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Bygmalion : ce que l'on sait, ce qui reste mystérieux

Les auditions des protagonistes de l'affaire permettent de dresser une première image des irrégularités supposées du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy.

Par  et

Publié le 07 octobre 2014 à 16h49, modifié le 07 octobre 2014 à 17h55

Temps de Lecture 7 min.

Une enquête pour « détournement de fonds publics » portant sur un contrat passé entre la société Bygmalion et la mairie de Levallois-Perret a été ouverte en juin.

Au fil de leurs auditions devant les juges, dont Le Monde a pu prendre connaissance, les protagonistes supposés ou avoués de l'affaire Bygmalion dessinent une image parcellaire, parfois contradictoire, mais souvent éclairante, des irrégularités supposées du financement de la campagne de Nicolas Sarkozy.

Ce dont on est (à peu près) sûr

  • Le choix d'Event & Cie

janvier 2012Le président Nicolas Sarkozy décide de lancer sa campagne sans l'avoir réellement préparée. « Dans l'urgence », son directeur de campagne adjoint, Jérôme Lavrilleux, est chargé de trouver des prestataires pour organiser ses premiers meetings. Il appelle alors Franck Attal, le patron d'Event & Cie, la filiale événementielle de Bygmalion, qui travaille avec l'UMP depuis 2002.

M. Attal fait part de la proposition à Guy Alvès, l'autre patron de Bygmalion, qui lui donne son feu vert. Le contrat entre l'équipe de campagne de Nicolas Sarkozy et Event & Cie est conclu début février, une dizaine de jours avant le premier meeting du candidat, à Annecy.

  • La multiplication des meetings

Mars 2012Sollicitée au départ pour « quatre ou cinq meetings », l'entreprise Event & Cie devient rapidement l'un des principaux prestataires de la campagne de Nicolas Sarkozy. Entre le 16 février et le 6 mai 2012, l'entreprise participera à l'organisation de 42 meetings, soit plus d'un tous les deux jours. Les dirigeants de Bygmalion assurent découvrir les événements à organiser au jour le jour, sans qu'aucun budget prévisionnel n'ait été établi en amont pour l'ensemble de la campagne. Si bien que le 11 mars 2012, Event & Cie a déjà facturé près de 5 millions d'euros au candidat Sarkozy, soit un quart du plafond légal des dépenses pour l'ensemble de la campagne – pourtant ce n'est pas le seul prestataire !

L'équipe de Nicolas Sarkozy (ou l'UMP) peine alors à régler les factures. Les retards, qui se multiplient, se répercutent sur les fournisseurs d'Event & Cie, qui assurent la logistique des meetings. En avril, la société leur doit environ 10 millions d'euros et peine à honorer le délai de paiement normal de trente jours, selon les déclarations de Guy Alvès aux juges.

Les personnages de l'affaire Bygmalion.

Les points d'interrogation qui demeurent

C'est là que les versions des différents protagonistes divergent.

  • La date du début de la fraude

Avril...Si l'on écoute les dirigeants et employés de Bygmalion, après plusieurs relances de Franck Attal, l'équipe de campagne de Nicolas Sarkozy organise début avril une réunion qui sera le point de départ du système frauduleux de facturation. Franck Attal, le patron d'Event & Cie, est certain que Jérôme Lavrilleux (directeur adjoint de la campagne) était présent lors de cette rencontre. Il ne se souvient plus si Fabienne Liadzé (trésorière de l'UMP et de la campagne) et Eric Cesari (directeur général de l'UMP, proche de Nicolas Sarkozy) étaient là.

Le(s) responsable(s) de l'UMP lui explique(nt) alors que l'association de financement de la campagne de Nicolas Sarkozy ne sera plus en mesure de le payer. La seule solution proposée est d'inventer un système de double facturation, pour imputer les dépenses de la campagne à l'UMP, puisque le parti n'est pas soumis au plafonnement des frais de campagne, en facturant rétroactivement des prestations fictives d'Event & Cie autour de conventions thématiques organisées par le parti de droite. « Soit on refusait et on prenait le risque de ne pas être payés et donc de sauter, sans compter que l'on compromettait l'issue de la campagne, soit on acceptait, sachant que l'on rentrait dans l'irrégularité », explique Franck Attal aux juges.

M. Attal assure avoir évoqué le projet après cette fameuse réunion avec Sébastien Borivent, directeur général d'Event & Cie, qui aurait lui-même obtenu le feu vert de Guy Alvès et Bastien Millot, les deux co-fondateurs de Bygmalion, respectivement directeur général et président.

A en croire le comptable de Bygmalion, Matthieu Fay, le système de double facturation est alors mis en place du côté de l'UMP par Fabienne Liadzé, la directrice des affaires financières du parti. M. Fay est chargé de l'appliquer du côté d'Event & Cie avec Franck Attal. « Il nous a été demandé par l'UMP de facturer 35 conventions » du parti pour des prestations qui ne correspondaient pas à la réalité, explique-t-il. Sur les 18,9 millions d'euros que la société devait facturer à l'équipe de Nicolas Sarkozy pour des meetings, elle n'en facture officiellement que 3,3 millions, et compense le reste en surfacturant des conventions plus ou moins réelles à l'UMP après le second tour de la présidentielle.

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... ou mai ?Du côté de l'UMP, on nie cette version des faits. Fabienne Liadzé dément en bloc toute implication dans la double facturation, quand Jérôme Lavrilleux explique que le système n'a été mis en place qu'après l'élection présidentielle.

