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Comment Hayat Boumeddiene, la compagne de Coulibaly, a fui la France

Plus d’un mois après les attentats, les enquêteurs en savent un peu plus sur la filière qui a exfiltré la veuve du terroriste.

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Publié le 23 février 2015 à 19h34, modifié le 19 août 2019 à 13h21

Temps de Lecture 6 min.

Dessin de  Anne-Gaëlle Amiot pour

Le 4 janvier au matin, le plus jeune fils de la famille Belhoucine a déboulé dans le salon de ses parents avec un téléphone qu’il venait de découvrir dissimulé dans l’armoire de sa chambre. « Maman, maman, qu’est-ce que c’est que ça ? », crie-t-il en montrant l’appareil. Sa mère lui prend le portable et découvre, horrifiée, le texto de son fils aîné, Mohamed, 27 ans : « Salam, c’est moi qui ai caché ce téléphone. Maman/Papa, ne vous inquiétez pas, on a rejoint le califat. Ne vous inquiétez pas, on préfère vivre dans un pays régit par la charia et pas les lois inventées par les hommes. »

A 19 ans, le benjamin des frères Belhoucine dormait encore quand il a été réveillé par le vibreur de l’appareil. Le téléphone a sonné plusieurs fois, lui laissant le temps de le débusquer. En refaisant le film des derniers jours, les parents Belhoucine se sont alors souvenus que Mohamed était effectivement venu quelques jours plutôt, le 1er janvier, pour une visite de courtoisie. Il ne leur avait rien dit de ses projets de départ mais avait sans doute profité de l’occasion pour cacher son téléphone. Sa visite avait eu lieu quelques heures après que leur cadet, Mehdi, 23 ans, eut quitté le domicile familial pour un séjour en Egypte. Il avait assuré vouloir partir pour « étudier la religion ».

« Ne vous inquiétez pas, on a rejoint le califat. On préfère vivre dans un pays régit par la charia », dit un texto

Les parents Belhoucine n’avaient ensuite plus eu de nouvelles de leurs deux grands garçons, mais ne s’en étaient pas trop soucié. Ils ne savaient pas encore que leurs enfants seraient aujourd’hui soupçonnés d’avoir été les principaux organisateurs de la fuite d’Hayat Boumeddiene, l’épouse d’Amedy Coulibaly. Ils ignoraient surtout que l’aîné, Mohamed, a été particulièrement présent aux côtés du tueur fou de l’Hyper Cacher, durant les dernières semaines de préparation des attentats, les 7 et 9 janvier. Les enquêteurs le soupçonnent même d’être celui qui a diffusé la vidéo de revendication d’Amedy Coulibaly.

C’est seulement en découvrant à la télévision que Mehdi avaient été aperçu non pas en Egypte mais en Turquie, en compagnie de Hayat Boumeddiene, que son père s’est présenté au commissariat, deux jours après l’attaque de l’Hyper Cacher. Désemparé, il n’est en même temps qu’à moitié surpris du départ de ses enfants. Les deux étaient sans emploi. Mohamed faisait de l’aide aux devoirs à la mairie d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis), mais son contrat n’avait pas été renouvelé en septembre. Mehdi et Mohamed pratiquaient surtout « un islam assez radical », admet-il rapidement.

Lire le récit des Décodeurs : Préparation, traque, mise en scène : les révélations du « Monde » sur les attentats en région parisienne

Après de brillantes études d’ingénieur à l’Ecole des mines d’Albi, Mohamed, l’aîné, a particulièrement dérivé. En juillet 2014, il a été condamné à deux ans de prison dont un ferme – qu’il a effectué lors de sa détention provisoire – pour avoir eu un rôle actif dans une filière d’acheminement de djihadistes vers la région afghano-pakistanaise. Ses convictions politiques sont par ailleurs restées « très franches », selon son oncle : « Il reconnaissait l’instauration de l’Etat islamique en Irak et en Syrie et reconnaissait même le titre de calife à son chef, Al-Baghdadi. »

Or, les enquêteurs ont pu établir que les frères Belhoucine avaient quitté le territoire français une semaine exactement avant les attaques, et ce, en même temps que Hayat Boumeddiene, dans une sorte de fuite planifiée. L’« évasion » organisée a eu lieu le 1er janvier. Mehdi, le plus jeune, a pris un bus Eurolines en direction de l’Espagne. Mohamed, l’aîné, a emprunté la même direction dans la foulée de sa visite à ses parents. Il a emmené avec lui son épouse, Imène, et leur fils de 4 ans. Hayat Boumeddiene, elle, a été conduite directement par son compagnon Amedy Coulibaly, à bord d’une Seat Ibiza noire de location.

