Il fallait s’attendre que la menace du terrorisme islamiste nous hante encore longtemps après le massacre de Paris. En revanche, l’analyse des erreurs commises par la France en matière de prévention et surtout les contre-mesures que l’Occident comptait adopter pour mieux se protéger n’allaient pas de soi. Ces contre-mesures, discutées le 19 janvier dernier à Bruxelles par les différents ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne en vue du sommet du 12 février, ont un train de retard et risquent de passer à côté de deux aspects fondamentaux.

Il faudra assurément choisir entre sécurité et vie privée, et faire pencher la balance du côté de la première. Dorénavant, lorsque l’on prendra l’avion, les contrôles seront renforcés et nos données personnelles circuleront davantage. Les réseaux sociaux, utilisés par les terroristes avec une grande habilité et des complicités avérées (une web-télé d’information en continu est maintenant dans les cartons), seront eux aussi soumis à de nouveaux contrôles. Il faudra empêcher que la prison ne devienne dans certains pays une véritable école de l’islamisme agressif. Mais même si tout cela devait se concrétiser (et c’est loin d’être gagné), deux initiatives manqueraient à l’appel. Elles sont pourtant nécessaires, en dépit des réserves qu’elles suscitent.

Refinancer l’antiterrorisme

Nous n’ignorons pas que l’Europe traverse une période de cure d’austérité. Il est impératif, de l’avis général, de réduire la dépense publique. Mais la menace terroriste réclame une exception qui a sauté aux yeux à Paris. Il n’y avait que deux policiers seulement pour protéger une cible déclarée du terrorisme, Charlie Hebdo. Quant aux frères Kouachi, ils avaient été lâchés dans la nature après des mois de surveillance. Quelqu’un a fait les mauvais choix mais, au-delà des erreurs, surveiller un terroriste potentiel vingt-quatre heures sur vingt-quatre requiert parfois quinze ou vingt hommes – des effectifs qui ne sont plus disponibles à cause des “coupes” et de la multiplication des menaces. Il faut refinancer les activités d’antiterrorisme partout, et exiger une plus grande efficacité et une collaboration plus poussée.

Le second aspect essentiel concerne le financement des terroristes. Prenons l’organisation Etat islamique (Daech). Elle se renfloue en vendant du pétrole, en Syrie et surtout en Irak où le “calife” Al-Baghdadi abat ses meilleurs atouts. Le rôle de l’Etat islamique au Yémen, support ou rival de l’antenne d’Al-Qaida, n’est pas encore clair. En attendant, l’organisation a eu les moyens d’enrôler de nouveaux adeptes et d’acheter de nouvelles armes.

Nos alliés commerciaux financent nos ennemis

On en vient au cœur du problème : avant d’être une guerre contre l’Occident, la guerre que livrent l’Etat islamique, Al-Qaida et tant d’autres est d’abord une guerre entre combattants islamiques, entre sunnites et chiites, mais également entre factions d’un même camp. La géographie de la terreur est un véritable casse-tête, ne serait-ce que pour verser les rançons aux ravisseurs afin de libérer les otages.

Tout le monde, à commencer par les services de renseignements, sait bien qu’à côté de ces flots d’argent les caisses des différentes formations terroristes sont renflouées par des Etats arabes qui adorent jouer sur plusieurs tableaux, pour des motifs intérieurs ou régionaux : l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweït, et peut-être d’autres encore. Ces Etats s’avèrent être nos amis, nos alliés, nos fournisseurs, nos partenaires commerciaux. Nous ne voulons pas, pour une question d’intérêts, en faire des ennemis. Mais ne devrions-nous pas réclamer un peu plus de cohérence ? Et les Etats-Unis avec nous – même si c’est George Bush junior qui a profondément bousculé l’équilibre du Golfe en livrant l’Irak aux chiites et en offrant une assise stratégique inédite à l’Iran chiite.

Sacro-sainte liberté d’expression

Nous n’avons plus les moyens d’esquiver les questions épineuses. Nous devons nous défendre, et cela implique de durcir le ton. Cela passe également par une discussion sans préjugés sur les caricatures de Mahomet, qui élargissent continuellement ce que les experts appellent le “bassin de recrutement” du terrorisme (surtout en Afrique et dans le Caucase). Et les tenants de ces caricatures devraient peut-être aussi tenir compte du monde réel au lieu de défendre notre sacro-sainte liberté d’expression.