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Jordanie: Zaatari, une ville de réfugiés syriens sortie du désert

Un patient Yéménite de l’hôpital de médecin sans frontière de Amman.

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Par Jean-Claude Verset

Après deux ans de conflit, une constatation en arrivant à Zaatari est que la situation syrienne reste désastreuse: des familles déchirées, des communautés ruinées, des écoles et des hôpitaux détruits. Près de deux millions de réfugiés.

Chaque jour, ils sont des centaines à traverser les frontières. Depuis le toit de la maison communale de Zaatari, il est aisé de constater combien l'immensité désertique est envahie de tentes et de caravanes. C'est le camp de Zaatari.

"Les Champs Elysées"

En un an le camp a énormément changé. Les tentes blanches ont fait place à des caravanes regroupées en îlots où les familles ont retrouvé un semblant d’intimité.

Le passage obligé à Zaatari.Le hangar où les réfugiés passent la première nuit avant de recevoir une tente ou une caravane
Le passage obligé à Zaatari.Le hangar où les réfugiés passent la première nuit avant de recevoir une tente ou une caravane © RTBF

Le long de l’allée principale baptisée "Les Champs Elysées", se trouvent désormais des magasins en dur, des restaurants, des coiffeurs, des boulangeries.

Les enfants qui le peuvent vont à l’école du camp mais la plupart travaillent. Zaatari est une ruche bouillonnante de vie. Ce qui ne va pas sans poser des problèmes au maire du bourg voisin: le camp a été installé sur la source d’eau qui nourrissait tout le nord et, aujourd’hui, des égouts s’infiltrent dans la nappe phréatique, provoquant malaria, méningite et toutes sortes de maladies.

L'attente pour de l'aide ou des bons alimentaires des Nations Unies.

L’espoir d’un retour s’amenuise

Des réfugiés continuent d’arriver chaque jour, fuyant les bombardements et les destructions. La plupart préfèrent s’installer en dehors du camp pour maintenir une forme de normalité, de dignité. Même si la misère guette et que l’espoir d’un retour s’amenuise.

"J’espère bien que le gouvernement syrien va tomber et que tout va redevenir comme avant. Parce que vivre comme ça, c’est insupportable", dit un réfugié.

Prosélytisme sous couvert d'aide humanitaire

Cette guerre qui dure depuis près de deux ans provoque un phénomène inquiétant: l’islamisation de la société syrienne qui était pourtant très laïque.

Des organisations islamistes profitent de la détresse des réfugiés pour faire du prosélytisme sous couvert d'aide humanitaire.

Au sein de la rébellion, les groupes les plus extrémistes prennent parfois l'ascendant sur l'armée syrienne libre, parce que ces groupes sont financés par certains pays du Golfe.

Une des échoppes ouverte dans le camps de Zaatari. Pain, eau, biscuit, on y trouve de tout.

C'est la conviction de l'un des commandants de la brigade de l'armée syrienne libre. Ce chef combattant rebelle est venu se reposer à l’arrière-front en Jordanie.

Dans quelques jours il repartira en Syrie où il dirige une brigade de 350 hommes. Mais il voit ces combattants déserter pour des milices islamistes qui ont de l’argent et des armes plus sophistiquées.

"Nous avons peur que nos hommes désertent et rejoignent les islamistes parce qu’eux, ils ont de l’argent. Moi je peux les payer 100 dollars par mois et eux vont leur en donner 300. Alors je peux essayer de dissuader mes hommes mais ils doivent vivre, ils ont une famille à nourrir. Bachar El Assad est idiot parce qu’à chaque fois qu’il tue l’un d’entre nous, sa famille entière nous rejoint. Quand on perd un homme, on en gagne 10. On n’est pas des islamistes ou des extrémistes. Jusqu’à présent, les combattants qui proviennent du camp de Zaatari vont du côté des brigades islamistes parce que nous, on n’a pas d’argent."

Cette famille Syrienne loue en dehors du camps une baraque faite de briques. Moins de 5m² pour vivre.

Cette situation est illustrée par une ONG (Kitab Wa sunna) proche de la mosquée du quartier populaire d’Irbid.