Mohamed Belhoucine est soupçonné d’avoir diffusé la vidéo de revendication d’Amedy Coulibaly

Tout ce petit monde s’est retrouvé à l’aéroport de Madrid et a embarqué, le 2 janvier, sur deux vols différents pour Istanbul. Les dernières captures vidéo de l’aéroport montrent Amedy Coulibaly et Hayat Boumeddiene marcher ensemble, le pas pressé, en se tenant la main. Le tueur de l’Hyper Cacher est remonté ensuite à toute allure jusqu’à Paris. A tel point qu’il se fera flasher à trois reprises sur la route.

Ce qui intrigue les enquêteurs, c’est qu’au matin du 1er janvier, avant les départs de toutes ces personnes aujourd’hui recherchées, une petite réunion s’est tenue chez Mohamed, l’aîné des Belhoucine, à Bondy (Seine-Saint-Denis) en présence d’au moins deux autres participants. Or, dès le 3 janvier, l’un d’eux, un jeune homme de 23 ans d’origine tunisienne, s’est envolé comme les autres pour la Turquie depuis Madrid. Le deuxième, un père de famille de 33 ans converti à l’islam, a rallié le même jour Istanbul depuis l’aéroport de Roissy avec son épouse et ses trois enfants, dont un nourrisson de 8 mois. Tous sont suspectés de s’être rendus en Syrie pour rejoindre l’Etat islamique.

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Ces candidats à l’exil vers « le califat », aux profils très différents, savaient-ils ce qui se tramait ? Connaissaient-ils les fréquentations de Mohamed Belhoucine, l’homme chez qui ils se sont retrouvés pour la dernière fois ? Quel rôle exact a joué ce dernier ? L’enquête de téléphonie montre que le jeune homme a pu réaliser un repérage tout près de Dammartin-en-Goële, en Seine-et-Marne, là où les frères Kouachi se sont retranchés avant de mourir. C’est également sur le portable de Mohamed Belhoucine qu’un des hommes de main d’Amedy Coulibaly, Mickaël A., soupçonné de l’avoir aidé à se procurer des armes, appelait régulièrement pour le contacter.

Avec sa silhouette élancée, son visage fin, le jeune homme était charismatique et s’improvisait régulièrement professeur d’arabe et de morale islamique. A-t-il pu influencer le passage à l’acte du tueur de l’Hyper Cacher ? Il lui était arrivé de faire un « rappel d’ordre religieux sur les bienfaits du mariage en islam », a raconté Mickaël A. en garde à vue. Mohamed Belhoucine était même présent lors de son mariage religieux, en août 2014. Amedy Coulibaly et Hayat Bouemeddiene fréquentaient par ailleurs régulièrement Mohamed Belhoucine et sa femme. A l’automne, ils s’étaient retrouvés tous ensemble à un pique-nique de l’association Sanâbil, qui soutient les familles des détenus musulmans.

Hayat Boumeddiene – qui a pris le même vol que Mehdi Belhoucine – a-t-elle pu, de son côté, croire qu’elle participait seulement à une vague de départs vers la Syrie ? Ou a-t-elle aussi épaulé son mari lors de ses préparatifs ? On sait peu de chose sur elle. Hayat Boumedienne est issue d’une fratrie de six enfants. Sa mère est morte quand elle avait 6 ans. Elle grandit ballottée entre foyers et familles d’accueil. Très religieuse, elle avait un temps porté la burqa, mais y avait renoncé après que la loi de 2010 l’interdise. Tout son entourage avait le sentiment qu’elle avait trouvé un équilibre avec Amedy Coulibaly qu’elle connaissait depuis six ans. A l’automne, le couple avait effectué ensemble le pèlerinage à La Mecque.

Une Mini Cooper en monnaie d’échange

Six mois avant les attentats, Hayat Boumeddiene a cessé d’avoir un téléphone portable. Et c’est elle qui, en septembre 2014, a acheté à crédit une Mini Cooper à 27 000 euros avec de faux documents à son nom. Ce véhicule aurait, selon les enquêteurs, pu servir plus tard de monnaie d’échange, contre des armes récupérées en Belgique.

A l’inverse des frères Belhoucine, Hayat Boumeddiene n’a toutefois donné aucun signe de vie direct à ses proches après sa fuite. Son père dit avoir essayé de la contacter à plusieurs reprises, en vain. Le téléphone a sonné, mais personne n’a décroché.

La première manifestation publique de la jeune femme depuis les attentats est arrivé par une « interview » qu’elle aurait accordée au journal Dar-El-Islam, le magazine francophone officiel de l’Etat islamique. Dans ce texte publié début février, la jeune femme de 26 ans, qui serait enceinte de quatre mois, se déclare heureuse d’avoir rejoint le califat et soutient les crimes de son époux : « Il brûlait d’envie (…) de combattre les ennemis d’Allah », qu’Allah lui fasse « miséricorde », dit-elle.

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