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Robert Badinter : « Ne tolérons plus l’antisémitisme, 72 ans après l’occupation »

Il est inacceptable que le cri de « mort aux juifs ! » retentisse de nouveau dans les rues de Paris et que l’on tue des enfants en France au nom de la haine antijuive.

Publié le 12 février 2015 à 13h35, modifié le 19 août 2019 à 13h28 Temps de Lecture 4 min.

Robert Badinter, Ă  Paris en juin 2013.

Je suis souvent venu Ă  Lyon pour commĂ©morer la rafle de la rue Sainte-Catherine le 9 fĂ©vrier 1943, en des lieux pour moi si chargĂ©s de souvenirs douloureux. J’y suis venu seul ou avec des membres de ma famille. J’ai assistĂ© aux cĂ©rĂ©monies. Mais je n’ai jamais voulu y prendre la parole. Les enfants des dĂ©portĂ©s disparus dans la nuit des camps d’extermination sont comme amputĂ©s des ĂŞtres chĂ©ris. La vie cicatrise la blessure. Mais par moments, la douleur revient, indicible, lĂ  oĂą il n’y a plus que le vide. Je craignais l’émotion et prĂ©fĂ©rais faire Ĺ“uvre parmi vous de piĂ©tĂ© filiale et de fidĂ©litĂ© Ă  la mĂ©moire. Mais aujourd’hui, le moment est venu de rompre le silence.

Pourquoi sont-ils morts ceux qui, ici mĂŞme, sont tombĂ©s dans la souricière tendue par Klaus Barbie ? Ils ont Ă©tĂ© arrĂŞtĂ©s au 2e Ă©tage, dans les locaux de l’Union gĂ©nĂ©rale des israĂ©lites de France, l’UGIF, oĂą l’on s’employait Ă  fournir aux enfants juifs des refuges clandestins. Ils ont descendu les marches de l’escalier dans le fracas des bottes des SS. Ils ont Ă©tĂ© jetĂ©s dans des camions qui les attendaient au bout de la rue et menĂ©s Ă  la prison de Montluc. C’était la première station du chemin de douleur qui les conduirait de Lyon Ă  Drancy, puis aux camps d’extermination en Pologne, Auschwitz.

Ainsi sont-ils morts en martyrs parce que la haine des juifs, l’antisĂ©mitisme forcenĂ© des nazis les avaient condamnĂ©s. Ils sont morts parce qu’ils Ă©taient juifs et pour cette seule raison. Hommes et femmes, enfants et vieillards, tous avaient Ă©tĂ© vouĂ©s Ă  mourir par la dĂ©cision d’Hitler et de ses complices. Le reste, l’extermination de 6 millions de juifs sur le continent europĂ©en n’était plus qu’affaire d’exĂ©cution par tous les moyens, y compris les plus atroces. La paix revint, pas les dĂ©portĂ©s. La vie ordinaire reprit son cours, sans eux. On pouvait croire que l’antisĂ©mitisme de violence avait Ă©tĂ© Ă©touffĂ© dans le torrent de sang versĂ© pendant la Shoah.

Lèpre de l’humanité

C’était un leurre, nous le savons Ă  prĂ©sent. A l’antisĂ©mitisme religieux du temps de l’Inquisition, Ă  l’antisĂ©mitisme nationaliste du temps de l’affaire Dreyfus, a succĂ©dĂ© l’antisĂ©mitisme racial du XXsiècle, le pire de tous. Puis au XXIsiècle, un antisĂ©mitisme nouveau s’est dĂ©veloppĂ©, dissimulĂ© sous le terme d’antisionisme, nourri par le conflit israĂ©lo-palestinien, Ă  3 000 km de la France. Nous croyons au principe d’une paix juste entre les peuples israĂ©lien et palestinien, sur la base de frontières sĂ»res et reconnues. Mais en quoi la difficile rĂ©alisation de cette paix durable et la persistance du conflit justifieraient ici, sur la terre de France, la commission de crimes atroces inspirĂ©s par la plus fanatique idĂ©ologie d’islamistes radicaux ?

