Argent public : les surprises de la cagnotte des sénateurs

Notre journal s'est plongé dans les obscurs fichiers de la réserve parlementaire du Sénat. Il en ressort d'étonnantes disparités. Révélateur... et instructif.

Argent public : les surprises de la cagnotte des sénateurs

    Quinze sénateurs (sur 348) s'arrogent 30 % de la cagnotte du Sénat, qui s'élevait à 53,9 Mâ?¬ en 2013. C'est ce qui ressort de l'analyse des données de la réserve parlementaire des sénateurs, publiée ce week-end par Bercy, à une semaine des élections sénatoriales. Comme la loi relative à la transparence de la vie publique l'y oblige, le Parlement est désormais contraint de dévoiler l'utilisation de cet argent public, qui peut servir à subventionner soit des associations, soit des projets locaux (rénovation d'école, aménagement urbain, etc.). Pour les députés, le détail avait été révélé en janvier. Place maintenant aux sénateurs.

    « C'est une bonne chose, cette transparence », affirme Philippe Marini, sénateur de l'Oise et président UMP de la commission des Finances, qui arrive en deuxième position des élus les mieux dotés. Comment fonctionne le système ? Chaque groupe politique reçoit entre 130 000 â?¬ et 150 000 â?¬ par sénateur. A charge ensuite au groupe de répartir la manne entre ses membres. Et c'est là qu'apparaissent d'étonnantes disparités. Alors que 7 élus disposent chacun de plus d'1 Mâ?¬ à distribuer, ils sont, d'après nos calculs, 214 à devoir se contenter de 100 000 â?¬ ou moins.

    Deux profils de « sénateurs donateurs » apparaissent : ceux qui financent des projets sur toute la France, et les autres qui se concentrent sur leur fief. Ainsi, le sénateur PS François Marc (Finistère) arrive en tête des élus les mieux dotés. Mais il joue un rôle de coordonnateur et porte sur son nom des subventions accordées par d'autres élus socialistes. Des projets qui concernent le Lot, la Corrèze, etc. Ou encore la Fondation Jean Jaurès, un centre d'études de gauche, que François Marc a doté l'an dernier de 90 000 â?¬.

    Générosité bien ordonnée commence par soi-même

    Pas question cependant d'oublier sa propre commune, La Roche-Maurice (Finistère), qui a reçu « 50 000 â?¬ pour des travaux de sécurisation de voirie », nous a confirmé François Marc. Un vrai coup de pouce pour cette bourgade de 2 000 habitants, mais une peccadille comparée à la manne reçue par la ville de Compiègne...

    Deuxième du classement, Philippe Marini a fait obtenir à Compiègne, dont il est maire depuis 1987, pas moins d'1,2 Mâ?¬ l'an dernier. Soit plus de la moitié de sa réserve (56 %). Pour quels projets ? L'aménagement de la grande rue piétonne Sainte-Cormeille, pour 200 000 â?¬ ; la rénovation de la galerie médiévale du cloître pour 138 000 â?¬ ; l'achat d'horodateurs pour 83 584 â?¬ et même des « travaux de sécurit? à hauteur de 234 â?¬... « Il s'agit de donner un coup de main à des projets d'intérêt général », justifie le sénateur. Interrogé sur le montant de sa réserve, Marini, d'ailleurs candidat à la présidence du Sénat, répond que « le fait d'être plus investi au Parlement peut apporter des moyens supplémentaires pour agir au plan local ». Il précise qu'il décide « seul des attributions, en fonction des demandes ». Si Compiègne est généreusement dotée, son département -- l'Oise -- profite du reste de l'enveloppe. « C'est un principe pratiqué par les parlementaires depuis des décennies », assume Philippe Marini.

    De son côté, Jean Arthuis, sénateur UDI, est aussi bienveillant avec son territoire. La totalité de sa cagnotte -- 1,3 Mâ?¬-- est ainsi consacrée à « sa » Mayenne, ce qui en fait le deuxième département le mieux loti derrière... l'Oise. Joint par téléphone hier, il ne nous a pas répondu. Figurant à la treizième place du classement, l'élu écologiste Jean-Vincent Placé a distribué 565 508 â?¬ l'an dernier. Il explique qu'« environ 360 000 â?¬ ou plus relèvent de projets mutualisés au sein du groupe écolo », le reste étant sa part « individuelle » de l'enveloppe des Verts. Surtout, il souligne que le groupe EELV n'avait « pas attendu la loi pour publier le détail de sa réserve ». Une transparence qui maintenant s'impose à tous.