Si vous interrogez des Arabes sur la cause de tous leurs
malheurs, beaucoup vous répondront par un mot : complot. La théorie
du complot est devenue un trait de la mentalité arabe, théorie
confortable qui vous dispense de faire l’effort de réfléchir aux causalités comme de
faire votre autocritique. Elle permet au contraire de se considérer comme une
victime et de croire que tout irait bien sans les manigances de l’ennemi.

Généralement, les adeptes de cette théorie n’ont pas beaucoup
de mal à en démontrer la véracité. Les interventions étrangères sont là pour ça,
même celles qui celles qui sont motivées par des événements locaux.

Aussi beaucoup d’entre nous continuent-ils de parler avec
volubilité des Protocoles des sages de Sion, preuve, selon eux, qu’il suffit d’ouvrir les yeux pour comprendre que les événements historiques peuvent tous
être attribués à une poignée d’êtres maléfiques déterminés à établir leur domination sur les peuples de la terre
entière.

L’exemple du 11 septembre 2001
Depuis leur traduction en arabe, nombreux sont ceux qui sont
convaincus de leur véracité. Selon eux, ces Protocoles prouvent que les Juifs
dirigent un complot international afin de contrôler le monde. Et cela alors
qu’on sait aujourd’hui qu’il s’agit d’un faux [rédigé par la police secrète
russe en 1901, à l’époque du tsar Nicolas II, et destiné à servir la
propagande antisémite].De grands intellectuels arabes, tels que [l’intellectuel et militant politique égyptien] Abdelwahhab El-Messiri
et [l’universitaire et écrivain égyptien] Youssef Ziedan, ont écrit qu’il s’agissait d’un faux. Ils sont même allés
plus loin en expliquant qu’y accorder crédit ne faisait qu’ajouter
au désespoir des Arabes et leur valait la réputation d’être racistes. Or beaucoup persistent à ne pas vouloir se libérer de ce cocon
intellectuel qui entrave la liberté de pensée, mais leur permet de se sentir
dans le rôle confortable de la victime qui mérite la compassion.

Autre exemple, plus récent : les attentats
du 11 septembre 2001. Le moins qu’on puisse dire est qu’ils font l’objet de
suspicion. En interrogeant les ressortissants des pays arabes, on serait surpris de
voir combien d’entre eux croient que ce sont les Etats-Unis eux-mêmes – ou Israël, leur
allié – qui les ont organisés, et ce afin de justifier leur guerre
contre le monde arabe et musulman.

Une des assertions qu’on entend souvent est
que des milliers de Juifs ne seraient pas allés travailler ce jour-là. Ils
auraient été avertis à l’avance des attentats. Ceux qui avancent cette thèse
n’expliquent pas comment des milliers de gens auraient pu être suffisamment
discrets pour que rien ne filtre d’une information de cette importance.

Des problèmes qui sont les nôtres
Le New York Times a mené l’enquête pour arriver à
la conclusion qu’en réalité 15 % des victimes étaient des Juifs. Pour ceux qui
voudraient le vérifier, les
noms et les photos des victimes sont toujours disponibles.
Or ces informations ne semblent pas être parvenues jusqu’aux Arabes. Qui plus est,
ceux-ci se montrent inébranlables dans leur conviction qu’il y a eu complot,
quand bien même Oussama Ben Laden a reconnu et revendiqué avoir été à l’origine
des attentats.

Le dernier
exemple en date de théorie du complot répandue dans la presse arabe,
c’est le “complot du ‘printemps arabe’ ”. Celui-ci découlerait du
concept du “chaos créateur” cher à l’administration
américaine de George W. Bush, qui voulait provoquer des changements
substantiels dans la région grâce à la guerre d’Irak.

La question qu’on
peut se poser est la suivante : comment un acteur, quelle que soit sa puissance,
pourrait-il détruire toutes les digues et provoquer un déferlement d’événements incontrôlables tout en croyant qu’il arrivera à les maîtriser ? De même, quel
intérêt y aurait-il à provoquer la chute de régimes tels que celui de Hosni
Moubarak en Egypte et de Zine Al-Abidine Benali en Tunisie, fortement liés à
l’Occident, pour parier sur un avenir incertain ?

Oui, l’Otan est intervenu en Libye. Oui, l’Occident est intervenu
au Yémen. Oui, tout le monde intervient désormais en Syrie. Mais ces
interventions sont-elles le seul élément qui compte dans tout ce qui s’est passé ? Pensons-nous réellement que les peuples arabes sont si inconscients que tout ce qui se passe chez eux ne peut avoir pour
origine qu’un complot ourdi à l’étranger ? Nos propres
pathologies intellectuelles, sociales et économiques dépassent de loin les
capacités d’une quelconque puissance étrangère pour créer les problèmes
qui sont les nôtres.