POLITIQUE - Régulièrement, des cartes et des courbes montrent que les votes en faveur du Front national atteignent leur pic dans les périphéries des grandes villes, aussi appelées couronnes périurbaines. Forts de ce constat, certains n'hésitent pas à voir dans le périurbain un terreau du Front national. Ce point de vue est très réducteur.
Des territoires périurbains vastes et variés
Les territoires périurbains sont trop vastes et trop variés pour être réduits à un vote. Ainsi, la couronne périurbaine de Paris compte à elle-seule 1385 communes ! Dans cet ensemble, les votes sont très divers, reflet d'un peuplement lui-même très varié. Contrairement à ce que pourrait laisser penser une lecture rapide des thèses de Christophe Guilluy, le périurbain n'est pas uniquement peuplé de ménages modestes ou en difficulté.
Beaucoup de ménages aisés sont attirés par les nombreuses communes périurbaines qui offrent une bonne accessibilité à des emplois, tout en proposant un cadre de vie villageois, avec une faible densité et beaucoup de verdure (près de 9 communes périurbaines sur 10 ont moins de 2000 habitants). Et les habitants de ces communes ne votent pas en masse pour le Front national.
À Châteaufort par exemple, commune périurbaine verdoyante et bien située des Yvelines, les habitants ont très peu voté pour Marine Le Pen, qui a obtenu 6,83% au premier tour de l'élection présidentielle de 2012. L'orientation politique dominante va vers le centre-droit avec une préoccupation marquée pour l'environnement, reflet du fort engagement des Castelfortains dans la création du parc naturel régional de la Vallée de Chevreuse. Et Châteaufort n'est qu'un exemple.
D'une manière générale, les populations périurbaines les plus aisées votent d'abord pour l'UMP et le centre-droit. Dans les communes périurbaines plus populaires, généralement moins bien situées, le vote majoritaire peut être à gauche, et peut parfois aller pour une part significative au parti communiste, notamment dans les territoires qui accueillent de longue date des industries. On s'abstient aussi beaucoup.
Vote FN et éloignement des grandes villes
Mais venons-en au vote pour l'extrême droite. Les études fines, notamment celles de Michel Bussi, Jérôme Fourquet et Céline Colange, montrent que c'est moins le périurbain en tant que tel, que l'éloignement des grandes villes qui est corrélé à ce vote : plus on s'éloigne des grands centres urbains et plus on vote pour le Front national, ceci jusqu'aux confins des couronnes périurbaines (au-delà, dans les territoires ruraux, la tendance s'inverse et le vote pour le Front national décline).
Il faut principalement voir là un résultat du marché immobilier ou plus exactement du système de production de logements. Une large part des ménages qui achètent un logement neuf disposent d'un revenu mensuel inférieur à 2500 euros. Motivés par des discours politiques et médiatiques qui font de la propriété de son logement un aboutissement essentiel de toute vie réussie, ces familles s'endettent à hauteur du tiers de leurs revenus pour emprunter au mieux 150 000 euros. Avec un tel budget, pour trouver un logement familial, il faut souvent s'éloigner. Il faut prospecter à plus de 100 km du centre de Paris ou à plus de 40, voire 50 km du centre des autres grandes agglomérations.
Ainsi, sous l'effet de la centrifugeuse qu'est devenu le marché immobilier, des citadins ouvriers et employés s'installent de plus en plus loin des centres des villes, dans des communes jusque-là plutôt rurales, qui étaient déjà populaires. Les périphéries des grandes villes s'affirment donc comme des espaces d'ouvriers et d'employés. Et on le sait, les discours du Front national rencontrent de forts échos dans ces milieux. Là réside la principale explication du vote plus marqué en faveur du Front national dans les périphéries éloignées des villes.
Ceci étant dit, les travaux de Michel Bussi, Jérôme Fourquet et Céline Colange montrent que les ouvriers et les employés votent plus pour le Front national dans le lointain périurbain que dans les centres des grandes villes. En 2012, le Front national a recueilli 35 % des suffrages exprimés par les ouvriers et employés qui résident entre 40 et 50 kilomètres des centres, alors qu'il en a recueilli "seulement" 25% parmi les ouvriers et employés qui résident dans les centres des grandes villes ou à leur proximité immédiate.
Qui sont les périurbains qui votent FN ?
Comment expliquer cet écart ? Par deux éléments. Le premier, apporté par Jean Rivière, est que les ouvriers et employés qui votent le plus pour le Front national sont les autochtones, les périurbains malgré eux. Loin de l'image de périphéries blanches véhiculée par certains, les espaces périurbains les plus éloignés des centres accueillent beaucoup de familles issues de l'immigration récente (impossible évidemment de donner un chiffre). Et ces familles ne sont pas toujours accueillies à bras ouverts. Pour beaucoup d'autochtones, une famille d'origine maghrébine, turque ou noire africaine qui s'installe, c'est "la banlieue qui débarque".
Deuxième élément d'explication, pour les nouveaux arrivants, l'éloignement a un fort impact. Les frais de transport pèsent lourd, parfois même très lourd, dans les budgets : d'après l'INSEE, les accédants modestes à la propriété du périurbain de l'Île-de-France consacrent souvent plus du tiers de leur revenus aux seuls transports, en sus du tiers qu'ils consacrent déjà à leur logement. Pour une famille qui gagne 2500 euros, il reste souvent moins de 1000 euros chaque mois pour la nourriture et les frais divers. L'éloignement implique aussi des journées de travail allongées par des trajets très longs, dans des communes par ailleurs peu équipées pour la garde des enfants. Au total, une fois installées, beaucoup de familles découvrent une vie quotidienne plus difficile qu'anticipé. Et les discours qui stigmatisent les "assistés" ne peuvent que retenir leur attention...
Ceci étant, le vote Front national n'exprime pas un malaise périurbain. Le périurbain n'est pas un espace en lui-même pathologique. Il y a surtout un problème avec un système de production de logements qui pousse des familles modestes dans des petites communes excentrées généralement mal équipées et très mal desservies par les transports en commun. Ce problème vient se cumuler aux difficultés économiques et sociales auxquelles les ouvriers et employés sont confrontés et aux diverses formes de rejet de l'immigration récente (dont l'impact est, soit dit en passant, largement surestimé par les tenants des thèses de la crise identitaire).
Ce texte est une version remaniée d'une tribune publiée dans Libération le 20 février 2014.