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CÔTE D'IVOIRE

"Moi, Achille, fouilleur à la décharge d’Akouédo"

Au milieu des ordures et plongés dans une odeur nauséabonde, les centaines de "fouilleurs "de la plus grande décharge de Côte d’Ivoire se lancent chaque jour à la recherche de plastique, de câbles électriques, ou encore de bouteilles recyclables synonymes de gagne-pain.

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Toutes les images ont été prises par Rita Dro, blogueuse à Abidjan.

Au milieu des ordures et plongés dans une odeur nauséabonde, les centaines de "fouilleurs "de la plus grande décharge de Côte d’Ivoire se lancent chaque jour à la recherche de plastique, de câbles électriques, ou encore de bouteilles recyclables synonymes de gagne-pain. L’un d’entre eux a accepté de témoigner.

"Fouilleur, c’est ma vocation, si on m’en empêche, je deviendrai voleur"

Achille Kouadio (son nom a été modifié) est un des plus anciens fouilleurs ivoiriens et travaille depuis 17 ans à la décharge d’Akouédo et n’a jamais eu d’autres activités. Aujourd’hui, il a 34 ans. Il vit sur place, dans un logement de fortune non loin de la décharge, et sa femme vient parfois travailler avec lui.

Je suis allé à l’école jusqu’à 16 ans, mais mes résultats n’étaient pas bons, et j’ai vite compris que mes parents, issus d'un milieu défavorisé, ne pourraient jamais me permettre d’étudier correctement. Alors, comme les copains, j’ai commencé à "fouiller "pour survivre, à la recherche d’aluminium ou des bouteilles de bière.

Depuis, voilà à quoi ressemble mon quotidien (cliquez sur la vidéo ci-dessous).

Équipés de pics à glace ou de barres de fer, les fouilleurs partent à la recherche des objets recyclables. Certains n'hésitent pas à monter sur les camions bennes.

"Entre nous, il n’y a aucune règle : c'est le premier qui trouve"

Très vite, j’ai appris à localiser ce qui rapporte le plus : je suis un champion pour trouver les fils de câbles électriques qui me rapportent environ 2 000 francs CFA l’unité (3 euros). Avec ça, j’arrive à gagner entre 3 000 et 4 000 francs CFA par jour (entre cinq et six euros), donc dans le meilleur des cas environ 90 000 francs CFA par mois (136 euros) [le salaire moyen en Côte d’Ivoire est situé entre 50 000 et 60 000 francs CFA soit environ 90 euros NDLR].

La décharge, c’est comme ma deuxième maison. Il arrive que j’y passe une quinzaine d’heures par jour. J’y suis dès son ouverture, avant 8 h du matin, au moment où les premiers camions bennes arrivent, jusqu’à 16 h. Lorsque la pêche a été mauvaise le matin, j’y retourne à la "deuxième session "de camions bennes, de 19 h jusqu’à 4 ou 5 h avec une lampe frontale… parfois, quand c’est nécessaire, je fais une croix sur mon sommeil, et j’enchaîne deux ou trois sessions d’affilée.

 

 

Au milieu des détritus, femmes, et parfois même enfants, cherchent les bouts de plastique recyclables.

"Entre cinq et six euros par jour"

La moitié des fouilleurs sont des Burkinabè venus s’installer petit à petit à Akouédo car ils ne trouvaient pas de travail à Abidjan. Les autres sont des Maliens ou des Ivoiriens. Entre nous, il n’y a aucune règle : c'est le premier qui trouve. Tout le monde se connaît et se respecte. Il est par exemple impensable qu’on se batte pour un morceau de plastique. Celui qui ferait ça serait immédiatement exclu de la décharge par les autres.

Fouilleur, c’est ma vocation, je n’image rien faire d’autre. Si jamais la décharge ferme, j’irai fouiller dans la nouvelle qui ouvrira. Et si on m’en empêche, je pense que je deviendrai un voleur."

