Jouer à des jeux vidéo violents rend violent. Voilà ce que l'on peut entendre depuis de nombreuses années aussi bien dans certains médias que dans la bouche de politiques heureux de trouver un coupable idéal. Une vision simpliste à laquelle des scientifiques s'attaquent régulièrement.

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Une étude intitulée "La violence dans les jeux vidéo et le 'monde réel': la rhétorique contre les données" a tenté de trouver un lien entre la violence "dans le monde réel" et les jeux vidéo. Les chercheurs de deux universités américaines -Villanova et Rutgers- ont comparé les ventes de jeux vidéo violents et les statistiques de la criminalité, et plus particulièrement celles sur les homicides et les voies de fait graves (pages 10 et 11 de l'enquête disponibles à la fin d'article).

Patrick Markey, co-auteur de l'étude publiée dans la revue Psychology of Popular Media Culture, estime que les résultats obtenus "permettent d'établir que la baisse des crimes violents peut être reliée à l'utilisation des jeux vidéo les plus violents".

Explosion des ventes sans explosion de violence

La première partie de l'étude se base sur les chiffres de ventes annuelles des jeux vidéo de 1978 à 2011. Le constat est simple: en trente-trois ans, la violence a diminué et les ventes de jeux vidéo ont augmenté. Mais les chercheurs restent prudents. "Impossible d'établir un lien de causalité" entre les ventes annuelles et la baisse de la criminalité. Trop de facteurs entrent en compte (page 12), selon eux.

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L'inverse est néanmoins notable: l'explosion des ventes de jeux vidéo depuis une dizaine d'années n'a pas provoqué d'explosion de la criminalité.

Les scientifiques se sont donc penchés sur une analyse plus précise: comparer les ventes mensuelles des jeux vidéo violents et les statistiques de la criminalité, mois par mois, entre 2007 et 2011 (page 13). Cette fois, les résultats sont plus probants: les piques de ventes de jeux vidéo violents -notamment les très décriés Grand Theft Auto et Call of Duty- coïncident directement avec des baisses notables des homicides et voies de fait graves.

Voir les trois graphiques ci-dessous:

L'étude montre clairement que les homicides et les voies de fait graves baissent radicalement après la vente massive de jeux vidéo, dont GTA et Call of Duty et que l'effet dure jusqu'à trois mois après la sortie d'un jeu.

"Il faut être prudent avec les données de corrélation qui n'implique pas forcément une causalité, tempère Patrick Markey. Mais nous n'avons pas juste étudié les ventes des jeux et la criminalité. Nous avons pris en compte plusieurs tendances dans nos données. Nous avons par exemple enlevé les phénomènes cycliques, comme la hausse des crimes pendant l'été et les fortes ventes de jeux vidéo à l'approche des vacances. Malgré cela, la corrélation reste négative. Pour moi, le plus marquant, c'est que la corrélation n'est jamais positive. Elle est toujours statistiquement négative."

"Le jeu vidéo comme catharsis"?

Selon le chercheur spécialisé dans l'étude des jeux violents, de nombreuses explications sont possibles. Patrick Markey cite par exemple des études démontrant que les personnes violentes ont tendance à apprécier les jeux vidéo violents. Ce qui ne veut d'ailleurs pas dire que tous les joueurs de jeux vidéo sont violents, mais simplement qu'un criminel aura plus tendance à jouer à Call of Duty ou GTA pour se défouler qu'à Candy Crush, note Millenium.

"Ces jeux violents pourraient être des catharsis, avance-t-il. Loin de provoquer le passage à l'acte, ils permettraient au contraire de calmer les pulsions des personnes violentes, ou du moins de les occuper un certain temps."

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Les jeux vidéo violents permettent-ils de baisser la criminalité? Patrick Markey reconnaît que ses recherches ne permettent pas de l'affirmer. La société ne devient donc pas plus sûre parce que les gens sont enfermés chez eux à jouer à Destiny ou Counter-Strike. Mais une chose est (presque) sure, les ventes ne font en tout cas pas augmenter la criminalité. Pour en avoir le coeur net, il faudra que d'autres recherches soient menées dans d'autre pays que les Etats-Unis, explique le chercheur.

En attendant, cette étude vient renforcer les propos de nombreux chercheurs et spécialistes ces dernières années, comme ceux du docteur Jean-Claude Matysiak, chef de service de la consultation d'addictologie de l'hôpital de Villeneuve-Saint-Georges, qui soulignait qu''"aucune enquête n'a encore prouvé que les jeux vidéo rendent plus violents". Ou encore ceux du psychanalyste Michael Stora, pour qui le jeu vidéo est "un excellent exutoire".

L'accompagnement des parents: "primordial"

C'est également ce que pense Vanessa Lalo, psychologue spécialiste des nouvelles technologies et des addictions interrogée par L'Express. "L'élément défouloir et catharsis du jeu vidéo est très important pour les jeunes, et le jeu donne aussi un cadre dans lequel on peut se libérer et maîtriser un certain nombre d'éléments, comme l'agressivité, le lien social", estime-t-elle. Et il faut également rappeler que c'est toujours une pathologie ou fragilité psychiatrique qui est la cause d'un passage à l'acte, et non pas le jeu vidéo qui n'est en rien un élément déclencheur.

Concernant l'enquête, elle estime que l'"on reste sur quelque chose de superficiel", mais que "l'argument consistant à dire que les personnes devant leur ordinateur ne sont pas dans la rue en train d'agresser quelqu'un, y prend tout son sens". Selon elle, le facteur le plus important reste tout de même l'accompagnement des parents dans la pratique du jeu vidéo, "essentiel, primordial". "Il faut proposer un discours cohérent, analyser les jeux, ce qu'il s'y passe, les choisir en fonction des avertissements (PEGI 12, 16, 18 etc.) et avoir un accompagnement éducatif", conclue la psychologue.

Consulter ou télécharger "La violence dans les jeux vidéo et le 'monde réel': la rhétorique contre les données" (en anglais) ci-dessous:



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