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Etat Islamique: "L'organisation la plus riche et la plus puissante au monde"

Etat Islamique: "L'organisation la plus riche et la plus puissante au monde"

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Par Jean-Claude Verset

Pour Bichara Khader (professeur émérite à l'UCL et directeur du Centre d'études et de recherches sur le Monde Arabe contemporain), les causes profondes de la naissance de l’Etat Islamique sont à chercher dans le laxisme des Etats arabes conservateurs qui ont laissé se développer un discours binaire de type "eux et nous, fidèles et infidèles".

S’ajoutent, selon lui, les volets éducatifs et démographiques d’une population arabe particulièrement jeune où les moins de 25 ans représentent 50% de la population et éprouvent le sentiment d’être abandonnés sur la route. "150 universités ont produit des jeunes sans perspective d’emploi. Dans ces pays existent des usines à diplômes sans débouchés qui nourrissent le ressentiment des jeunes."

L’Etat Islamique : un Etat virtuel

Pour Didier Leroy, chercheur à l’Ecole royale militaire et professeur à l’ULB, l’Etat Islamique autoproclamé n’est aucunement reconnu par la communauté internationale. Les composantes de cet "EI" sont des jihadistes irakiens renforcés par des Syrien qui forment le noyau dur idéologique. Ils sont supportés par d’anciens officiers sunnites de l’armée irakienne de Hussein opposés aux chiites aux pouvoir. A cela s’ajoutent les alliances avec des tribus sunnites qui apportent des soutiens tactiques à l’Etat Islamique dans l’espoir de récupérer des privilèges perdus.

Financement de l’État Islamique: extorsions, pétrole et holdups

Bichara Khader identifie plusieurs sources au financement de l’Etat Islamique. Selon lui, les principales ne seraient pas étatiques. "L’argent provient de la ponction de la population occupée, des extorsions, des rançons d’otages, de la contrebande des produits pétroliers et du hold-up des banques dans les villes occupées ".

Didier Leroy va jusqu’à évoquer un véritable financement mafieux. La mise à sac de la ville de Mossoul aurait fait de l’Etat Islamique l’organisation la plus riche et la plus puissante au monde: "Plus riche qu’Al-qaida avec un butin de l’ordre de 500 millions de dollars selon les services de renseignements américains."

Mais les causes de la radicalisation du conflit sont nombreuses. A commencer, explique Didier Leroy, par l’intervention des USA en Irak et en Syrie: "Cette invasion américaine de 2003 a déclenché le mouvement jihadiste et, en 2006, le Conseil des moudjahidines d’Irak a créé l’EI en Irak. Avant de s'élargir, en 2013, à la Syrie pour déboucher sur la proclamation du califat. "

Bichara Khader explique encore la poussée du mouvement par la marginalisation des sunnites dans l’Irak d’après Hussein. "C’est ce qui a permis l'avancée jihadiste au nord de l’Irak. La résistance syrienne s’est aussi radicalisée".

Faut-il craindre une alliance Al-Qaïda-Etat islamique ?

Bichara Khader met en garde contre la vocation de l’Etat Islamique à s’étendre au-delà de l’Irak. A la Vers la Syrie, mais aussi au Liban et en Jordanie. "Déjà dans le sud de la Jordanie, des jeunes arborent le drapeau noir du jihad et la situation sociale au Liban est un terrain propice." Mais quoi qu'il en soi, entre Al-Qaïda et l’Etat Islamique, le divorce est consommé selon B. Khader. "Al-Qaïda est contre les exécutions sommaires et craint de s’aliéner la population. Al-Qaïda veut un jihad global et l’EI s'appuie sur des données locale, un 'ennemi proche' ".

Islamique, l’Etat islamique?

Pour le théologien Yacob Mahi, l’inquiétude que suscite l’EI n’est pas la référence à l’Islam en tant que telle mais ce qui se cache derrière les termes utilisés. "La référence de l’EI est la violence et la logique de conflit. Dans l’Islam le rapport à dieu est individuel. Il n’y a pas de hiérarchie. Ici, il y a une lecture sélective des textes et une instrumentalisation du religieux au service de l’émergence d’un nationaliste identitaire."

Ce qui fait partir les Belges combattre au Proche-Orient

L’islamologue Brigitte Maréchal constate que les 300 ou 400 jeunes Belges qui partent pour la Syrie utilisent la religion comme moteur, mais que d’autres éléments interviennent. "L’invasion de l’Irak, la question palestinienne, mais aussi la référence aux textes jouent un rôle. Les peuples musulmans éprouvent le sentiment, depuis le 15ème siècle, de vivre une régression. Cela a continué avec la colonisation et la fin du dernier califat en Turquie en 1924. Depuis cette époque pointe le désir de revenir à l’unité de l’Islam pour ré-exister sur la scène internationale. L’instrumentalisation du religieux s’ancre dans des interprétations du début du XXème siècle."

Yacob Mahi relève aussi une responsabilité des musulmans. "Il faut impliquer l’Etat, les cadres musulmans du pays, car la cause des départs n’est pas que socio-économique. Certains jeunes sont bien intégrés mais partent malgré tout. Les instances politiques de Belgique sont également en cause. "

L’absence sur le plateau de représentants de l’Exécutif des musulmans de Belgique -invités par la RTBF- est l’illustration, commente Brigitte Maréchal, d’un malaise par rapport à des idéologies portées par les frères musulmans (qui existent depuis 1928) et par des courants salafistes et qui ont débouché sur des interprétations qui survalorisent l’Islam.

Yacob Mahi attribue l’embrigadement des jeunes aux pétro-monarchies, au premier rang desquelles se trouve l’Arabie Saoudite, avec le soutien des Etats-Unis.

Quelle stratégie pour renverser l’IE?

Les USA devaient-ils intervenir militairement? Cette invasion était devenue inévitable, assure Didier Leroy. Et la solution serait, "avant d’armer certaines personnes", de saper les soutiens de l’EI: "L’Irakien devrait tendre la main à la partie sunnite du pays. Les kurdes devraient revendiquer plus d’autonomie, mais sans demander l’indépendance pour autant et la Syrie devrait accepter l’idée d’une amnistie qui permettrait d’éroder les soutiens sunnites dans le nord-est du pays."

Bichara Khader plaide pour que l’on "assèche toutes les sources de ressentiment des jeunes arabes et musulmans qui se sentent humiliés." Yacob Mahi invite à ce que l’islam de Belgique soit géré depuis notre pays et pas depuis des pays lointains, tandis que Brigitte Maréchal rappelle que "le monde musulman est notre meilleur allié. Occidentaux et musulmans doivent faire leur autocritique." Lourde tâche.

Jean-Claude Verset

Participaient au débat de Mise au Point avec Baudouin Remy:

Bichara Khader, professeur émérite à l'UCL et directeur du Centre d'études et de recherches sur le Monde Arabe contemporain

Brigitte Maréchal, islamologue

Didier Leroy, chercheur à l’Ecole royale militaire, professeur à l’ULB

Yacob Mahi, théologien et islamologue

Résumé Mise au Point : Lutte contre l'EI

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