Mais pourquoi la SNCF planque-t-elle les horaires des TGV ?

Mais pourquoi la SNCF planque-t-elle les horaires des TGV ?

Un TGV, en gare de Montparnasse - Daniel Vorndran/Flickr/CC C’est le cocorico de la semaine : la France a été félicitée pour ses efforts dans l’ouverture des données publiques. Certes, le rapport annuel d’Open Knowledge était...

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Un TGV, en gare de Montparnasse
Un TGV, en gare de Montparnasse - Daniel Vorndran/Flickr/CC

C’est le cocorico de la semaine : la France a été félicitée pour ses efforts dans l’ouverture des données publiques. Certes, le rapport annuel d’Open Knowledge était espéré un peu plus tôt. François Hollande aurait aimé s’en gargariser lors de son dernier discours sur le numérique. Certes, les cyniques font remarquer que le classement se focalise sur quelques indicateurs seulement et que la France y fait des bonds sans qu’on ne sache trop pourquoi. Mais on ne va pas faire la fine bouche.

La magnifique infographie relaye par le gouvernement pour l'occasion
La magnifique infographie relayée par le gouvernement pour l’occasion - Gouvernement.fr

Passée de la seizième à la troisième place en un an, la France est sur le podium, derrière le Royaume-Uni et le Danemark.

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Pour rappel, le mouvement open data a pour but de mettre à disposition du public des tableaux bourrés de chiffres, de listes ou de coordonnées géographiques afin de rendre le monde plus transparent, plus fluide, plus ouvert. 

C’est tout à fait dans l’esprit du temps et François Hollande s’y accroche comme à sa dernière bouée :

« Grâce à l’ouverture des données, nous allons faire progresser la santé et la protection de l’environnement [...]. Ce trésor n’est pas la propriété de l’Etat, c’est un bien commun de la nation. »

Les trains, oui ; le TGV, non

Dans sa fiche France, l’Open Knowledge estime toutefois qu’il « reste beaucoup à faire ». Parmi la liste des données qui pourraient être publiées, mais ne le sont pas encore, il y en est une qui attire l’œil :

« Dans le domaine des transports, la SNCF ne publie toujours pas les horaires théoriques de ses TGV contrairement à tous ses autres trains. »

Ah bon ? Il n’est pas possible de récupérer dans un fichier exploitable par des applications tierces les horaires des TGV qui circulent sur le réseau ?

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Effectivement, la plateforme d’open data de la SNCF ne propose pas un tableau prévisionnel des horaires des TGV, et encore moins un flux en temps réel. C’est d’autant plus étrange que l’on y trouve les horaires des lignes TER, des Intercités et des Transiliens. Ceux-ci ont été « libérés », comme on dit, à la fin 2012.

La SNCF évoquait alors la possibilité de bénéficier d’applications développées par de petits génies qu’elle n’avait pas les moyens de faire en interne...

Capture d'cran du site MonRER.fr
Capture d’écran du site MonRER.fr - MonRER.fr

Ces données permettent par exemple de façonner un écran « Infogare » sur son ordinateur, comme l’a fait l’ingénieur X0R (oui, c’est un pseudo). Joint par Rue89, ce dernier explique comment il a combiné les horaires prévisionnels des Transiliens et le flux des horaires en temps réel pour créer un panneau qui signale les retards.

Mais elles permettent aussi des applications beaucoup plus complexes fondées sur des « arbres statistiques », des API, et autres machins technologiques qui – éventuellement – peuvent se « monétiser ».

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Pour quelle raison la SNCF ne publie-t-elle pas les mêmes données pour les TGV ?

Business versus com’

Après avoir tenté à maintes reprises de joindre la petite équipe qui s’occupe de l’open data à la SNCF pour préciser ces hypothèses, j’ai finalement été rappelé par un attaché de presse peu bavard :

« Désolé, nous ne ferons aucun commentaire sur le sujet. »

Coincé à l’occasion d’un « meet-up » (une conférence où on se tutoie), un responsable de SNCF Data me fera – sur une note plus sympathique – la même réponse. 