 

Le panneau à l'entrée de la décharge sur lequel était initialement écrit "Interdit au public". Celui-ci est complètement rouillé et on ne distingue plus l'inscription.

Achille affirme avoir assisté dans sa "carrière" à quelques accidents de "fouilleurs" happés par les machines ou engloutis sous les ordures. "Mais ils ne se comptent que sur les doigts de la main" tempère t-il. Pour sa part, il se sent bien physiquement, dit ne pas être malade, tout juste quelques petites blessures aux mains ou aux jambes, à cause de coups accidentels de pics à glace, un instrument utilisé par les fouilleurs pour récupérer les objets recyclables.

D'où vient la décharge d'Akouédo ?

La décharge d’Akouédo, située dans le village du même nom à l’est d’Abidjan, est depuis 1965 l’unique site de déversement d’ordures des treize communes de la capitale ivoirienne. Environ 3 000 tonnes de déchets y sont entreposés.

En juillet 2011, les habitants d’Akouédo avaient exigé la fermeture de la décharge car elle affectait les nappes souterraines. Après la décision de sa fermeture en octobre 2014, le ministère de l’Environnement et de la Salubrité urbaine a annoncé le 6 octobre 2014 sa fermeture définitive, a confié l’évacuation des déchets à l’entreprise américaine Wise Solutions et a confirmé son remplacement par trois centres de stockages des déchets à Port-Bouët, Anyama et Bingerville.

Cependant, pour l’instant, la décharge d’Akouédo est toujours ouverte pour éviter les amoncellements d’ordures à travers la ville d’Abidjan dus à sa fermeture momentanée.

"Ils font des affaires, mais pour eux, c’est l’enfer"

Pour Rita Dro, une de nos Observatrices à Abidjan qui a passé une semaine à fréquenter ces fouilleurs et publié un article sur son blog Droville.com, le constat est plus alarmant.

L’odeur est tellement atroce que de nombreux fouilleurs se saoulent au coutoucou, une boisson locale, avant d’aller travailler. Ils forment comme une mini-société. Pour être acceptée, j’ai dû tout faire comme eux : me grimer en fouilleuse avec des vêtements sales, chercher du plastique dans la décharge…

 

Des habitations de fortune sont parfois intallées temporairement, parfois pour plus longtemps, sur le site de la décharge.

Selon les fouilleurs interrogés par Rita, la plupart de ces déchets sont exportés vers des entreprises spécialisées dans le recyclage, notamment basées à Yopougon, qui font par exemple des marmites avec l’aluminium ou des chaussures avec le plastique. Certaines entreprises revendiquent d’ailleurs ce circuit informel, expliquant qu’il est bénéfique à l’économie et l’environnement.

"Une gestion plus 'officielle' de ce trafic signifierait la diminution de leur salaire"

Achille affirme, quant à lui, travailler avec un maquis qui exporte les bouteilles de bière vides à la Solibra, une entreprise de boissons à Abidjan. Les bouteilles vides y sont ramenées dans des caisses et ensuite échangées contre des bouteilles pleines selon lui. (Contactée par France 24, l’entreprise Solibra dit ne pas être au courant de ces pratiques et affirme "qu’aucune bouteille ne devrait se retrouver à la décharge d’Akouédo".) Aujourd’hui les fouilleurs ne tiennent pas à ce que leur activité soit régulée explique Rita Dro.

Pour eux, la fermeture de la décharge ou même une gestion plus "officielle "signifierait une diminution de leur salaire. Ils ne veulent pas de patron. Le prix de tout ça, c’est qu’ils vivent dans le danger permanent d’un accident ou d’attraper une grave maladie [des fièvres tiphoïdes dues à la pollution des nappes phréatiques ont été signalées.]

Cet article a été rédigé en collaboration avec Alexandre Capron (@alexcapron), journaliste à France 24.

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