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Après la ferme-usine des mille vaches, les trois mille cochons de Picardie

Un éleveur du village de Loueuse, dans l’Oise, souhaite agrandir son exploitation afin d’atteindre un cheptel de 3 000 porcs. Ecologistes et riverains s’élèvent contre cette industrialisation de l’élevage.

-  Loueuse (Oise), reportage

Les habitants ont pris l’habitude de se repérer à l’odeur dans ce petit village de Picardie. « Où se trouve la ferme de Michel Borgoo ? », « C’est simple vous suivez l’odeur, plus ça pue, plus vous approchez », lance une habitante.

Depuis plusieurs semaines, les 147 habitants de Loueuse, à côté de Gerberoy, doivent vivre avec les ambitions de Michel Borgoo. Cet éleveur désire augmenter son exploitation agricole et élever plus de trois mille porcs.

Depuis 1988, Michel et Sylvie Borgoo gèrent l’exploitation. Auparavant la ferme regroupait des vaches laitières et des porcs. En 2005, l’élevage porcin comptait 450 porcelets et 1.440 porcs charcutiers.

- La ferme de Michel Borgoo -

« J’augmente la production car je veux installer mon fils. On a eu l’opportunité d’avoir plus de cochons et on l’a saisie. Ca reste familial, ce n’est pas industriel ». Aujourd’hui, Michel Borgoo souhaiterait atteindre les 984 porcelets et 2.916 porcs charcutiers. Pour abriter ce cheptel, un bâtiment de 1.350 m2 sera construit ainsi qu’une fosse à lisier de 1.696 m3.

« Cette affaire prend des dimensions astronomiques, il y a dix fermes à Loueuse », explique Pierre des Courtils, maire de la commune. « Elles sont présentes depuis plus de 40 ans sur le territoire. Ce n’est pas une exploitation qui commence de zéro, il fait des cochons depuis 25 ans et il pense à l’installation de son fils. Il faudra simplement limiter les nuisances ».

Le modèle Breton en Picardie

De leur côté les écologistes ont immédiatement réagi. Thierry Brochot, président du Conseil fédéral d’EELV (Europe écologie les verts) et François Veillerette, conseiller régional écologiste et porte-parole EELV Beauvaisis, sont allés à la rencontre des habitants.

« On a été interpellés par ce projet qui n’est pas raisonnable. Je connais bien l’endroit et les problématiques, j’ai vécu à côté », lance François Veillerette. « Dans les années 90, je me suis battu contre les pollutions agricoles. La taille de la ferme est énorme, on est dans de l’exploitation bretonne. Le danger est que ce type de projet s’exporte dans notre région. Est-ce qu’on va devenir la Bretagne de demain ? Il y a les nuisances, les odeurs, l’impact sur le tissu agricole. Ces exploitations se font au détriment des petits éleveurs. Ils s’intéressent plus à la quantité qu’à la qualité ».

- Thierry Brochot, président du Conseil fédéral d’EELV et François Veillerette, conseiller régional écologiste -

Quel impact pour l’environnement ?

L’épandage du lisier concernera quinze communes aux alentours et s’approchera de Gerberoy, un site classé plus beaux villages de France. La ferme de Michel Borgoo produira 5.159 m3 de lisier par an, soit 9,8 tonnes d’azote. La SCEA Borgoo-martin se situe en Picardie Verte et est entourée par une zone spéciale de conservation nommée : Réseau de coteaux crayeux du bassin de l’Oise aval, d’un espace Natura 2000 ainsi que de plusieurs Zones naturelles d’intérêt écologique faunistique et floristique (ZNIEFF).

De nombreuses espèces végétales et animales sont à protéger. Comme le Murin de Bechstein, le Grand-Murin, petit et grand Rhinolope (chauve-souris), le Daunier de la Succise, l’Ecaille Chinée (papillon). D’après l’Autorité environnementale, ce projet aura des impacts directs sur la faune et la flore. Des espèces patrimoniales qui sont menacées ou rares et que la commune se doit de protéger.

Une partie de l’espace d’épandage se situe à proximité de ces zones. Une autre question concernant la qualité des eaux a été soulevée. La commune de Loueuse est déjà classée en zone vulnérable aux nitrates.

- FDSEA et opposants en discussion dans les rues de Loueuse -

« Il faut une taille raisonnable, ce n’est pas compatible avec la Picardie, il y aura des océans de lisier. On va devenir une terre d’élevage industrielle sur le modèle polonais alors qu’on avait une tradition familiale. De plus, auparavant il avait des vaches, donc des prairies, que vont devenir les pâtures ? Les haies ? Il y a déjà beaucoup de pâtures retournées. La Picardie verte n’aurait plus que le nom de verte », s’indigne le porte-parole d’EELV, François Veillerette.

Un élément interpelle les opposants à ce projet. L’étude d’impact donne un avis favorable à cette ferme. En creusant un peu plus, on découvre qu’elle a été réalisée par la Cooperl Arc Atlantique, un groupement de producteurs porcins dont fait partie Michel Borgoo.

Des cochons hors-sol

Une autre question se pose : dans qu’elles conditions seront élevés ces porcs ? Depuis le mardi 15 avril 2014, le législateur a reconnu aux animaux, la qualité "d’être doués de sensibilité". Le député PS, Jean Glavany, a fait modifier l’amendement numéro 59 et l’article 515-14 : "Les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité. Sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens corporels".

Les habitants et les écologistes sont inquiets. « Si l’on calcule, chaque porc aura à peu près 0,43 m2. On voit bien qu’il n’y aura pas suffisamment de place », s’alarme François Veillerette.

Dans les rues de Loueuse, les habitants ne parlent plus que de ça. Les débats sont houleux. « Les agriculteurs doivent avoir la responsabilité de produire sainement, c’est la base. Ces cochons auront à peine de quoi bouger, ils ne verront jamais le jour », s’alarme une voisine.

Un groupe d’opposants a créé une association : Decicamp (Démocratie pour les citoyens des campagnes), afin de lutter contre l’agrandissement de la ferme de 1000 à 3000 porcs.

Chaque jour, des habitants de Loueuse et des alentours rejoignent les rangs de Decicamp. Ils viennent de Songeons, Gerberoy, de toute la France et souhaitent défendre l’environnement et les conditions de vie des animaux.

- Decicamp -

« Ce n’est pas une action politique ou idéologique. On est contre ce genre de ferme à la bretonne, très polluantes », explique Daniel Pilc, porte-parole de l’organisme. Pour maîtriser et préparer leurs actions, ils se sont alliés à des associations de Bretagne et à Novissen (Nos villages se soucient de leur environnement), connus pour leur investissement contre les Mille vaches à Drucat.

"On ne veut pas des nuisances et de la pollution"

Decicamp s’est entourée d’avocats et de spécialistes afin d’empêcher l’aboutissement du projet. « On ne veut pas des nuisances, de la pollution, ni manger des cochons qui ont vécu dans de telles conditions », lance Céline, habitante de Gerberoy. Decicamp va lancer une pétition afin d’atteindre le plus grand nombre de personnes.

- Céline -

Une enquête publique s’est déroulée entre le 12 novembre et le 13 décembre afin de sonder les habitants. Mais en janvier, le commissaire enquêteur, Pierre Dendievel, a rendu un avis favorable à l’extension de la ferme des trois mille cochons. Cet avis n’étant que consultatif, l’association Decicamp, opposante à ce projet, compte poursuivre son combat. C’est maintenant au préfet de l’Oise de rendre sa décision.

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