Le visage souriant, mangé par une longue barbe blanche, Yassine Souleimane est l’un des bénévoles de l’association: "On essaye d’aider les réfugiés syriens. Parfois on paie leur loyer, de la nourriture, surtout pour les grandes familles de martyrs. Dans le camp de Zaatari on finance les mosquées pour apprendre le Coran aux Syriens, à ceux qui veulent évidemment. La guerre a poussé les gens à revenir à la religion, c’est une bonne chose dans leur malheur."

Ce n'est pas une guerre entre le bien et le mal

Le camp n’est pas pour autant une base arrière d’Al Quaida assure le "maire du camp". Kilian Kleinschmidt du HCR : "On peut vraiment dire qu’il n’y a aucune activité visible des extrémistes dans le camp. Ça n’a jamais été vraiment un problème. Les Jordaniens ont maintenant un système de contrôle, de surveillance qui est quand même assez poussé. Nous savons très bien ce qu’il se passe aussi dans les mosquées donc non, on ne s’inquiète pas trop de ce problème-là en ce moment."

De plus en plus de familles choisissent de vivre hors du camps comme la famille de ces enfants.
De plus en plus de familles choisissent de vivre hors du camps comme la famille de ces enfants. © RTBF

Mais il comprend le sentiment qui règne en Europe : "On sent un malaise par rapport à ce conflit parce qu’il n’y a plus de bons et de mauvais. On voit vraiment la division des forces de l’opposition. On voit évidemment ce qui se passe de la part du gouvernement à Damas, etc. Il n’y a plus de bons et de mauvais. C’est vraiment une situation difficile à comprendre. "

Des coupons alimentaires pour survivre

La majorité des réfugiés préfère vivre en dehors des camps officiels dans l’espoir de retrouver une vie un peu plus normale. Ils bénéficient, comme les autres de l’aide du HCR sous forme notamment de coupons. Ils n’ont en revanche pas le droit de travailler. Ces familles louent des petits appartements, souvent à prix d’or, dans les villes proches de la frontière.

Des villes où la vie continue: dans quelques heures, Amina va accoucher de son deuxième bébé, un garçon. A la clinique pédiatrique ouverte par Médecins Sans Frontières, tous les soins sont gratuits. Heureusement parce que la famille d’Amina, réfugiée en Jordanie depuis un an, sombre petit à petit dans la misère.

Le loyer de 250 euros par mois est très cher pour une personne n’a pas le droit de travailler. Pour survivre il faut alors vendre des coupons de l’ONU et de l’alimentation. Parfois aussi, ils vendent les bijoux pour pouvoir payer le loyer.

L'enseignement est prioritaire: l'école du camp.

"Les Syriens prennent tout"

La présence massive des Syriens -près d’un million- pèse sur l’économie comme l’explique cet épicier jordanien : "Il y a beaucoup de problèmes à cause des réfugiés syriens. Les loyers se sont envolés. Il n’y a plus de place pour les Jordaniens dans les hôpitaux. Même le prix de la nourriture a augmenté. On ne trouve plus de travail, les Syriens prennent tout. Ce sont des réfugiés, il ne faut pas les renvoyer, mais je demande aux autres pays et à l’ONU de trouver une solution. La Jordanie a déjà accueilli les réfugiés palestiniens, puis les Irakiens alors maintenant les Syriens… c’est vraiment trop."

Blessé par un bombardement, cet homme bénéficie de chirurgie reconstructive et d'une aide psychologique dans l’hôpital MSF de Amman.

Que fait l’Europe?

L’Europe et l'Occident prennent-ils suffisamment leur part dans le conflit ? 800 000 réfugiés au Liban, 600 000 en Jordanie, 500 000 en Turquie... L'objectif du HCR pour les autres pays du monde est d'atteindre le nombre de 30 000 Syriens accueillis. Une véritable goutte d'eau dans un océan de désespoir.

Comme l’explique l'ancien député au parlement jordanien Hosni Diab : "A quoi rime la politique de l’Europe qui se lave les mains de ce problème en disant: ‘on vous donne de l’argent et il vous en faut plus’ .C’est une politique de marchandage. On veut plus pour pouvoir faire face aux problèmes que créent ces vagues de réfugiés : écoles, nourritures, hôpitaux… Les pays occidentaux donnent de l’argent à la Jordanie non pas pour régler le problème à la base mais pour se laver les mains. "

Françoise Wallemacq, Medhi Khelfat et Julien Bader

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