Le directeur adjoint de la campagne de Nicolas Sarkozy assure que la prise de conscience de l'envolée du coût des meetings n'a eu lieu que fin mai 2012 : « Eric Cesari et Fabienne Liadzé sont venus me voir dans mon bureau à l'UMP, à l'issue d'une réunion qu'ils ont tenue avec Guillaume Lambert et Franck Attal, pour parler des comptes de la campagne. » C'est alors qu'ils lui auraient soumis l'idée de la double facturation, sans lui dire si elle venait d'eux ou de plus haut (Jean-François Copé ou Nicolas Sarkozy). « D'après ce que j'en ai compris, l'UMP, en la personne de M. Cesari ou de Mme Liadzé, a fourni à Franck Attal, de la société Event & Cie, une liste de dates et d'intitulés de manifestations afin qu'une facturation qui corresponde puisse être établie avant la clôture des comptes », poursuit-il devant les juges.

Un scénario rendu d'autant plus plausible que le système de double facturation aurait déjà été testé l'année précédente par l'UMP et Bygmalion. Incapable de payer l'ensemble des factures de son prestataire en 2011, l'UMP aurait « déplacé » les montants dûs sur l'année suivante, en faisant surfacturer les prestations d'Event & Cie sur certaines de ses conventions. Par exemple, la même convention de l'UMP sur « la vocation maritime de la France », organisée le 31 janvier 2012, coûte 1 700 euros du côté d'Even t& Cie… et 41 828 euros dans la comptabilité de l'UMP.

  • La responsabilité de Bastien Millot
Bastien Millot. Capture d'écran BFM-TV

Un point de divergence sépare les versions des cadres de Bygmalion : le fondateur et ancien directeur de Bygmalion, Bastien Millot, proche de Jean-François Copé, assure n'avoir rien à voir dans le système. « Je n'ai en ce qui me concerne eu aucune responsabilité dans cette campagne et je n'ai strictement rien à me reprocher », plaide celui qui a désormais quitté Bygmalion pour redevenir avocat. « Je n'ai participé à aucune réunion, à aucun moment, sur les dépenses de campagne ou leur répartition », poursuit-il dans L'Express.

Son successeur Guy Alvès assure pourtant qu'ils ont pris la décision d'accepter la double facturation « d'un commun accord ». Une version des faits confirmée par Franck Attal et le comptable Matthieu Fay. Jérôme Lavrilleux s'est quant à lui contenté de déclarer que Bastien Millot n'avait « jamais participé à aucun meeting, ni aucune réunion d'organisation de campagne » – ce qui n'exclut pas qu'il ait quand même eu connaissance de la fraude.

  • La responsabilité des cadres de l'UMP
Nicolas Sarkozy et Jean-François Copé, le 25 juin 2008.

Si l'on se fonde sur la version des cadres de Bygmalion, une question sensible demeure : qui est à l'initiative du système de double facturation qui intéresse aujourd'hui la justice ? Selon Guy Alvès, la décision « n'a pu être prise que par des dirigeants de l'UMP et/ou de la campagne ». Il penche sérieusement pour Jérôme Lavrilleux, qui « avait les deux casquettes campagne et UMP. C'est lui qui, au sein de l'équipe de campagne, est en charge des meetings, et qui, en même temps, à l'UMP, est le directeur de cabinet de M. Copé ».

Franck Attal pointe aussi du doigt Fabienne Liadzé (directrice des affaires financières de l'UMP) comme chef d'orchestre de la double facturation. Bastien Millot est le seul accuser directement Nicolas Sarkozy. A L'Express, il confie qu'il lui est « difficile d'imaginer » que le candidat ait signé ses comptes de campagne sans regarder le détail. Mais rien ne lui permet de le prouver, puisqu'il assure par ailleurs ne pas avoir été au courant personnellement ! Il dédouane toutefois son mentor Jean-François Copé et affirme le croire volontiers « quand il dit qu'il n'était pas au courant du détail des dépenses de la campagne ».

Le reste de l'équipe de Bygmalion, qui a avoué la fraude, se garde de mouiller dans le système Guillaume Lambert (directeur de campagne), Jean-François Copé (président de l'UMP) ou Nicolas Sarkozy. « Je suis dans l'incapacité de vous répondre », évacue Guy Alvès, lors de son audition. Pour les soupçonner d'avoir eu connaissance de la fraude, les juges se basent sur d'autres éléments :

1Une note adressée le 26 avril 2012 par Pierre Godet, l'expert-comptable signataire du compte de campagne, au « candidat Nicolas Sarkozy ». Il donne le chiffre des dépenses prévisionnelles ou engagées à la date du premier tour, quatre jours plus tôt : 18 399 000 euros. Soit beaucoup plus que le montant budgété précédemment (16 243 000 euros) et que le plafond des dépenses requises pour le premier tour (16 851 000 euros) ».

2Un SMS envoyé le 28 avril par Jérôme Lavrilleux au directeur de la campagne, Guillaume Lambert, suggérant que Jean-François Copé et Nicolas Sarkozy avaient connaissance des soucis de trésorerie : « JFC [Jean-François Copé] ne vient pas à Clermont, il y est allé la semaine dernière. Louer et équiper un deuxième hall est une question de coût. Nous n'avons plus d'argent. JFC en a parlé au PR [président de la République]. »

3Une réunion organisée le 2 mars 2014 avec Guy Alvès, Bastien Millot, Jérôme Lavrilleux et Jean-François Copé, qui rend peu crédible la thèse de M. Copé, qui assure n'avoir eu connaissance des malversations que le 16 mai.

Lire également notre synthèse : Si vous n'avez rien suivi à l'affaire Bygmalion
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