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Les aficionados du Qatar

Le Qatar, qui dispute vendredi 30 janvier les demi-finales de son Mondial, a dû faire venir une soixantaine de supporteurs d’Espagne pour remplir les gradins.

Par  (Doha, envoyé spécial)

Publié le 27 janvier 2015 à 17h16, modifié le 19 août 2019 à 13h39

Temps de Lecture 7 min.

Des supporteurs du Qatar après la victoire de leur équipe contre l'Allemagne le 28 janvier.

Ce doit être une première dans une compétition sportive internationale : les véritables vedettes du Mondial de handball au Qatar, qui s’achève dimanche 1er février, n’auront pas été des joueurs, mais des supporteurs : Arantxa, Pablo, Roberto et la soixantaine d’aficionados qui ont élu domicile dans la section 107 de la magnifique enceinte de Lusail. Et qui, comme leurs prénoms l’indiquent, sont de fervents soutiens de l’équipe du Qatar !

Le petit émirat, qui avait obtenu l’organisation du Mondial 2015 il y a quatre ans au nez et à la barbe de la France, ne disposait à l’époque d’aucune salle capable d’accueillir une telle compétition ? Il en a fait pousser trois d’un coup dans le désert, toutes plus belles et plus fonctionnelles que n’importe quelle arène de l’Hexagone. Il n’avait pas d’équipe nationale digne de ce nom ? Il s’est attaché les services de l’entraîneur champion du monde en titre, l’Espagnol Valero Rivera, et la mosaïque de joueurs importés des quatre coins du monde que celui-ci a constituée devait disputer vendredi la demi-finale de son tournoi face à la Pologne, après un formidable parcours.

Lire aussi le blog d’Henri Seckel, envoyé spécial au Qatar

Restait la question de la ferveur populaire, point d’interrogation majeur dans ce pays non totalement dénué de culture handball mais qui en est encore à la préhistoire en matière de supporteurs. Et visiblement, la passion s’achète aussi. Ce sont donc 60 Espagnols qui ont été sélectionnés pour assurer l’ambiance lors de matchs du pays hôte. Parce qu’ils comptent parmi les plus bruyants supporteurs du championnat ibérique. Et parce que la présence d’un compatriote à la tête de la sélection qatarie rendait leur tâche un peu moins absurde.

Tous les frais (avion, hôtel, places, nourriture) de ces passionnés, ravis d’assister à un Mondial, ont été couverts par l’émirat – ils assurent ne pas avoir touché d’argent par ailleurs. On ne leur a demandé qu’une chose en échange : faire un maximum de boucan pendant une heure, et se réjouir à chaque but du Qatar.

Ils n’ont en revanche pas dû, contrairement aux joueurs «  qataris  » venus de Cuba, de Bosnie ou de France, apprendre par cœur l’hymne national, pendant lequel ils se sont contentés, à chaque fois, de lever les deux bras et de tendre fièrement au-dessus d’eux l’écharpe du Qatar qui leur avait été fournie. Ils ont même eu le droit de faire une entorse au contrat lors du match du premier tour opposant le Qatar à… l’Espagne. Ce jour-là, en habits neutres, ils avaient célébré les buts qataris tout en se réjouissant de la victoire de leur équipe de cœur (28-25).

«  C’est vraiment taré »

On ne connaît pas encore l’identité du champion du monde, mais l’image qui restera de ce tournoi sera à coup sûr le curieux spectacle de ces Espagnols blanc et pourpre de la tête aux pieds, encourageant une équipe fabriquée de toutes pièces en hurlant «  Vamos Qatar ! » et en agitant frénétiquement les bras sur l’air de Paquito el chocolatero. «  C’est vraiment taré », a réagi Tobias Karlsson, le capitaine de l’équipe de Suède, exprimant le sentiment de bon nombre de joueurs. Questionné à ce sujet en conférence de presse, Valero Rivera a esquivé (en français) : « Je ne parle pas de ça. Je parle de la balle. C’est une autre personne qui parle de ça. » On la cherche toujours, le comité organisateur du Mondial n’ayant répondu à nos questions que par un mail formaté pour se féliciter du succès populaire du tournoi.

Sur le sujet, Claude Onesta a fait preuve d’un pragmatisme à la limite du cynisme : « Pourquoi pourrait-on accepter que tout soit à vendre et que tout d’un coup il y ait une espèce d’éthique à ce niveau ? Ces gens-là, on peut leur vendre des centrales atomiques, on peut leur vendre des TGV, on peut leur vendre des Mirage, mais il ne faut pas leur vendre de supporteurs. » Et le sélectionneur des Bleus de poursuivre : « Moi, ce monde où tout se vend me navre. Mais si le joueur du Qatar qui chante l’hymne avec la main sur le cœur prend de l’argent, pourquoi le supporteur ne ferait pas pareil ? »

« Moi, ce monde où tout se vend me navre. Mais si le joueur du Qatar qui chante l’hymne avec la main sur le cœur prend de l’argent, pourquoi le supporteur ne ferait pas pareil ? »

« Je trouve ça bien, a estimé Bertrand Roiné (supplément « Sport & forme » du 24 janvier), qui défend son employeur puisque le Français joue pour l’équipe nationale du Qatar. C’est un pays jeune, les Qataris n’ont pas la culture sportive qu’on peut avoir en Europe. Ils aiment bien le sport, mais ils préfèrent le regarder à la télé que de venir dans les salles. Au premier match, on n’entendait que la troupe espagnole, mais j’ai l’impression que les autres supporteurs se sont pris au jeu. »

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Ce n’est pas faux. Si le match d’ouverture entre le Qatar et le Brésil s’est joué dans une salle qui sonnait creux – 2 000 spectateurs à tout casser –, les autres rencontres du pays hôte ont généré des affluences décentes : près de 10 000 personnes lors de Qatar-Slovénie, et plus de 12 000 pour Qatar-Espagne ou pour le huitième de finale face à l’Autriche.

