Vous publiez un livre* qui appelle à "sauver le droit du travail". Pourquoi ce cri d'alarme?

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Depuis plusieurs années maintenant, on entend revenir un discours très féroce et trop systématique sur le droit du travail, accusé de tous les maux de l'économie française. Alors que pour moi, l'impact de son détricotage - car c'est de ça dont il s'agit - serait sans effet sur eux. On oublie que le droit du travail est un élément essentiel du capitalisme moderne: il accompagne la subordination des salariés et sert aussi à protéger la personne humaine, la sécurité ou la vie privée des salariés. Mais ce n'est pas lui qui fait l'emploi et la croissance. J'ai été frappé par la remise en cause du CHSCT, l'un des principaux dispositifs qui protège l'intégrité physique et morale des salariés. Il est important pour eux, mais aussi pour la paix sociale dans l'entreprise.

On critique souvent le code du travail pour sa complexité. A-t-il vraiment besoin d'être si volumineux?

Je ne conteste pas le fait que certaines règles sont trop complexes, sur les CDD ou les seuils sociaux par exemple. On peut sûrement simplifier, mais à la marge. Car la complexité peut aussi être une richesse. Traiter différemment les PME et les grandes entreprises, c'est fondamental. Ça génère de la complexité, mais elle a son utilité. Ce qui m'inquiète, c'est que le discours sur la simplification cache souvent un discours sur le fond du droit. Pour simplifier notre système de représentation du personnel, on veut fusionner le CHSCT, le CE et les délégués du personnel, mais est-ce seulement au nom de la simplification? Bien sûr que non, il y a des enjeux politiques derrière.

Vous ne pensez pas qu'en allégeant le droit du travail, les entreprises auraient moins peur d'embaucher?

C'est la théorie des "insiders" - ceux qui ont un emploi stable - et des "outsiders", qui en sont exclus. Aujourd'hui, on s'intéresse à l'emploi, à raison, mais on en vient à oublier le travail, les conditions de travail. Or il ne faut pas oublier que des problèmes comme les risques psycho-sociaux ou les troubles musculo-squelettiques explosent. Je trouve inquiétant qu'on arrive à opposer l'emploi et le travail, avec l'idée que si l'on protège trop ceux qui ont un emploi, on va handicaper les autres. Cette équation me semble redoutable, car on n'a jamais prouvé sa véracité. Or on prend un risque considérable, car on détricote les protections pour un objectif que l'on n'est pas certain de remplir.

Parfois les salariés eux-mêmes acceptent, par exemple, de travailler plus pour sauver des emplois...

En droit, le contrat de travail est la rencontre de deux volontés. Il est essentiel de préserver ce principe, c'est à dire que le salarié et l'employeur s'entendent au moment de l'embauche sur un salaire, une durée de travail, etc. Or depuis quelques années, on considère que ce pacte ne serait plus si fondamental, qu'il faudrait le remettre en cause au nom des partenaires sociaux, de l'intérêt général. Le vrai débat selon moi, c'est faut-il laisser de côté le contrat individuel parce qu'une mesure a été négociée au niveau collectif? Il faut rappeler son importance et le protéger au maximum. Le seul bémol à lui apporter, c'est qu'en droit du travail, il y a aussi un principe de subordination du salarié à l'employeur. Il y a donc quelque chose de suspect dans sa volonté. Quand on dit 'pas de problème, le salarié est volontaire', sur le travail du dimanche par exemple, ça ne peut pas suffire. C'est pour ça qu'il est si important de prévoir une vraie contrepartie financière.

Que pensez-vous de rattacher les droits des salariés à la personne plutôt qu'à son contrat, comme cela commence à se faire sur la formation, par exemple?

C'est une idée intéressante parce qu'avant d'être un salarié, l'individu au travail est un humain avec des droits à protéger. Et aussi parce que beaucoup exercent dans des zones périphériques au salariat, comme les auto entrepreneurs. L'idée d'une continuité des droits est positive. Mais il faut faire attention, parce qu'il y a des excès possibles derrière la "flexisécurité": l'idée que, finalement, avoir un contrat de travail n'est pas si important parce que les protections sont ailleurs. Même si vous n'en avez pas, on vous garantira des formations ou un revenu correct, alors qu'on connaît l'importance du travail pour la dignité des personnes. Prudence donc...

Faut-il d'après vous fusionner CDD et CDI en un contrat unique?

L'idée sous-jacente est toujours la même: que les protections des salariés handicapent l'emploi et qu'il faut faciliter les licenciements. Pour moi, ce n'est pas comme ça que l'on aura des effets. Aux Etats-Unis, qui pratiquent le "employment at will", un nombre croissant d'États y développent des protections, car quand un salarié sait qu'il peut partir du jour au lendemain, ça a un impact négatif sur la qualité de son travail. La France a ratifié la convention 158 de l'OIT qui exige un juste motif de licenciement. Elle a déjà été un obstacle au CNE et au CPE. Le contrat unique ne peut donc pas être mis en place en l'état, sauf à dénoncer ce texte qui définit des règles minimales de protection. C'est un signal inquiétant que l'on en arrive là, et ça ne me semble pas une bonne idée d'un point de vue de juriste. Certes, la parole des économistes est essentielle, je ne conteste pas sa légitimité. Mais il ne faut pas analyser les lois sous le seul regard économique. Les juristes ont aussi leur mot à dire sur les évolutions de la société.

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