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Analyse

Mondialisation du passé et mondialisation à venir

Le commerce mondial progresse moins vite qu'avant la crise. En cause : une demande ralentie, des écarts de salaires moins grands, la redécouverte des vertus de la proximité et l'apparition de nouveaux acteurs.

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Par Jean-Marc Vittori

Publié le 9 févr. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

Les partisans de la démondialisation auraient-ils gagné ? Le commerce international semble cassé. Depuis 2012, il progresse moins vite que la production mondiale ces trois dernières années. En 2015, il devrait augmenter à peine plus rapidement (+4,3 % pour les importations contre +3,6 % pour le PIB, selon les dernières prévisions de la Commission européenne ). Alors qu'il avait au contraire galopé deux fois plus vite que l'activité pendant les deux décennies qui ont précédé la grande crise financière de 2007-2008 ! Il s'agit donc d'une rupture majeure. Une rupture qui ne vient pas de la politique, mais de l'économie et des entreprises.

L'économie d'abord. Car la langueur des échanges reflète évidemment une activité mondiale ralentie par le boulet de l'endettement depuis la crise financière de 2007-2008. Un pays a moins besoin de recourir à des producteurs étrangers quand ses consommateurs achètent peu. « La mollesse de la demande dans les pays à haut revenu se reflète dans la faiblesse de leurs volumes d'importation, qui dévient de leur tendance antérieure de plus de 20 %, à la fois aux Etats-Unis et dans la zone euro », constatent les experts de la Banque mondiale dans leurs « Perspectives » parues le mois dernier. La déprime de l'Europe serait au fond l'explication du blues commercial international. Mais juste après, ils soulignent que si la faiblesse de la demande a joué un rôle dominant dans le ralentissement du commerce durant la crise et la première année de la reprise, elle n'explique que très peu l'atonie actuelle. « Pour une même croissance du PIB mondial, la croissance du commerce mondial est devenue plus faible depuis 2011 », constate l'économiste en chef de Natixis, Patrick Artus. Il explique ce changement par le ralentissement de l'industrie. Des années 1990 jusqu'en 2007, sa production grimpait aussi rapidement que celle des services. Depuis, elle va moins vite. Comme les produits franchissent plus souvent les frontières que les services, le déclin relatif de l'industrie pèse sur la pente du commerce mondial.

La géographie du commerce a aussi changé. Les deux premières puissances mondiales sont devenues beaucoup moins gourmandes en produits étrangers. Selon une étude publiée en décembre 2014 dans la revue du FMI « Finances & Développement », leurs importations avancent désormais au même rythme que l'activité alors qu'elles augmentaient auparavant moitié plus vite en Chine... et quatre fois plus vite aux Etats-Unis ! C'est le fruit d'un formidable rééquilibrage. En Amérique, les coûts de production ont beaucoup baissé dans l'industrie (réorganisation du travail, financement accru de la protection sociale par les salariés, pétrole et gaz de schiste). En Chine au contraire, les mêmes coûts ont bondi (augmentations massives de salaire, création de cotisations sociales sur les employeurs, réduction du temps de travail). Selon les calculs du cabinet en stratégie BCG, il revient désormais à peine moins cher de produire dans les régions prospères de Chine que dans le sud des Etats-Unis. L'intérêt de l'échange a singulièrement diminué. Les deux pays semblent mettre en oeuvre le précepte de Mao : « compter sur ses propres forces ».

C'est ici sans doute que se niche une erreur de lecture essentielle sur les mouvements économiques planétaires. La mondialisation effrénée des années 1990 et du début des années 2000 a souvent été analysée comme une rupture, alors qu'il s'agissait d'un moment bien particulier de l'histoire. Un moment provoqué par deux forces : l'ouverture des pays restés plusieurs décennies durant à l'écart des routes du commerce international et l'essor des technologies de l'information. Et animé par un groupe d'acteurs bien précis : les grandes entreprises multinationales, qui ont combiné ces deux forces pour réorganiser leurs chaînes de production à l'échelle planétaire, à une échelle sans précédent. L'économiste Richard Baldwin ramasse cette réorganisation profonde en une formule limpide : « Les technologies de l'information et de la communication l'ont rendue possible, l'écart des salaires l'a rendue profitable. »

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Aujourd'hui vient le temps du retour de balancier. D'abord parce que l'écart des salaires s'est réduit, on l'a déjà dit. Ensuite parce que les entreprises sont parfois allées trop loin dans cette démarche et redécouvrent aujourd'hui des atouts de base qu'elles avaient un peu oubliés dans leur quête obsessionnelle du toujours moins cher - la proximité avec le client, la qualité, la limitation des délais et des coûts du transport. Il y a bien sûr encore des chaînes à remanier, à allonger pour faire un détour utile par l'Asie ou l'Amérique latine. Mais il y a de plus en plus de mouvements dans l'autre sens. D'autant plus que les géants mondiaux ont expérimenté, avec des épisodes comme la catastrophe de Fukushima, les inondations en Thaïlande ou l'éruption du volcan finlandais Eyjafjallajökull, la vulnérabilité que constitue la dépendance à l'égard d'un fournisseur unique.

Enfin, les grandes entreprises multinationales, qui avaient été les promoteurs de ce qu'on a appelé « mondialisation », sont désormais moins flambantes. La chaîne de valeur se réorganise autrement. Les firmes qui mènent le jeu aujourd'hui, ce sont de plus en plus ce que les experts du cabinet McKinsey appellent les « micromultinationales ». Des start-up qui deviennent mondiales en quelques années, s'emparant d'un maillon de la chaîne de valeur sans forcément jouer à saute-frontières avec les marchandises, comme Bookings, Uber ou Airbnb. Une autre mondialisation s'esquisse.

Retrouvez les liens vers les travaux cités dans la version numérique de cet article sur www.lesechos.fr

Les points à retenir

La langueur des échanges reflète une activité mondiale ralentie par le boulet de l'endettement depuis la crise financière de 2007-2008.

Pourtant, la faiblesse de la demande n'explique que très peu l'atonie actuelle.

Le déclin relatif de l'industrie pèse sur la pente du commerce mondial.

La géographie du commerce a aussi changé : il revient désormais à peine moins cher de produire dans les régions prospères de Chine que dans le sud des Etats-Unis.

Editorialiste aux « Echos » Jean-Marc Vittori

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