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SORTIES CINÉMA

"Birdman" : grandeur et décadence d'un super-ego

Grand gagnant de la dernière cérémonie des Oscars, la comédie noire du Mexicain Alejandro Gonzales Iñarritu suit, de manière ininterrompue, les mésaventures existentielles d’un Michael Keaton en quête de renommée. Attention film-fleuve !

Michael Keaton et Edward Norton dans "Birdman", film d'Alejandro Gonzales Inarritu plusieurs fois oscarisés.
Michael Keaton et Edward Norton dans "Birdman", film d'Alejandro Gonzales Inarritu plusieurs fois oscarisés. Twentieth Century Fox
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Chaque mardi, France 24 se penche sur deux films qui sortent en salles. Cette semaine, le film-fleuve multi-oscarisé "Birdman" d'Alejandro Gonzales Iñarritu et le passionnant documentaire historico-sportif "Red Army" de Gabe Polsky.

En consacrant "Birdman" d’Alejandro Gonzales Iñarritu, l'Académie des Oscars a une fois de plus manifesté son goût pour le film de coulisses, le portrait de la société du spectacle, le méta-cinéma dans lequel l'industrie culturelle américaine aime à se mirer dans sa totalité afin de mieux considérer ses plus beaux atours comme ses pires défauts. Outre les récents sacres de "The Artist" et "Argo", le célèbre selfie d’Ellen DeGeneres fixant, lors de la cérémonie 2014, la fine fleur hollywoodienne, ce film restera à ce titre comme l'un des plus grands témoignages de cet élan narcissique qui anime le septième art d’outre-Atlantique.

Ironiquement, c’est cette tendance du star-system à se regarder le nombril que le grand gagnant des Oscars 2015 prend un malin plaisir à chatouiller, pour ne pas dire égratigner, à grands coups d’humour noir. "Birdman", c’est le nom du super-héros que le plus tout jeune acteur Riggan Thomson (Michael Keaton, formidable) incarna des années à l’écran, lui assurant une notoriété mondiale (vous l’avez vu le clin d’œil à "Batman" ?). Disparu des radars people, le comédien tente un retour sur le devant de la scène en montant à Broadway une pièce de théâtre de Raymond Carver. Le fait-il par amour de la littérature ou pour se racheter une légitimité publique et critique ?

Poser la question, c’est y répondre. On se doute bien que ce qui intéresse ici le réalisateur mexicain de "21 grammes" et "Babel" est moins le rapport qu’un acteur peut entretenir avec un texte estampillé intello que la tentative désespérée d’une ancienne gloire à renouer avec la célébrité.

Tumultueux, virtuose, vertigineux

De cette obsession permanente pour le retour en grâce, Iñarritu tire un film-fleuve tumultueux dont la grande ambition est clairement (d)énoncée par sa virevoltante mise en scène créant l'illusion d'une œuvre tournée en un seul plan séquence de deux heures. Tour de force virtuose et vertigineux par lequel le cinéaste parvient à démontrer - outre un savoir-faire un tantinet tape-à-l'œil qu'il doit en partie à son chef de la photographie, Emmanuel Lubezki – le torrent ininterrompu de névroses qui charrie le show-business. Quitte à ne laisser aucune minute de répit au spectateur.

Tout le monde en prend pour son grade dans "Birdman". En premier chef les acteurs, qui, lorsqu’ils ne souffrent pas de gentillette schizophrénie (Riggan s’entretient régulièrement avec son double Birdman, pas toujours de très bon conseil), sont de grands enfants réclamant sans cesse de l’attention (Naomi Watts, Andrea Riseborough) ou des monstres d’arrogance (exceptionnel Edward Norton qui, en adepte de l’Actors Studio, croit bon de faire réellement l’amour sur scène).

Autour de ce grand cirque, qui donne lieu ici à un formidable numéro d’acteurs, gravite un monde satellite peuplé de veules et cupides producteurs (Zack Galifianakis), de pédants et autoritaires critiques (qu’Iñarritu ne semble pas porter dans son cœur) et d’une foule, forcément versatile, d’admirateurs toujours prompts à exprimer leur enthousiasme ou leur déception sur Internet. Seule la fille de Riggan, ancienne toxicomane dont il a fait son assistante personnelle (Emma Stone), semble prémunie contre les boursouflures d'ego.

Corrosive critique d’un microcosme obnubilé par sa propre représentation, "Birdman" s’inscrit dans la lignée de films récents qui, tels "Maps to The Stars" de David Cronenberg, "Sils Maria" d’Olivier Assayas ou encore "Frank" de Lenny Abrahamson (qui s’offrit le luxe de faire jouer la star Michael Fassbender sous un masque de papier mâché), s’attachent à mettre au jour les rouages d’une machine à fabriquer du superflu dans la douleur.

Si la conquête (ou la reconquête) de la célébrité suscite un tel regain d’intérêt de la part des cinéastes, c’est que le sujet - loin d’être original - a pris avec l’avènement des réseaux sociaux un tour nouveau. Riggan Thompson a beau s’échiner à prouver qu’il est encore capable de jouer la comédie, de rester au contact de son art, ce sont ses déboires personnels qui lui offriront la gloire. Comme cette épique course contre la montre en slip qu’il livre à son corps défendant sur Times Square mais lui assure une notoriété nouvelle sur Twitter et YouTube, où la réussite d’un artiste se jauge à l’aune du nombre de "vus" qu’il génère. "Comment en est-on arrivé là ?", s’interroge Thomson-Birdman au début du film. C’est bien là toute la question.

-"Birdman", d’Alejandro Gonzales Iñarritu, avec Michael Keaton, Emma Stone, Edward Norton, Naomi Watts, Zack Galifianakis… (1h59).

 

 

 

 

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