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A Tangshan, l’impossible lutte contre la pollution

Dans la capitale chinoise de l’acier, près de Pékin, la fermeture d’usines polluantes bute sur les intérêts économiques.

Par  (Tangshan, envoyé spécial)

Publié le 04 novembre 2014 à 17h42, modifié le 19 août 2019 à 14h24

Temps de Lecture 4 min.

Usines au ralenti, circulation alternée et administration en vacances : la tenue à Pékin du Forum de coopération économique Asie-Pacifique (Apec), les 10 et 11 novembre, a conduit à l’adoption de mesures antipollution exceptionnelles qui ont amélioré la qualité de l’air. Pourtant, la guerre au long cours contre le smog qui enserre la capitale chinoise et sa région est loin d’être gagnée.

A Tangshan, centre de l’acier, à 170 km au sud-est de Pékin, plusieurs centaines d’aciéries devront fermer d’ici 2017, si le Hebei, la province qui entoure la capitale et dont Tangshan est l’une des grandes villes (7,5 millions d’habitants) veut respecter la cure drastique imposée par le nouveau gouvernement chinois en 2013.

L’objectif est d’abaisser de 25 % la concentration dans l’atmosphère des particules fines nocives pour la santé, les PM 2,5. Pour Pékin, cela signifie passer d’un taux annuel moyen de 90 microgrammes par mètre cube d’air (en 2013), à environ 65 microgrammes. Le Hebei devra alors réduire de 60 millions de tonnes sa consommation de charbon. Pour Tangshan, qui produit autant d’acier que les Etats-Unis grâce à une électricité qui provient de ce combustible fossile, cela signifie 40 millions de tonnes d’acier brut en moins – près de la moitié de sa production actuelle.

Pour faire bonne figure, les autorités locales ont dynamité l’hiver dernier une dizaine de hauts-fourneaux. L’initiative faisait suite à une session d’autocritique publique des hauts responsables du parti du Hebei qui, en présence du président Xi Jinping, s’étaient repentis à la télévision d’avoir sacrifié « la qualité du développement » au profit de la « croissance économique à tout prix ». « C’est du spectacle ! Dans l’aciérie Beigang, ils ont fait sauter une cheminée désaffectée depuis longtemps », raille M. Wang, un habitant du village de Wangsijiang, en périphérie de Tangshan.

Pratiques louches

Situé à moins d’une centaine de mètres de Beigang, dont deux cheminées crachent une fumée grisâtre, le village fait partie de ces communautés dont le destin est lié aux aciéries, pour le meilleur et pour le pire. « On a droit à une prime de pollution de 350 yuans [46 euros] par an, une pitance », soupire M. Wang. Il déplore les cancers des habitants et l’affaissement des sols en raison des mines de charbon. Pourtant, il a monté pendant dix ans des filtres de dépoussiérage dans des usines. Mais si l’aciérie Beigang poursuit ses rejets toxiques, c’est que, assure-t-il, « la protection des intérêts économiques par les autorités locales l’emporte sur le combat contre la pollution ».

Les sociétés liées aux collectivités de bas échelon, comme Beigang, sont les plus rétives aux mesures antipollution : elles alimentent les caisses locales. A l’inverse, les groupes d’Etat – comme Tangshan Steel, filiale du numéro un chinois et troisième sidérurgiste mondial, Hebei Steel – sont surveillés de près. En mai, les autorités ont ainsi coupé l’électricité à des installations de frittage de minerai de Tangshan Steel pour obliger le groupe à les moderniser. Dans le secteur privé, quelques grosses sociétés côtoient une myriade de petits opérateurs aux pratiques parfois louches. Les autorités du district de Fengrun, où les aciéries alternent avec les champs de maïs, ont annoncé en mai un couvre-feu pour empêcher les petites usines de polluer la nuit. Mais elles peinent à l’appliquer par manque d’inspecteurs.

A Tangshan, la guerre contre la pollution ne date pourtant pas du gouvernement actuel. En 2004 déjà, le vice-ministre de l’environnement Pan Yue, connu sous le nom de « Pan l’ouragan » pour sa détermination, nouvelle à l’époque, à combattre les pollueurs, avait la ville dans le collimateur : il fit rédiger par ses enquêteurs un rapport accablant sur les violations des normes antipollution. En 2007, Pékin imposa à Tangshan – et au Hebei – des réductions spectaculaires de la production sidérurgique. En vain. La pollution atmosphérique a alors continué de croître.

Pékin bénéficie désormais de conditions plus favorables dans son offensive, puisque aux années de surchauffe a succédé un ralentissement de la croissance économique. En novembre 2013, le gouvernement central a accordé 1,5 milliard de yuans (170 millions d’euros) à Tangshan pour lutter contre la pollution. Les autorités de la ville ont appelé 308 sidérurgistes à se mettre aux normes et à fermer toutes ou certaines de leurs installations. Enfin, l’agence de planification, la NDRC, a été chargée d’accompagner les restructurations vers une production industrielle à plus haute valeur ajoutée ou vers les services afin de sauvegarder les emplois.

Mais pour Song Guojun, directeur de l’Institut de politique environnementale de l’université Renmin à Pékin, ces objectifs essentiellement quantitatifs sont insuffisants. « Selon quels critères fermer des usines ? Car elles sont petites ?, interroge-t-il. Il n’y a pas de règles pour encadrer ces fermetures, ce qui ouvre la porte à de la corruption et à des parades. » Le professeur plaide pour des permis d’émission de polluants bien plus détaillés que ceux prévus dans les lois actuelles – à l’image de ceux de Taïwan, copiés sur le modèle américain. M. Song fustige d’autres héritages de l’économie planifiée, comme la dépendance des agences de l’environnement à l’égard des autorités locales. Sans véritable aggiornamento des règles, la guerre contre la pollution ne pourrait être qu’une victoire à la Pyrrhus.

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