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ReportageNature

Center parcs 1- démocratie 0. Dans l’Isère, le béton veut détruire deux cents hectares de forêt

À Roybon, près de Grenoble, un immense projet de Center Parcs menace un site gorgé de sources d’eau, de zones humides et d’espèces protégées, avec à l’horizon : nature en toc, béton et emplois précaires. Les citoyens sont contre, l’enquête publique et les experts ont émis des avis défavorables. Mais les politiques veulent leur Center Parcs. Les travaux ont commencé. La bataille aussi.


-  Roybon (Isère), reportage

Les opposants au projet étaient nombreux, lundi 20 octobre à 8h30, au cœur du bois des Avenières, en Isère, loin des villes. Plus de deux cents personnes ont participé à une manifestation menée par l’association Pour les Chambaran sans Center Parcs (PCSCP), le jour où la pose de la première pierre du Center Parcs, à deux pas de Roybon, était annoncée.

Un petit brouillard accueille les militants sur la route blanche qui côtoie l’un des nombreux étangs de la zone. Ils se sont rassemblés en silence, à la lisière d’une partie de la forêt qui, selon les plans des promoteurs du projet, sera transformée en un immense parc ludique.

Après le feu vert donné par le Préfet de l’Isère, la société Pierre et Vacances n’a pas perdu de temps, et a commencé les premiers travaux pour édifier son village de vacances et ses résidences de tourisme. Une petite équipe d’ouvriers, munie d’un tracteur et de deux fourgons, a arraché la végétation au bord de la route qui mène aux bois.

C’est la première phase du balisage de la piste forestière. Dans les prochains mois, la multinationale touristique espère fonder une véritable ville de presque 6.000 habitants, construite sur des sources d’eau, des zones humides, au coeur d’un site qui regorge d’espèces protégées.

Un déni de démocratie

Stéphane Péron, président de l’association PCSCP, était sur place. La bouche scotchée, comme la plupart des militants présents, pour signifier qu’« une telle décision constitue un déni de démocratie ».

À coté de lui, les habitants des villages qui entourent la forêt. Les gens sont arrivés en famille. Comme Mirelle et ses deux enfants, eux aussi avec des bâillons sur la bouche : « Je leur ai expliqué qu’on est ici parce que quelqu’un veut détruire la nature ».

Dans les dernières semaines, le projet - programmé depuis 2007 - a subi une accélération qui n’était pas prévue. On n’était en effet qu’à la fin juillet, quand la commission d’enquête publique « loi sur l’eau » expliquait qu’« à l’examen de toutes les observations, tant écrites qu’orales, du public [...] et après avoir auditionné des experts », elle ne pouvait qu’émettre, unanimement, « un avis défavorable au projet ».

Une décision motivée principalement par le fait que les incidences du village de vacances sur l’environnement avaient été mal mesurées et sous-évaluées. La construction de plus de mille bungalows sur deux cents hectares, le défrichement de plus de quatre-vingt-dix hectares, l’imperméabilisation de trente-et-un hectares, la dégradation de soixante-deux hectares de zones humides n’était donc pas acceptables. Ni, surtout, compatible avec la loi.

Le maire de Roybon : "Je suis content pour les chefs d’entreprise"

Mais les partisans du projet n’ont pas baissé les bras, en s’appuyant sur un soutien quasiment unanime de la part des politiques : sauf les écologistes, élus de droite et de gauche se sont rassemblés autour de Pierre et Vacances. Ainsi, toutes les collectivités locales se sont déclarées favorables : les mairies, le département, la région.

Et malgré les avis négatifs des experts, vendredi 3 octobre, le préfet de l’Isère a pris un arrêté qui valide le projet, en s’appuyant sur un avis consultatif favorable du Conseil Départemental de l’Environnement et des Risques Sanitaires.

La semaine dernière, le Conseil général de l’Isère a voté pour débloquer sept millions d’euros. Et vendredi, le maire de Roybon, Serge Perraud, a signé le document qui établit la vente du terrain où devrait être édifié le parc ludique : « C’est une formidable opportunité pour les chefs d’entreprises, je suis surtout content pour eux. En cette période de crise, le Center Parcs va apporter une vraie bouffée d’oxygène », a-t-il déclaré.

« C’est une décision, il faut le dire, marquée par de l’imbécillité humaine et par la volonté d’une classe politique intellectuellement corrompue par les lobbies », a répondu M. Péron, en prenant la parole durant la manifestation.

« Aujourd’hui démarrent les travaux d’un projet que la majorité des citoyens a refusé en enquête publique. Des travaux déclaré hors la Loi sur l’eau par la commission d’enquête publique à l’unanimité des trois commissaires enquêteurs. Des travaux qui ont reçu les avis négatifs de tous les experts qui ont étudié le dossier ».

Quant à la décision du préfet de l’Isère et au début immédiat des travaux, le président de l’association des opposants a expliqué q’il s’agit « d’une rapidité qu’on reconnaît bien : c’est celle utilisée pour le stade des Alpes à Grenoble. C’est celle du barrage de Sivens, dans le Tarn, concernant l’engloutissement d’une zone humide pour favoriser une agriculture intensive de maïs ».

Intérêt public ? Sérieusement ?

« Le préfet de l’Isère, poursuit-il, a l’audace, dans l’autorisation, de parler d’intérêt public majeur. Quel intérêt public ? Alors que 3,5 millions de personnes sont mal logées, alors que les étudiants ont du mal a poursuivre leurs études, il n’y a pas d’autres priorités que de construire, avec nos impôts, une bulle tropicale avec piscines sur un site de cette qualité, avec une millier de logements de tourisme autour ? »

« Ici, on est dans une zone économiquement en difficulté, nous explique Myriam Laïdouni-Denis, porte-parole des Verts de l’Isère, le seul parti qui s’oppose au projet, et ils ont décidé de financer le parc aquatique avec 80 millions d’euros au total. Il s’agit d’argent public qui a été soustrait au tourisme local et qu’on aurait pu utiliser autrement ».

« Ils disent qu’ils vont apporter localement de la prospérité, ajoute Péron, et qu’ils vont aider les gens qui sont au chômage. Mais la moitié des emplois proposés seront à 240 euros par mois pour neuf heures de travail par semaine ! C’est donc un système qui ne fera qu’aggraver la misère sociale locale, déjà grandissante ».

La manifestation poursuit dans la bonne humeur. On discute, on se promène, on chante. Vers 11 h, un petit groupe de manifestants se détache, franchit la propriété privé et s’enfonce dans la forêt pour une « action démonstrative » et non violente. Les gendarmes présents observent de loin, tandis que les autres manifestants libèrent l’entrée du site.

« Les jours qui viennent, conclut Péron, seront très importants. Nous allons déposer deux recours auprès du tribunal : l’un relatif à la Loi sur l’eau et l’autre à la préservation des espèces protégées. Et puis, demain, il y aura une rencontre entre Michèle Rivasi et la ministre de l’Ecologie Ségolène Royal. Aujourd’hui c’est donc le début du combat. Si nous nous sommes rassemblés ici, c’est pour dire que nous ne lâcherons rien ».

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