Matzneff : l'immigration, "patrimoine de la France"

L'écrivain d'origine russe rappelle ce que l'immigration, qu'elle soit russe au XIXe siècle ou arabe au XXe, a pu apporter à la culture française.

Par Gabriel Matzneff

Gabriel Matzneff rappelle
Gabriel Matzneff rappelle "l'extraordinaire enrichissement" que représente l'immigration, d'où qu'elle vienne. © JAUBERT/SIPA

Temps de lecture : 3 min

Mardi soir, regardant le Grand Journal de Canal+, j'ai été amusé par l'air de mater dolorosa pris par M. Robert Ménard tandis qu'il expliquait à Natacha Polony les souffrances que lui cause, dans sa bonne ville de Béziers, un quartier où les immigrés sont plus nombreux que les Français. Oui, le maire de Béziers m'a fait rire, car il m'a remis en mémoire une anecdote que l'on racontait dans mon enfance.

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La scène se passe dans le 15e arrondissement de Paris. Un monsieur entre dans un immeuble de la rue Blomet. Sur la porte de la loge, un écriteau : "La concierge est absente." Le monsieur demeure immobile, perplexe. Il est rassuré par des bruits de pas dans l'escalier. C'est une dame qui le descend avec une lenteur majestueuse. Lorsqu'elle arrive dans l'entrée, le monsieur ôte son chapeau et lui demande avec déférence :

- Je vous prie, madame, de m'excuser, mais la concierge n'est pas dans sa loge, je viens prendre le thé chez une amie... Auriez-vous l'obligeance de me dire à quel étage habite Mme Durand ?

Alors, la dame de lui lancer un regard hostile et, d'un ton réprobateur, de s'exclamer, avec un accent russe à couper au couteau :

- Monsieur, il n'y a pas d'étranger ici !

Vie dure

De fait, à cette époque, vu la proximité des usines Citroën où les Russes blancs avaient été embauchés en masse, le 15e arrondissement constituait une sorte de petit Paris russe. Des Russes très attachés à leur langue, à leur foi, à leurs coutumes, à leur patrie perdue, qui vivaient entre eux et n'avaient pas la moindre envie de se plier aux exigences de l'intégration républicaine. Leur vie était très dure. Le futur métropolite Antoine Bloom, alors un adolescent de dix-sept ans, la décrira lors du jubilé de l'église des Trois-Saints-Docteurs, rue Pétel, une des quatre paroisses orthodoxes créées dans le 15e durant les premières années de l'émigration :

"Ce fut une période d'extrême misère. Cinq moines vivaient là dans des cellules vétustes, l'argent manquait même pour se procurer de la nourriture. Le soir, on pouvait voir le vieil évêque Benjamin, couché sur le sol, enroulé dans sa cape de moine ; sans sa cellule, sur sa couche, il y avait un mendiant, sur le matelas un autre mendiant, sur le tapis un troisième ; pour lui, il n'y avait pas de place."

Les Russes blancs furent accueillis en France, mais ils n'y furent pas les bienvenus. On leur préférait les Polonais. C'était un peu le sketch de Coluche sur ces Arabes qui viennent manger le pain de nos Portugais. Que les étudiants de Sciences Po qui me lisent aillent à la Bibliothèque nationale jeter un oeil sur la presse française des années 1920 et 1930, ils pourront constater que je n'exagère pas. Quatre ans avant ma naissance, un Russe blanc nommé Gorgouloff eut en outre la mauvaise idée d'assassiner le président de la République française, Paul Doumer. Cela, on le comprend, n'améliora pas notre cote d'amour. L'ensemble des émigrés russes en pâtit, comme plus récemment l'ensemble de la communauté arabo-musulmane a, par ricochet, souffert des crimes commis par Mohamed Merah.

Extraordinaire enrichissement

Aujourd'hui, j'imagine que la France, celle de droite, celle de gauche, a pleine conscience de l'extraordinaire enrichissement que fut pour elle l'émigration russe, et cela dans tous les ordres. Je n'ai pas encore été invité à visiter le musée de la Porte dorée que vient d'inaugurer le président François Hollande, j'ignorais même, je l'avoue, jusqu'à la semaine dernière, qu'un tel musée de l'Histoire de l'immigration existât, mais la Russie y occupe sans le moindre doute une place d'importance : la génération des premiers émigrés, celle de mes grands-parents, et celles qui suivirent (sans oublier celles qui, depuis le lointain mariage de la princesse Anne de Russie avec le roi Henri Ier de France, précédèrent la Première Guerre mondiale). Je ne suis certes qu'un Français par le droit du sol, donc un Français de second ordre selon Marine Le Pen, et nous sommes nombreux dans ce cas, mais j'ose néanmoins espérer que nos travaux s'incorporent, aux yeux du président de la République et à ceux du directeur de ce musée, au patrimoine de la France.

Rassurez-vous, cher monsieur Ménard. Émigrés russes, immigrés arabes, même combat ! Un jour, Béziers aura de multiples occasions d'être fière de ses Biterrois français selon le droit du sol, aux noms bizarres et à la religion apparemment exotique. N'ayez pas peur de Gorgouloff ! Il y a en France plus de Marina Vlady que de Gorgouloff, plus d'Abdellatif Kechiche que de Merah.

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Commentaires (70)

  • bill34

    La grande différence entre l'émigration ancienne et la nouvelle, c'est qu'à l'époque les émigrés voulaient s'intégrer (c'était pour eux un honneur) et de fait à l'école de la république la deuxième génération y parvenait.
    L'image culpabilisante de la décolonisation imposée par les pseudo bien pensants et les politiques avides de voix ont pourri le système qui avait bien marché jusque là. Plus les générations avancent et moins elles s'intègrent.
    Parce que c'est sans doute infamant il n'est plus possible de dire qu'on est noir, blanc, catholique, musulman, on pratique la discrimination positive, on ne désigne pas les coupables de délits, on supprime les notes à l'école, bref on nous enfume pour faire renter tour le monde dans le moule. De grâce ouvrons les yeux et rétablissons l'ordre normale des choses ! Arrêtons de faire croire qu'on peut avoir le beurre et l'argent du beurre, Pour conclure, rétablissons le goût du travail et luttons pour chasser ceux qui actuellement tirent les marrons du feu en nous culpabilisant !

  • UNIQUE42

    Il y avait peut-être d'autres raisons de ne pas les apprécier : Je me souviens d'un ami, russe blanc, noble, dont la nourrice ne voulait ni parler, ni écouter le français !
    Sa mère, son oncle avaient bien entendu adopté notre langue, mais la nourrice s'y refusait absolument.
    Comment dans ces conditions peut-on trouver quelqu'un aimable ?

  • pascequejenpense

    Il en est de même, que, pour certains médicaments ! En excès, cela peut être dangereux... A dose homéopathique, pas de problème, surtout avec des génériques assimilables...