Kwene Biel s’est éloignée le plus
possible de Bor, la capitale de l’Etat du Jonglei dans le Soudan du Sud, mais
elle subit toujours les conséquences du conflit qui déchire son pays. La ville
de Bor a été l’une des premières lignes de front lorsque les combats ont éclaté
à la mi-décembre
[2013, à Juba, la capitale, entre les partisans du président
Salva Kiir et ceux de son ancien vice-président Riek Machar ; ils gagnent rapidement
les principales villes du pays].

Deux matins d’affilée, la jeune femme âgée
d’une trentaine d’années s’est réveillée sous le bruit des fusillades. Elle et
son mari ont alors décidé de fuir. Touché par une balle, son mari est mort à quelques
mètres de leur maison. De son côté, elle a continué à courir avec ses six enfants derrière
elle.

Il leur a fallu dix jours pour
atteindre Pathai, petit village perdu dans le centre du Jonglei. Situé en zone
de guerre, ce village est néanmoins à l’écart des routes et des rivières
susceptibles de ramener des combattants. Kwene a donc décidé de rester. “Si je
n’étais pas partie, je serais morte”, explique-t-elle. Kwene est l’une des
quelque 14 000 personnes qui ont trouvé refuge à Pathai et dans le comté
d’Uror depuis le début des combats, rapportent des responsables locaux. S’ils
s’y trouvent en relative sécurité, les nouveaux arrivés souffrent néanmoins de
la faim.Les travailleurs humanitaires sont
rares

Les marchands refusent de se rendre
jusqu’à Pathai et pendant des mois le marché a été privé de sel, d’huile et de
sucre. Les réserves de sorgho de l’année dernière sont presque épuisées et la
récolte de cette année a souffert du manque de pluie. Kwene n’a rien emporté
avec elle et ne possède pas de terres à cultiver. Elle nourrit ses enfants avec
des feuilles d’arbre bouillies.

“La faim est partout dans ce comté,
reconnaît Peter Gai Dual, représentant local de l’agence nationale de secours
et de réhabilitation. La mort est partout.” Les travailleurs humanitaires sont
rares, il leur est difficile de mener leurs activités de manière durable.

Avec la guerre, les zones de disette
se sont multipliées dans tout le pays, notamment dans le nord-est où se
concentrent les combats. Cela fait des mois que des responsables mettent en
garde contre le risque de famine. Pour Jean-Louis de Brouwer, haut responsable
de la Commission européenne, si le pire semble pour l’instant avoir été évité,
quelque 3,5 millions de personnes souffrent encore de malnutrition. Des
rations alimentaires

“Qu’il y ait une famine ou non, quand
on voit le nombre de gens confrontés à des situations de crise alimentaire, on
sait que toutes les conditions d’une catastrophe humanitaire sont réunies”,
explique-t-il. Les responsables reconnaissent ne pas en savoir plus sur le
degré d’urgence de ces populations réfugiées dans des villages difficiles
d’accès, comme Pathai.

Même dans les meilleures conditions,
l’acheminement de l’aide humanitaire dans le Soudan du Sud est un véritable
défi logistique, encore plus pendant la saison des pluies quand d’avril à
novembre les rares routes du pays se transforment en chemins de boue. L’aide
doit venir par voie aérienne, ce qui en démultiplie le coût. Sans compter qu’il
faut avant cela obtenir l’autorisation [de survol]
de tous les belligérants.

Durant les six derniers mois, le
Programme alimentaire mondial (PAM) et l’Unicef ont utilisé un mécanisme de
réponse rapide (RRM) pour mener à bien leurs missions. Lorsque les combattants
le permettent, les agences des Nations unies envoient par hélicoptère des
groupes d’experts dans des zones reculées afin d’évaluer les besoins
alimentaires et sanitaires. Les chefs locaux appellent les communautés
à venir et à s’enregistrer. Pendant que les gens s’inscrivent pour recevoir des
rations alimentaires, des médecins examinent les enfants pour déterminer s’ils
souffrent de malnutrition. Des
décennies de guerre

Une fois les inscriptions terminées
et après que les médecins ont donné leur traitement aux enfants mal nourris et
injecté quelques vaccins, l’équipe commence une grande distribution de sorgho,
de lentilles, de sel et d’huile. Les enfants de moins de cinq ans reçoivent
également une bouillie concentrée en fortifiants.

Plus de 23 opérations de ce type ont
eu lieu jusqu’à présent pour le bénéfice de plus de 460 000 personnes, indiquent
les représentants de l’Unicef. Pathai fait partie de leurs dernières missions.
Kibrom Tesfaselassie, chef d’équipe de l’Unicef, est arrivé en septembre. Les
travailleurs humanitaires ne savent jamais à quoi s’attendre au début de leur
mission, explique-t-il. De Pathai, ils savaient seulement que “des chefs locaux
avaient signalé des besoins”.

Tesfaselassie a d’abord eu le
sentiment que “le principal problème [était]
qu’il n’y avait pas de système sanitaire”. Il a toutefois constaté avec
soulagement qu’il n’y avait aucun signe de malnutrition massive.

Durant les premières heures de leur
présence, les travailleurs humanitaires n’ont recensé que deux cas de malnutrition
grave et deux autres plus légers. Tesfaselassie souligne toutefois que sans une
intervention rapide, la situation pourrait sérieusement s’aggraver. Les livraisons
de nourriture devraient avoir lieu dans la semaine et se répéter chaque
mois. Des combats dans la zone pourraient toutefois en perturber l’acheminement.

Comme Kwene, Nyagik Duok Riang,
vieille femme aveugle âgée de 60 ans, est arrivée avec les premiers des 2 700 réfugiés
venus s’inscrire le premier jour. Elle est arrivée à l’aube avec plusieurs de
ses petits-enfants. La vieille femme a toujours vécu dans la région malgré des
décennies de guerre entre les rebelles du Sud et le gouvernement de Khartoum.
Elle n’a toutefois jamais connu une telle disette. “A l’époque, les marchands
venaient, se souvient-elle. Aujourd’hui, c’est plus dur.”