles que les troubles de stress post-traumatique, durant desquels les patients revivent des flashbacks douloureux.

« Ces résultats fournissent peut-être une explication cellulaire aux psychothérapies qui visent à modifier les souvenirs douloureux, commente Denis Jabaudon, neurobiologiste à l’université de Genève. On reste loin d’une application en thérapie. C’est cependant une étude techniquement très élégante. Tout en démontrant la plasticité du cerveau, elle fait un lien remarquable entre le fonctionnement biologique des neurones et le comportement de ces animaux. »

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