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«On ne sauvera pas le monde en regardant des vidéos de petits chats»

Internet n'est plus seulement un espace de liberté et de subversion à même de renforcer la démocratie
par Noémie Rousseau, Correspondante à Strasbourg
publié le 25 octobre 2014 à 16h17

On dirait bien que ça tourne au vinaigre sur l'internet. «L'espace de subversion devient un espace de surveillance, de contrôle, de rationalisation», constate Dominique Cardon, sociologue spécialiste de la démocratie appliquée à Internet. Si l'idéal des pionniers de la toile s'éloigne, ce n'est pas pour autant qu'il faut jeter le bébé avec l'eau du bain. La massification d'Internet, avec 40% de l'humanité connectée, le rend optimiste.

0,3 %. Fini l'entre-soi, place à la démocratisation. Encore faut-il vaincre les algorithmes. Google présente des «résultats de recherche personnalisés, biaisés, en fonction de ce qu'il croit savoir de nous». Internet devient partial. S'il y a un risque réel «d'effritement» de la masse, Cardon n'est «pas inquiet». «Le fait qu'on soit enfermé sur la toile est peu probable». Et puis, l'internaute a tendance à s'y enfermer lui-même. Les chemins de traverse, connaît pas. Ça tourne pas mal en rond en fait : 0,3% du contenu agrège 80% du trafic. La pensée dominante, c'est la page 1 de Google. «L'illusion contemporaine répandue : on aimerait être quelque chose d'assez différent de ce qu'on est, lire plusieurs médias, comparer, pour se forger sa propre opinion. La réalité des usages est différente. Selon les sondages, 20% des téléspectateurs déclarent regarder Arte, en réalité, ils ne sont qu' 1%

«Internet est un détecteur de signaux faibles», lance Pierre-Alexandre Teulié. Il est le créateur de l'application GOV qui permet à chacun d'exprimer son point de vue sur un homme politique, de proposer des sujets de débat, des candidats inconnus. Et puis, il y a les justiciers du web, la piraterie. Okhin est un des leurs, et pour lui «personne ne gouverne Internet». En gros, sur la toile, c'est le premier qui dit qui est. «On n'est pas dans un processus démocratique traditionnel, on n'a pas besoin que tout le monde soit d'accord avec un message qui va d'en-haut vers le bas. Internet ce sont des gens qui discutent ensemble et qui, par accident, vont faire des choses ensemble.» Et Cardon d'ajouter : «Les politiques n'ont pas saisi qu'internet n'est pas un média comme les autres. Vouloir le normaliser comme un espace public traditionnel qu'on confie au CSA est une erreur. Dès qu'on commence à formaliser, modérer, la participation recule.» Là, on risque d'importer sur la toile l'un des principaux écueils de la démocratie participative : «ce sont toujours les mêmes qui prennent la parole

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Il fustige plutôt le «délire paranoïaque des gouvernements» qui, au lieu de s'emparer de l'outil pour être transparents et rendre des comptes aux citoyens, «se cachent». Et l'open data ? «L'info c'est une donnée avec un contexte. Il faut exiger l'open gouvernement, la transparence. Le business de la sécurité est en train de devenir plus gros que celui de l'armement». Si Internet est «un outil protéiforme», il n'est «pas neutre» pour autant. «Quand on a un marteau en main, tout autour devient clou». Les internautes inventent sans cesse des moyens de contourner la surveillance, comme TOR, le logiciel d'anonymisation en ligne. «Encore faut-il savoir que cela existe, comprendre qu'on en a besoin, qu'il faut le mettre à jour, savoir ce qu'est le routage. Il y a une forme d'élitisme. En fait, les gens n'en ont rien à foutre, ils veulent juste rester en contact avec leurs amis.» Et Okhin de décrire l'internaute résigné, qui a «abandonné l'idée de contrôler ses données». «On ne sauvera pas le monde en regardant des vidéos de petits chats», poursuit-il.

Extrêmes. Il y a un avant et un après 2007, naissance de Facebook. Avant c'était un forum, un pseudo, aujourd'hui Facebook exige de connaître l'identité de l'internaute. Les conditions générales d'utilisation à rallonge changent tous les 6 mois. «Ce serait comme lire l'intégral de Zola à chaque connexion», indique le hacker. N'empêche, si Internet permet de reprendre la main, d'interpeller, de créer des liens, il y a quelque chose qui nous échappe : «Qui suis-je sur Internet ? Qui suis-je pour les autres ?» Sans parler des «hordes de connards» qui pullulent sur la toile. «J'ai des amis qui ont fait de la modération sur des sites de presse, ils ne tiennent jamais plus de six mois.» Et de s'indigner que l'audience aille de pair avec la virulence. «Les gens extrêmes arrivent au centre de l'attention parce que les gens du centre y prêtent attention», indique Cardon, «il y a sur internet une nouvelle économie de la visibilité».

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