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Comment les étudiants nord-coréens utilisent Internet

Will Scott a enseigné pendant quelques mois à l’université de Pyongyang. Il en est revenu surpris de la connaissance informatique de ses étudiants.

Propos recueillis par  (Hambourg, envoyé spécial)

Publié le 31 décembre 2014 à 18h55, modifié le 19 août 2019 à 13h55

Temps de Lecture 4 min.

Dans une bibliothèque à Pyongyang.

La Corée du Nord n’est pas le premier pays qui vient à l’esprit lorsqu’on décide d’enseigner à l’étranger. C’est pourtant dans une université de Pyongyang, la capitale du pays, que l’Américain Will Scott, doctorant en informatique, a choisi de se rendre à deux reprises pendant l’automne.

Sur place, l’enseignant a donné deux cours, l’un sur les systèmes d’exploitation et l’autre sur les bases de données. Il était présent au Chaos Communication Congress, à Hambourg, pour raconter son expérience.

Pourquoi la Corée du Nord ?

Pendant mes études, j’ai étudié en Chine. A ce moment-là, la Corée du Nord restait un pays dont je ne savais rien. Quand j’ai découvert que cette université existait, je leur ai envoyé un courriel leur demandant s’ils donnaient des cours d’informatique. Il se trouve que c’était le cas. Le recteur de l’université [l’université, internationale, dispose de deux recteurs, un Nord-Coréen et un étranger] se trouvait être Américain et m’a répondu. Il rentrait dans sa famille pour les vacances et nous nous sommes rencontrés. J’ai pu me rendre compte que cette université existait depuis quelques années, que je n’allais pas me faire arrêter si j’y allais. J’ai postulé, j’ai été retenu et neuf mois plus tard, à l’automne, j’y suis allé.

Qu’avez-vous enseigné ?

Un cours de système d’exploitation, pour les élèves plus âgés, et un cours pour les élèves un peu plus jeunes sur les bases de données.

Qui étaient vos étudiants et d’où venaient-ils ?

Les étudiants avaient tous choisi cette université. Beaucoup semblaient issus de la classe moyenne de Pyongyang, avec des parents médecins par exemple. Agés de 21 ou 22 ans, ils avaient déjà une ou deux années d’études supérieures. Certains avaient déjà étudié l’informatique, mais beaucoup étaient des débutants.

Concrètement, que faisaient-ils pendant vos cours ?

Beaucoup se sont penchés sur des applications Android. Par exemple, l’un d’entre eux a travaillé à ajouter la reconnaissance de caractère à un dictionnaire, pour que ce dernier puisse prendre des photos et reconnaître le mot.

Est-ce qu’ils connaissaient Internet ?

Oh oui, bien sûr, ils connaissaient Internet. Ils connaissaient Bill Gates, Mark Zuckerberg, Steve Jobs. Les informations leur parviennent d’un nombre surprenant d’endroits. Ils savaient aussi qu’Eric Schmidt [le PDG de Google] avait visité le pays, car cela avait été relayé dans les journaux. Ils connaissaient l’entreprise et savaient ce qu’elle faisait. On parlait des réseaux sociaux, je leur ai expliqué ce qu’était Dropbox.

A quel réseau avaient-ils accès ?

Sur le campus, nous avions accès à l’Internet traditionnel. C’est un débat récurrent au sein de l’université : les professeurs plaident pour un accès plus large et la direction est réticente. Les étudiants en équivalent de master et de dernière année de licence ont accès à Internet. Il y a du filtrage, mais je ne sais pas exactement lequel. Ce n’est pas un accès complètement restreint. Les étudiants l’utilisent pour de la recherche et pour leurs devoirs. Ils n’ont pas d’adresse e-mail, ils ne l’utilisent pas pour socialiser.

Est-ce qu’il y avait une volonté de leur part d’utiliser ces outils ?

Je pense qu’ils voyaient l’intérêt de ces outils, mais ils veulent avant tout des outils qu’ils puissent contrôler. L’un d’entre eux voulait ainsi construire un moteur de recherche, mais dans l’optique de le contrôler. Ils voyaient surtout Internet comme quelque chose d’utilitaire, qu’on peut utiliser pour le commerce, pour monter son entreprise. Ils ne voyaient pas ça comme quelque chose de social, pour avoir des interactions.

Ça n’est pas si différent d’autres classes dans le monde…

C’est si peu différent que c’en est surprenant. Sauf pour certains détails. Ainsi, certains exemples de manuels scolaires n’ont pas vraiment de sens. Dans mon cours sur les bases de données, ils devaient travailler sur des réalités qu’ils ne comprenaient pas, comme des bases de données d’une banque ou d’un réseau de taxi. A Pyongyang, il y a juste un centre d’appel, vous appelez et un chauffeur vient vous chercher.

La principale difficulté était l’électricité, plus pour moi que pour mes étudiants. Je devais être prêt à donner mon cours sans électricité, car il y avait possibilité de coupure tous les jours. Je me suis rendu compte qu’il fallait mieux que j’utilise un feutre et le tableau qu’un projecteur et des slides.

Est-ce que vous avez pu nouer des liens avec les étudiants ?

On habitait sur le campus, on a donc partagé des repas, je les ai côtoyés dans des situations informelles. On avait des discussions sur les endroits où nous avions grandi. On a beaucoup parlé de sport, mais pas de politique. Non pas que c’était inapproprié, mais j’ai senti qu’on ne pourrait pas vraiment avoir de vraie conversation sur ce sujet. J’ai eu l’impression que ça serait juste embarrassant pour tout le monde : eux sont obligés de répéter la ligne du parti, ce qui ne leur plaît pas, pas plus que moi à l’entendre.

Avez-vous eu l’occasion tout de même de savoir ce qu’ils pensaient de leur situation ?

Mes élèves n’étaient pas dans une si mauvaise situation et avaient des raisons d’être satisfaits. L’université envoie des étudiants à l’étranger, ils étaient dans un environnement relativement international.

Est-ce que l’informatique et Internet sont susceptibles de changer la façon dont ils voient le monde ?

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J’espère. Les membres de la classe aisée que j’ai côtoyés veulent pouvoir dire ce qu’ils veulent. Ce sont eux qui utilisent Internet et les téléphones mobiles, auxquels environ un million de Nord-Coréens sont abonnés. Quelques magasins vendent des tablettes et certains de mes étudiants en possédaient.

Pensez-vous que les gens se font une fausse image de la Corée du Nord ?

La façon dont la Corée du Nord est vue sur la scène internationale est très différente de la réalité à Pyongyang. Il existe une classe moyenne dont on entend jamais parler, qui se rend en avion en Chine, dont les étudiants partent à l’étranger, notamment en Suède, en Suisse ou en France. Certains sont un peu des citoyens du monde, même en étant Nord-Coréens.

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