Depuis quelques semaines, à Delhi, Calcutta, Bombay ou encore Hyderabad, des Indiens, souvent étudiants, tentent de faire la révolution à coups de baisers publics. En Inde, l'homosexualité est illégale, les mariages arrangés nombreux, et les couples de castes différentes doivent parfois vivre dans la clandestinité. Le mouvement des « baisers d'amour » revendique le droit de s'aimer librement, sans avoir à le cacher.
C'est dans le sud de l'Inde, à Kochi, que tout a démarré. Un appel à s'embrasser en public a été lancé après que des nervis d'un groupe fondamentaliste hindou ont saccagé un café où quelques jeunes amoureux se sont laissés aller à quelques frôlements de mains, trop suggestifs à leur goût. Le 2 novembre, une cinquantaine d'étudiants s'embrassent ainsi devant une foule en furie, qui les insulte et dénonce un « geste importé d'Occident souillant la culture indienne ».
ARME POLITIQUE REDOUTABLE
Pour éviter l'affrontement, la police arrête les étudiants. C'est à ce moment qu'est pris le cliché d'un couple s'embrassant derrière les barreaux. Depuis, à chaque rassemblement, des manifestants jettent des roses sur ceux qui leur tendent des barres de fer et citent ce vers attribué à Octavio Paz : « Le monde naît du baiser entre deux personnes. » « Notre société pense que chacun, homme ou femme, est la propriété de sa caste, de sa famille ou de sa religion. Elle étouffe les jeunes amants au point de les conduire au suicide », écrit M. N. Karassery dans le quotidien Manorama.
Parmi les couples qui osent défier l'ordre social, il y a ceux qui s'enfuient, ceux qui se suicident et puis ces jeunes manifestants qui réclament la liberté. Le baiser public est une arme politique redoutable, parce que capable d'attirer les caméras de télévision.
LOIS TRÈS PRUDES
Avant cela, il y avait eu l'arme des culottes roses, envoyées en 2009 aux membres du Sri Ram Sena. Ce groupe nationaliste hindou avait saccagé un café de Mangalore dans le sud de l'Inde et frappé les jeunes couples qui s'y trouvaient. Les opposants au baiser public invoquent la « protection de la culture indienne », contre l'influence occidentale. Pourtant, leur outrage ressemble s'y méprendre à celui éprouvé par les Britanniques au XIXe siècle devant les Indiennes revêtues d'un simple bout de tissu. Ils les obligèrent à porter une blouse, qui fait aujourd'hui partie du sari traditionnel.
L'Inde, qui a produit le Kama Sutra et les sculptures érotiques du temple de Khajurâho, a hérité des lois très prudes de l'Angleterre victorienne. Et aujourd'hui, le code pénal indien punit d'une peine de trois ans de prison « quiconque suscitant la gêne par un acte obscène dans un lieu public ». Mais les notions très floues d' « obscénité » et de « gêne » autorisent la police à harceler de jeunes couples dans la rue, à leur extorquer de l'argent ou à les menacer de poursuites judiciaires. Si les « baisers d'amour » n'enflamment pas encore l'Inde – une manifestation a réuni une centaine d'étudiants à Delhi dimanche 9 novembre –, le mouvement s'étend grâce aux réseaux sociaux (102 000 mentions "j'aime" sur leur page Facebook). Prochaine manifestation le 7 décembre à Calicut, dans le Kerala.
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