Quelques minutes auparavant, le grand ponte du digital des trains – Yves Tyrode – venait pourtant d’expliquer que l’« open innovation » est formidable et que la SNCF y plonge avec un grand sourire et des palpitations au cœur. 

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En effet, la SNCF se veut à la pointe de l’open data et investit de plus en plus le champ du numérique. Elle encourage des développeurs à réutiliser ses données pour, par exemple, développer des prévisions d’affluence dans les gares. L’idée est de créer un « écosystème », sorte de chambre d’écho commerciale de la SNCF.

L’un des derniers exemples en date de ces travaux numériques est la publication d’une carte évolutive qui permet de visualiser l’état du trafic. C’est un gadget, mais un exemple intéressant puisque les mauvaises langues estiment que la SNCF a sorti sa carte en réaction au site Raildar, qui fait la même chose de manière « artisanale ». En effet, les bidouilleurs à l’origine du projet ont dû ruser pour récupérer les données des TGV...

Le fait que la SNCF ne publie pas ce jeu de données illustre peut-être le mélange de réticences, fondées ou non, de tiraillements internes, qui font le sel de l’ouverture des données dans les entreprises et les institutions. Ainsi, si la SNCF a beaucoup communiqué sur sa plateforme d’open data, on touche peut-être là à ses limites.

Joint par Rue89, Andrew Byrd, qui se spécialise dans les données « transports », souligne, par e-mail, que « l’obligation de partager les données (la directive européenne PSI) ne s’étend pas aux transports en commun » :

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« Pour le moment, l’ouverture des données est motivée principalement par sa valeur “communication”, par l’amélioration de l’image de l’entreprise [en général, ndlr]. »

La peur du grand méchant Google

Payer pour du gratuit ?

D'autres suggèrent que la raison de cette non-publication est liée à des difficultés techniques (on en doute), au statut des TGV (iDTGV, Lyria, Alleo, etc.) ou au fait que la SNCF monétise déjà ces données auprès de partenaires commerciaux. Difficile, dès lors, de les passer « en gratuit ». « Que nenni ! » finit quand même par souffler un membre de la SNCF, qui explique qu'il serait stupide d'être dans cette logique. 

En attendant, les horaires de TGV sont publiés par Capitaine train, qui accède aux données grâce à un partenariat avec la SNCF. C'est fort amusant puisque cette start-up, qui travaille donc en lien avec la compagnie ferroviaire, est concurrente de l'agence de voyage de... la SNCF.

Plusieurs personnes travaillant dans le domaine de l’open data soulignent que c’est peut-être la crainte de voir Google – pour ne citer que lui – prendre la main sur le secteur qui retient le bras de la SNCF.

Joint par Rue89, le directeur numérique de Transdev, Thierry Elkaim, explique :

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« Il y a une crainte, de la part des opérateurs, de perdre le contrôle des données, que celles-ci soient exploitées d’une façon qui n’est pas loyale. Ce dont ils ont peur, c’est de voir un grand portail regrouper tous les voyages possibles. Ils ont peur de voir préempter la relation avec leurs clients, de ne plus arriver qu’en bout de chaîne. »

En clair, Google pourrait profiter de ces données pour proposer un service multimodal complet et détourner de l’achat direct les voyageurs. Vous taperiez « Paris-Marseille » et plutôt que de tomber sur Voyages.SNCF.com vous seriez gentiment guidé par Google vers diverses possibilités de transports à partir de votre heure de départ souhaitée... Tout cela étant bien sûr à mettre en regard de l’ouverture à la concurrence, prévue pour les années à venir.

Pourtant, ces craintes apparaîtraient peu fondées. La SNCF partage déjà ses horaires de TGV via Merits, la base de données commune des opérateurs ferroviaires. Quant aux données, il suffirait de les publier sous la licence OdBL, qui entraverait (normalement) la réutilisation par Google.

Mais il est vrai que le sujet est délicat... L’intermodalité intéresse de nombreux acteurs – start-up, géants du Web, agence publique (AFIMB) et opérateurs historiques (la SNCF a ainsi développé l’application MyTripSet). D’ailleurs le gouvernement a lancé, il y a plusieurs mois, une réflexion sur l’open data et les transports et un rapport sur le sujet pourrait être rendu avant la fin de l’année.

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