Chroniques

La mort par coquille

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Par Paul Krugman

Après enquête, ce qui s’était passé devint clair : la personne qui avait décrit notre lot avait sauté une phrase. Et bien entendu, l’employé municipal corrigea cette erreur. Après tout, il aurait été ridicule et cruel de priver mes parents de la majeure partie de leur bien à cause d’une rédaction bâclée, surtout lorsque les intentions du rédacteur étaient parfaitement claires.

Mais cela semble possible, aujourd’hui, que la Cour Suprême prive des millions d’américains d’une couverture santé sur la base d’une coquille tout aussi évidente. Et si vous pensez que cette possibilité est liée à un raisonnement légal sérieux, et non à une partisannerie de bas-étage, j’ai une parcelle de terrain très longue, toute fine et inconstructible pour vous.

La semaine dernière, la Cour a choqué bon nombre d’observateurs en annonçant qu’elle souhaitait entendre un cas affirmant que le choix des mots dans une phrase de l’Affordable Care Act pose des limites drastiques aux subventions revenant aux américains qui souscrivent à une assurance santé.

Cette affirmation est ridicule ; non seulement tout le reste de la loi rend très clair le fait qu’il n’y a jamais eu la moindre intention de poser de telles limites, il suffit de demander aux gens qui ont écrit cette loi et leur demander ce qu’ils voulaient dire, ce n’est pas du tout ce que prétendent les plaignants. Mais même si ce procès est ridicule, cela ne signifie pas forcément qu’il ne va pas réussir – particulièrement dans un environnement dans lequel un trop grand nombre de juges républicains ont été très clairs sur le fait que la partisannerie surpasse le respect de la loi.

Afin de comprendre ce problème, il faut comprendre la structure de la réforme de santé. L’Affordable Care Act tente d’établir une couverture plus ou moins universelle grâce à des mesures sur un "tabouret à trois pieds", qui sont toutes nécessaires pour la faire fonctionner. Tout d’abord, les compagnies d’assurance ne sont plus autorisée à faire de la discrimination contre les américains en se basant sur leur historique de santé, ils ne peuvent donc plus empêcher les gens ayant des antécédents médicaux d’obtenir une couverture et ne peuvent plus imposer des premiums aux montants exorbitants. Deuxièmement, tout le monde doit souscrire une assurance, afin de faire en sorte que les gens en bonne santé n’attendent pas d’être malades pour s’en occuper. Enfin, des subventions existent afin de rendre abordable l’assurance à laquelle les américains aux revenus les plus faibles doivent souscrire.
Un aparté, d’ailleurs, jusqu’à présent ce système semble très bien fonctionner. Les inscriptions dépassent ce qui était attendu, les premiums sont bien en-deçà et davantage de compagnies d’assurance affluent sur le marché.

Quel est donc le problème ? Afin de recevoir des subventions, les américains doivent prendre une assurance via ce qu’on appelle des échanges, des lieux d’achats gérés par les gouvernements. Ces échanges à leur tour prennent deux formes. Bon nombre d’états ont choisi de s’occuper de leurs propres échanges, comme le système Covered en Californie ou le système Kynect dans le Kentucky. Par contre, d’autres états – surtout ceux qui sont contrôlés par le GOP – ont refusé de jouer un rôle actif dans le fait d’assurer les non assurés et se sont rabattus sur les échanges gérés par le gouvernement fédéral (qui fonctionnent bien maintenant que le problème de logiciel du départ a été réglé).

Mais si l’on regarde de plus près le langage spécifique autorisant ces subventions, l’on pourrait le comprendre – du moins un lecteur incroyablement hostile – que ces subventions ne sont disponibles que pour les américains qui utilisent les échanges gérés par les états, pas ceux qui utilisent les échanges gérés par le gouvernement fédéral.

Comme je l’ai dit, tout le reste dans cette loi indique très clairement que les intentions des personnes qui l’ont écrite n’étaient pas du tout celles-ci, et dans tous les cas, il faut leur demander directement et elles vous diront que ce n’est rien d’autre qu’un langage un peu négligé.

De plus, les conséquences seraient grotesques si le procès allait au bout. Des états comme la Californie qui gèrent leurs propres échanges ne seraient pas touchés. Mais dans des endroits comme le New Jersey, où les politiciens du GOP ont refusé de jouer un rôle, les premiums flamberaient, les gens en bonne santé se retireraient du programme et la réforme de santé entrerait dans une spirale de la mort. (Et étant donné qu’un grand nombre de personnes perdraient une couverture cruciale et qui leur sauve la vie, la mort ne serait pas qu’une métaphore).

Ceci dit, les états pourraient éviter cette spirale de la mort en établissant des échanges – qui pourraient n’être rien de plus que mettre des liens en place renvoyant vers le site des échanges fédéraux. Mais comment en sommes-nous arrivés là ?

Jadis, ce procès aurait littéralement été ridiculisé hors d’un tribunal. Pourtant, il a au contraire été maintenu dans certains tribunaux inférieurs, par des votes tous droits issus de la ligne du parti et la volonté de la Cour Suprême de l’entendre est de mauvais augure.

Soyons clairs sur ce qui se passe. Les juges qui soutiennent cette absurdité tellement cruelle ne sont pas stupides ; ils savent ce qu’ils font. Par contre, ils sont corrompus et prêts à pervertir cette loi pour servir leurs fins politiques. Et nous verrons dans quelques mois jusqu’où va la corruption.

Paul Krugman

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