Or qu’avons-nous vu en France, au long des derniers mois ? Le vieux cri de haine « mort aux juifs Â» a retenti pour la première fois depuis l’Occupation dans les rues de Paris. Des synagogues ont Ă©tĂ© attaquĂ©es, des juifs insultĂ©s et molestĂ©s sur la voie publique. Ilan Halimi a Ă©tĂ© sĂ©questrĂ© et torturĂ© jusqu’à la mort par des brutes pour extorquer Ă  sa famille une rançon puisque, selon le prĂ©jugĂ© millĂ©naire, tous les juifs seraient riches. Un jeune couple a Ă©tĂ© battu chez lui Ă  CrĂ©teil, son domicile vandalisĂ© et, ignominie absolue, la jeune femme violĂ©e pour savoir oĂą ils cachaient une fortune imaginaire. Pire encore, Ă  Toulouse, des enfants juifs ont Ă©tĂ© tuĂ©s dans un lycĂ©e, massacre renouvelĂ© des innocents.

Et ces derniers jours, nous avons vécu, après la tuerie des journalistes de Charlie Hebdo et le meurtre de deux policiers, la prise de juifs en otage dans un supermarché cacher. Quatre d’entre eux ont été abattus de sang-froid après que l’assassin se soit assuré qu’ils étaient juifs. A Nice, cette semaine, un djihadiste français frappait à coups de couteau des militaires qui gardaient un centre culturel juif. Interrogé, il n’a exprimé que sa haine pour la France, ses soldats et les juifs.

Quand Merah poursuit une petite fille de 7 ans et lui loge une balle dans la tĂŞte, il rĂ©itère les gestes des SS

Ainsi, survivants des annĂ©es noires de l’Occupation, nous avons vu rĂ©apparaĂ®tre avec horreur en France le visage sanglant de l’antisĂ©mitisme. Car quand Mohammed Merah, dans le lycĂ©e juif de Toulouse, poursuit une petite fille de 7 ans qui tente de s’enfuir, l’empoigne par les cheveux et lui loge Ă  bout portant une balle dans la tĂŞte, il rĂ©itère les gestes des SS des « Einsatzgruppen Â» liquidant les juifs dans les ghettos de l’Europe occupĂ©e. Quand on tue ainsi un enfant, parce qu’il est nĂ© juif, qu’est-ce donc, sinon le pire des crimes antisĂ©mites ? En rĂ©alisant leurs forfaits, ces assassins commettent aussi la pire offense Ă  la religion musulmane dont ils osent se rĂ©clamer et qui est selon les thĂ©ologiens musulmans source de paix.

La vĂ©ritĂ© est simple : ce sont des barbares comme leurs prĂ©dĂ©cesseurs nazis qui opĂ©raient ici il y a soixante-douze ans, animĂ©s de la mĂŞme haine antisĂ©mite, et qui ont assassinĂ© des millions de juifs, parmi lesquels ceux dont les noms sont inscrits sur cette plaque. Pour nous, le chagrin et la pitiĂ© ne sont pas sĂ©lectifs. Nous ne pleurons pas que nos morts. Nous saluons aussi les journalistes de Charlie Hebdo, qui sont morts pour la libertĂ© de la presse. Notre compassion va Ă  leurs familles, si Ă©prouvĂ©es, comme aux parents des policiers abattus dans l’exercice de leur mission de sĂ©curitĂ©.

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Pour notre part, citoyens juifs de France, attachés indéfectiblement aux valeurs de la République, au nom de tous nos martyrs, nous lutterons sans trêve et par tous les moyens que la loi nous donne contre le racisme et l’antisémitisme, cette lèpre de l’humanité, qui demeure toujours et partout, l’expression de la barbarie.

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