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ÉGYPTE

La vidéo de torture dans le Sinaï qui accable l’armée égyptienne

Un groupe d’hommes en tenue militaire qui s’acharnent sur deux civils, dont un est ensanglanté dans un village du Sinaï égyptien. Ces images de torture, diffusées récemment sur les réseaux sociaux, sont terrifiantes. Et tout porte à croire que l’armée est responsable. Mais en Égypte, ni les autorités ni les médias ne s’en émeuvent.

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Une des deux victimes fouettée par un homme en uniforme.

Un groupe d’hommes en tenue militaire qui s’acharne sur deux civils, dont un est ensanglanté dans un village du Sinaï égyptien. Ces images de torture, diffusées récemment sur les réseaux sociaux, sont terrifiantes. Et tout porte à croire que l’armée est responsable. Mais en Égypte, ni les autorités ni les médias ne s’en émeuvent.

ATTENTION, CES IMAGES PEUVENT CHOQUER

Un homme, la jambe ensanglantée, marche à quatre pattes tandis qu’un individu en treillis lui assène des coups de pied. Ce dernier oblige par la suite sa victime - qui a la tête couverte par sa guellabeya (tunique traditionnelle égyptienne) - à marcher sur une seule jambe puis la jette à terre et la roue de coups en lui enjoignant de se cacher le visage. Des jeunes en tenue de civil participent au tabassage. Au bout d'une minute, un autre homme, tête également recouverte d’une guellabeya, est emmené face à un mur où il reçoit de violents coups de fouet. Les coups et les insultes continuent ainsi à pleuvoir sur les deux hommes qui ne cessent de gémir, jusqu’à ce qu’ils soient jetés et enfermés dans une pièce. France 24 a choisi de ne pas diffuser la vidéo mais seulement des captures d'écran.

Parmi les tortionnaires, des hommes en civil et d'autres en uniforme.

L’armée muette et défendue par les médias

Les principaux médias gouvernementaux et privés, qui soutiennent le Président Abdelfattah al-Sissi et l’armée dont il est issu, ont pour la plupart éludé cette affaire. Citant des responsables militaires sous le sceau de l’anonymat, les journaux qui l’ont évoquée ont rejeté en bloc les accusations de torture. Pour eux, il s’agit d’un coup monté visant à salir l’image de l’armée au moment où elle est en train de mener une opération de grande envergure dans le Sinaï pour mettre en place une zone tampon avec la bande de Gaza.

Toujours selon les sources militaires anonymes citées par ces médias, les hommes en treillis seraient des civils déguisés en militaire et non des soldats. Ils en veulent pour preuve le fait que certains hommes en uniforme sur la vidéo portent des tongs, ce qui ne serait pas l’usage chez les militaires.

C’est le réseau d’activistes Sinna24 qui a obtenu la vidéo auprès d’un militaire et l’a postée sur sa page Facebook consacrée à l’actualité dans le Sinaï. Après avoir enquêté sur les images, les activistes affirment pourtant que les deux individus ont bel et bien été torturés par des soldats égyptiens, qui les ont par la suite exécutés.

La jambe ensanglantée, cet homme au sol est tabassé.

"Nous sommes parvenus à identifier les deux personnes torturées"

Mustapha A. (pseudonyme) est un des activistes du réseau Sinna24.

Cette vidéo a été tournée le 10 octobre dans une petite caserne de l’armée égyptienne située dans un village appelé al-Joura, dans la région de Cheikh Zouid dans le nord du Sinaï. Je précise d’abord que le fait que des militaires soient en civil n’a rien d’étonnant dès lors qu’ils sont à l’intérieur d’une garnison de l’armée.

Nous sommes parvenus à identifier les deux personnes torturées. Ahmed Abou Fafrij, un jeune âgé de 18 ans [le premier civil apparaissant sur la vidéo et qui était blessé à la jambe], était originaire du village El-Mehdiya qui se situe non loin du lieu de la vidéo [village dont est originaire Chadi al-Manii, l’un des chefs de file de l’organisation jihadiste Ansar Bait al-Maqdis traquée depuis plusieurs mois par l’armée égyptienne dans le désert du Sinaï. C’est aussi un haut lieu du trafic d’immigrés pratiqué par des bédouins du Sinaï, NDLR]. Et Youcef Atiq qui était muezzin dans une mosquée du même village.

Au cours de nos recherches, nous nous sommes rendus compte que le porte-parole des forces armées égyptiennes, Mohamed Ghanim, avait publié des photos des deux personnes sur sa page Facebook, le 10 octobre dernier. Les images sont accompagnées d’un commentaire indiquant que l’armée venait d’éliminer des terroristes au cours d’un échange de tirs dans le nord du Sinaï notamment.

Une concordance troublante

Tout semble indiquer qu'il s’agit des mêmes victimes sur les images diffusées par l'armée et sur celles de la vidéo. Sur la capture d'écran de la vidéo (en bas), le dénommé Ahmed est vêtu d’une guellabeya beige, d’un pantalon blanc maculé de sang et un sous-vêtement bleu. Sur la photo publiée par le porte-parole de l’armée, on retrouve ces tâches de sang au même endroit sur la guellabeya et le sous-vêtement.

En haut, la photo diffusée par l'armée, en bas la capture d'écran de la vidéo.

La deuxième victime, Youcef Atiq, (ci-dessous) est vêtue d’une guellabeya bleu ciel et d’un pantalon kaki sur la vidéo. On devine également qu’il porte une barbe [à 1’04’’]. Ce qui concorde parfaitement avec l’image diffusée par l’armée.

En haut, la photo diffusée par l'armée, en bas la capture d'écran de la vidéo.

Pour nous, il n’y a aucune place au doute, explique Mustapha. Les militaires ont torturé puis exécuté les deux hommes. Hormis les images, nous avons recueilli des témoignages des proches qui nous ont affirmé que les militaires sont arrivés le 10 octobre au village El-Mehdiya à bord de 4 Hummer de l’armée et ont emmené les deux hommes. Le porte-parole de l’armée a publié leurs photos le même jour indiquant donc que les militaires avaient réussi à éliminer des terroristes au cours d’un accrochage.

Ce n’est pas la première fois que des cas de torture et d’exécutions sommaire sont rapportés dans le village d’al-Joura où les militaires sont présents en masse. En février dernier, des habitants avaient découvert les corps sans vie de personnes originaires du Sinaï, mais aucune enquête n’avait été ouverte.

"Une augmentation des cas de torture depuis l’arrivée de Sissi au pouvoir"

Les témoignages faisant état de torture et de disparitions forcées de détenus dans des locaux de la police ou de l’armée égyptienne sont très nombreux. Amnesty International a relevé une brusque augmentation des arrestations et détentions arbitraires ainsi que des cas de torture et de morts en garde à vue depuis que Mohamed Morsi a été chassé du pouvoir en 2013. L’ONG indique que 80 personnes sont mortes en garde à vue entre juillet 2013 et la mi-mai 2014.

Nous avons contacté le porte-parole des forces armées égyptiennes, Mohamed Ghanim, pour des explications sur la vidéo de torture dans le Sinaï. Mais à l’heure où nous mettons en ligne, il n’a toujours pas répondu à notre sollicitation.

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