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Critique

10 milliards d'humains en 2050 ? Et si on avait tout faux ?

La prévision, un exercice difficile en démographie. Les variations de population sont soumises à trop d'aléas pour être anticipées de façon infaillible.

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Par Gérard MOATTI (Chroniqueur)

Publié le 6 févr. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Les sciences humaines sont soumises à deux tentations. La première est d'imiter les sciences « dures » en s'efforçant de dégager, à partir des faits observés, des modèles généralisables et des « lois » universelles. La seconde est de limiter leur vision, en ignorant les rapprochements avec les disciplines voisines. Ce sont des reproches qu'on adresse souvent aux économistes, mais qui peuvent viser aussi les démographes. Témoin, ce livre dont les auteurs, deux universitaires, partent en guerre contre quelques idées reçues et fausses évidences.

Une de leurs principales cibles est le concept de « transition démographique », devenu familier, même au profane. On connaît le mécanisme : dans une première phase - celle des sociétés traditionnelles -, la croissance de la population est faible ou nulle, avec des taux de mortalité et de natalité élevés. Avec les progrès de la médecine et de l'hygiène, la mortalité baisse et la fécondité ne suit le mouvement qu'avec un certain retard : d'où une hausse rapide de la population, avant que, dans une troisième phase, la baisse de la fécondité ne ramène la stabilité. Il s'agirait donc d'une transition entre deux équilibres, maintenant achevée dans les pays développés et en cours dans les pays en développement. Or ce modèle, disent nos auteurs, est très contestable, à la fois historiquement et géographiquement.

Historiquement, le prétendu équilibre de la phase « prétransition » est illusoire : d'énormes variations de population ont eu lieu, dont les grands ressorts ont été les épidémies, les famines et la violence politique. Ainsi, la « peste noire » du milieu du XIVe siècle a provoqué une baisse de la population européenne évaluée entre 30 et 50 % (celle de la France est passée de 17 à 10 millions); dans le territoire de l'actuel Mexique, la conquête du Nouveau Monde a ramené le nombre des habitants de 25 à moins de 2 millions entre le début et la fin du XVIe siècle. Géographiquement, le modèle de la transition suppose que les populations de l'ex-tiers-monde forment un ensemble homogène, destiné à connaître, comme celles du monde industriel, une baisse générale de la natalité. Or on constate au contraire, dans ces pays, une grande diversité des comportements en matière de procréation, relativement indépendante des niveaux de développement : par exemple, la population de l'Asie de l'Ouest augmente beaucoup plus rapidement (1,9 % l'an) que celle de l'Asie de l'Est (0,4 %).

Chaque cas est particulier

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Il faut donc, c'est la leçon du livre, se garder de simplifier : les concepts et les constats du démographe ne peuvent être interprétés sans référence à l'environnement économique, politique, culturel. Ainsi, à propos de la baisse de la fécondité, diverses explications « monocausales » ont été avancées : la baisse de la mortalité infantile, qui conduirait les couples à engendrer moins d'enfants, les progrès de la contraception, l'élévation du niveau d'éducation, la montée de l'emploi féminin... Mais le dosage de ces facteurs varie selon les pays, et chaque cas est un cas particulier. On a pu penser que l'emprise de la religion impliquait le maintien d'une fécondité élevée - mais, en Iran, entre les années 1970 et 2000, le nombre d'enfants par femme est tombé de 6,4 à 1,9...

Reste la question politiquement sensible : dans les pays de l'ex-tiers-monde, une forte croissance de la population est-elle économiquement soutenable, ou joue-t-elle, comme on l'affirme souvent, comme un frein au développement ? Les néo-malthusiens n'ont pas toujours raison : un dynamisme démographique élevé peut procurer un « double dividende » économique. Lorsque la pyramide des âges est largement évasée vers le bas - en Afrique subsaharienne notamment -, le « taux de dépendance » (le rapport entre le nombre des actifs et celui des inactifs) est destiné à baisser à mesure que les générations d'enfants accéderont à l'âge adulte, ce qui représente un atout pour l'économie. En outre, si les systèmes d'éducation sont efficaces, ces nouveaux actifs, mieux formés que leurs aînés, seront plus productifs. Mais c'est là une « fenêtre d'opportunité » historique dont ces pays doivent profiter pour sortir du sous-développement, car les adultes de demain deviendront les seniors d'après-demain, pesant à leur tour sur les générations actives...

La démographie est-elle donc l'école du doute et des remises en question ? Faut-il tout relativiser ? L'ouvrage ne s'inscrit pas en faux contre les récentes prévisions de l'ONU, qui corrigent sensiblement vers le haut les précédentes estimations de la population mondiale à la fin du siècle. Mais il rappelle surtout que les efforts en matière d'éducation, de santé, d'émancipation des femmes sont les meilleurs moyens de conjurer toutes les « bombes démographiques ».

Gérard Moatti

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