Le Monténégrin Zarko Markovic sous les couleurs du Qatar contre l'Allemagne, le 28 janvier, aux Mondiaux de Doha.

Comme lors des Jeux olympiques de Londres ou de Pékin, des militaires ont parfois été appelés à la rescousse pour occuper les sièges vides – en l’occurrence, des élèves de l’école militaire qu’on aurait dits clonés, crâne rasé, jogging noir, tee-shirt blanc. On a aussi vu des Qataris « authentiques » en dichdacha blanche. Mais l’immense majorité de ces spectateurs n’étaient pas originaires du Qatar. Ce qui n’est pas illogique vu la démographie de l’émirat, qui compte 2,2 millions d’habitants mais moins de 300 000 Qataris. Dans les gradins, on a donc croisé toutes les communautés qui composent ce pays-patchwork. Des Indiens, des Népalais, des Pakistanais, des Jordaniens, des Nigérians ou des Kényans comme Antony, 43 ans, agent de sécurité qui vit depuis sept ans à Doha et qui a découvert le handball à l’occasion de Qatar-Chili : « C’est gratuit. Tu viens, tu dis que tu veux voir le match, tu entres et ils t’offrent un tee-shirt du Qatar. »

Oui, comme pour les Mondiaux de natation en petit bassin ou le tournoi de tennis qui viennent d’avoir lieu à Doha (respectivement début décembre et début janvier), l’entrée aux matchs de l’équipe qatarie était gratuite. « Ce n’est pas pour gagner de l’argent que le Qatar organise ce tournoi, nous a expliqué Abdulla Al-Yafi, 24 ans, employé de la compagnie des eaux, rencontré dans les tribunes. J’ai voyagé en Europe, je suis allé en Estonie, en Finlande, en Suède, et les gens ne savaient pas ce que c’était que le Qatar. C’est pour ça que le pays veut organiser des compétitions sportives, pour que les gens sachent où on est sur la carte. »

Lors de Qatar-Slovénie, on a même croisé des supporteurs français les joues peinturlurées en blanc et pourpre : le matin, l’organisation du tournoi les avait contactés pour leur demander s’ils souhaitaient venir gratuitement au match puisqu’il restait des places pour la rencontre.

Tout cela a contribué à assurer une atmosphère joyeusement foutraque lors des matchs du Qatar. Pour le reste, hormis lors des rencontres de l’Egypte et de la Tunisie – deux communautés importantes au Qatar –, qui ont attiré une foule bruyante, on a parfois pu entendre les joueurs se parler sur le terrain tant l’ambiance était calme, notamment lors d’un surréaliste Allemagne-Russie disputé devant 600 spectateurs au Lusail Multipurpose Hall, qui peut en accueillir 15 300. Bertrand Roiné, là aussi, défend son pays adoptif : « Je me souviens de certains matchs du Mondial en Suède [qu’il avait disputé avec l’équipe de France] : on jouait dans des salles vides, et personne n’en parlait. J’ai l’impression qu’on veut un peu taper sur le Qatar. »

Des supporteurs qataris lors du match d'ouverture Qatar-Brésil, le 15 janvier à Doha.

Pour éviter le vide absolu, le comité d’organisation avait pris soin d’inviter, hormis les soixante fameux « Hispano-Qataris », vingt aficionados de chacune des nations participantes, tous frais et billets payés.

Les supporteurs français ont été exceptionnellement nombreux lors des matchs des Bleus – entre 200 et 500 à chaque fois, et 500 de plus étaient attendus pour la fin du tournoi. Car, outre les 20 invités, plus de 60 fans avaient fait le voyage dès le premier tour à leurs frais (1 675 euros par tête), et les expatriés – quelque 4 000 Français vivent au ­Qatar – ont répondu présent. Soit en payant leur place (40 riyals, 10 euros), soit en bénéficiant de l’invitation de l’ambassadeur, qui a par exemple convié plusieurs centaines d’élèves, parents et professeurs du lycée Bonaparte de Doha.

Il y a quatre ans, le président de la Fédération qatarie de handball avait « garanti qu’il n’y aura[it] pas de siège vide » lors de son Mondial. Finalement, seuls trois matchs auront fait salle comble car les demi-finales et la finale affichent déjà complet. Il faut croire que les Qataris n’ont pas été convaincus par le slogan qui s’affiche dans les rues de Doha, notamment au-dessus du gigantesque handballeur qui orne la façade clinquante du ministère du travail, dans le quartier de West Bay : « Nothing beats live » (« Rien ne vaut [un match] en vrai »).

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