ÉDITORIAL

La dernière minorité

Scott Walker croit-il à l’évolution ? Le candidat présumé à l’investiture républicaine, un évangélique, n’a pas voulu le dire la semaine dernière en interview.

La religion est un sujet encore plus sensible qu’on ne le croit en politique américaine. Il faut croire pour être cru par les électeurs.

Depuis plusieurs décennies, le sondeur Gallup demande aux Américains s’ils voteraient pour un membre d’une minorité. Ce ne sont pas les gais qui révulsent le plus les Américains. Ni les musulmans. Ce sont les athées.

La méfiance a toutefois diminué. En 1958, seulement 18 % des Américains acceptaient de voter pour un athée. La proportion est aujourd’hui de 54 %. Cette hausse n’est pas surprenante. Elle survient en même temps que la hausse du nombre d’Américains non affiliés à une religion.

Malgré tout, les athées demeurent la minorité dont les électeurs se méfient le plus. En 1987, le représentant démocrate Barney Frank dévoilait son homosexualité. Mais c’est seulement en 2013 qu’il a dévoilé son athéisme, soit après sa retraite de la politique.

Pourquoi cette méfiance ? Des chercheurs des universités de la Colombie-Britannique et du Kentucky avancent des pistes d’explication.

Dans une expérience, un individu prend la fuite après avoir égratigné une voiture dans un stationnement. On demande aux sujets la probabilité que le chauffard soit un chrétien, un musulman, un violeur ou un athée. La réponse la plus fréquente : violeur ou athée.

Peut-être qu’aux yeux des sujets, les croyants souscrivent à un code moral et pensent même parfois que Dieu les surveille. Cela inciterait à la vertu. Cette hypothèse a été corroborée au moins en partie par une autre expérience. Si un policier est présent, le préjugé défavorable envers un athée diminue. Le code moral profane remplace celui de la religion.

Mais dans les coulisses du bureau ovale, il n’y a pas de policier des mœurs. Le commandant en chef est laissé à lui-même…

Ce lien entre religion, morale politique et nationalisme ne tombe pas du ciel. Il a été fabriqué, ou du moins renforcé, par des leaders opportunistes. Par exemple, ce n’est qu’en 1936 que le premier ministre Duplessis a posé le crucifix dans le Salon bleu de l’Assemblée nationale. Et aux États-Unis, c’est seulement en 1956 que le président Eisenhower a modifié la devise américaine, qui devenait « In God We Trust ». Une façon de mieux lutter contre l’ennemi communiste athée. Eisenhower, pourtant peu dévot, soutenait que « notre forme de gouvernement n’a pas de sens si elle n’est pas fondée dans une foi religieuse profondément ressentie ».

La thèse est bien sûr fumeuse. Il n’existe pas de lien causal entre religion et démocratie, ou entre religion et vertu. De grands démocrates ont été motivés par un humanisme athée. Et a contrario, la religion a motivé des leaders à commettre des atrocités. Aux États-Unis, le christianisme a inspiré autant le mouvement pour les droits civiques que les purges du maccarthysme.

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Même si Scott Walker est évangélique, il aurait pu répondre à la question. La théorie de l’évolution n’est pas incompatible avec la foi, comme l’ont affirmé le pape François et certains de ses prédécesseurs.

De toute façon, la théorie de l’évolution n’a pas besoin de Walker pour être confirmée. La porte a déjà été enfoncée par plusieurs décennies de recherches scientifiques. Le problème est ailleurs. Son silence révèle son ignorance ou sa pleutrerie, l’incapacité d’affirmer un fait quand cela fait perdre des votes.

Il y a peut-être une troisième hypothèse : la fourberie. Car les préjugés contre les athées et le nationalisme chrétien sont aussi parfois bien utiles. Au Tennessee, État producteur de charbon, on enseigne que l’évolution et le réchauffement planétaire sont « controversés »…

Le problème ne réside donc pas dans la foi d’un président, mais de l’abrutissement volontaire. Les intellectuels peuvent dénoncer les monothéismes, mais ce n’est pas le rôle d’un politicien. Son rôle est de protéger la laïcité. De s’assurer que l’État ne décide pas en fonction d’une religion. Pas d’inciter les gens à cesser de croire.

Dans un discours en 2006, Barack Obama a essayé de tracer cette ligne tout en proposant une stratégie pour ne plus céder le vote religieux aux républicains. La foi peut être invoquée pour raconter son parcours et expliquer ce qui le motive à combattre l’injustice ou l’inégalité, a-t-il dit. Les politiques adoptées par la suite doivent toutefois se défendre sans faire appel à un dogme.

Il n’est pas nécessaire d’être athée pour le faire. Mais en politique américaine, cela permettrait de briser le dernier tabou.

LE TEST DE DENNETT

Le philosophe et militant athée Daniel Dennett a conçu un test pour vérifier si les croyants se pensent réellement surveillés par Dieu.

Il pose deux questions : 

– Croyez-vous que Dieu vous observe en tout temps ?

Si la réponse est positive, il enchaîne ensuite : 

– Est-ce que vous vous masturbez ?

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