Il n'avait pas anticipé l'ampleur de la contestation. Depuis qu'il a annoncé, le 29 août, que « l'expérimentation » de l'encadrement des loyers serait circonscrite à Paris et mise en œuvre « à l'automne », Manuel Valls est sous la pression des parlementaires, maires, grands élus de gauche et écologistes de l'Ile-de-France. La plupart réclame l'extension à la « petite couronne » parisienne de cette mesure prévue par la loi ALUR sur le logement. En porte-à-faux vis-à-vis de sa majorité, le premier ministre doit résoudre un casse-tête politique et technique.
La publication dans la presse de la lettre de Jean-Paul Huchon, le président de la région Ile-de-France, à M.Valls, a valu à son auteur un SMS cinglant de la part du destinataire. Dans ce courrier daté du 4 septembre, M. Huchon demande au premier ministre que l'encadrement des loyers s'applique non seulement à Paris mais aux 123 communes comprises dans le périmètre de la future Métropole du Grand Paris. « J'ai écrit cette lettre sans esprit de politique polémique ni d'aggravation des différends », se défend le patron de la région. Valls sait que je suis un des rares grands élus socialistes qui soutient la politique du gouvernement. » Cependant la missive est co-signée par Emmanuelle Cosse, vice-présidente chargée du logement, mais aussi patronne d'EELV et proche de Cécile Duflot, en guerre ouverte avec le chef du gouvernement. M.Valls a interprété la lettre comme « un Scud », admet-on au conseil régional.
Avant lui, Stéphane Troussel, le président (PS) du conseil général de Seine-Saint-Denis et proche de son prédécesseur Claude Bartolone – aujourd'hui président de l'Assemblée nationale –, a pris la tête de la croisade. Avec plusieurs élus communistes, Front de gauche et écologistes de son département, il juge dans un communiqué « inacceptable » et « contre-productif pour nos territoires » que les loyers soient encadrés seulement dans la capitale. 21 parlementaires franciliens ont écrit une lettre au premier ministre, début septembre, demandant aussi que l'expérimentation couvre la « zone dense » de l'agglomération. Signataire de la missive, Daniel Goldberg, député (PS) de Seine-Saint-Denis et co-rapporteur de la loi ALUR, redoute « l'effet pervers » de la décision de M.Valls : « Encadrer les loyers uniquement à Paris risque de conduire certains propriétaires de biens en périphérie à décider des hausses abusives », prédit-il.
Toutefois, les obstacles techniques ne manquent pas à la mise en œuvre simultanée de l'encadrement des loyers à Paris et dans l'agglomération. Chargé de compiler les données nécessaires au calcul des loyers de référence pour permettre l'encadrement, l'Observatoire des loyers de l'agglomération parisienne (OLAP) estime que ses statistiques sont « fiables » pour la capitale mais incomplètes pour la petite couronne. « Nous aurons les données exhaustives des professionnels de l'immobilier en 2015 pour les communes limitrophes », prévoit Sabine Baïetto-Beysson, présidente de l'OLAP. « En mai, nous avons fait savoir au gouvernement que nous souhaitions l'application de la mesure d'abord à Paris », ajoute-t-elle.
Les élus redoutent que Matignon s'oppose, par principe, à une extension progressive de la mesure. « L'urgence est de relancer la construction. Or l'encadrement des loyers est une mesure qui fait peur au promoteurs », rappelle Luc Carvounas, maire « vallsiste » d'Alfortville (Val-de-Marne).
Pour trouver un compromis, Daniel Guiraud, le maire PS des Lilas (Seine-Saint-Denis), propose une autre solution. Président de Paris Métropole, l'édile a adressé, le 9 septembre, au nom de ce syndicat qui regroupe la majorité des collectivités de la région, une lettre à M. Valls. Il propose que chaque commune « puisse décider de participer à l'expérimentation ». L'idée suscite la perplexité des experts. « Laisser aux maires la liberté de décider d'encadrer les loyers nécessiterait de changer la loi. Elle est censée s'appliquer à l'échelle des agglomérations où les loyers ont flambé sans qu'il y ait d'exception à la règle pour les communes qui en font partie», rappelle-t-on à l'OLAP. A ce stade, M.Valls n'a pas la solution pour sortir de l'impasse politico-technique sans se déjuger.
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