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A Mossoul, l’Etat islamique impose sa « politique éducative »

L’Etat islamique (EI) poursuit son projet totalitaire dans les territoires placés sous son contrôle. A Mossoul, il mène une guerre contre la culture. Leurs cibles : des milliers de livres anciens, avant les statues du musée.

Par  (Erbil, envoyé spécial)

Publié le 04 février 2015 à 18h49, modifié le 19 août 2019 à 13h33

Temps de Lecture 4 min.

Des partisans de l’Etat islamique à Mossoul, lors de la prise de la ville, en juin 2014.

Refoulé par les milices chiites, contenu par les forces kurdes avec l’appui aérien de la coalition internationale, mais toujours capable de mener des attaques dévastatrices dans le nord de l’Irak, l’Etat islamique (EI) poursuit son projet totalitaire dans les territoires placés sous son contrôle. Tandis que les réfugiés sunnites chassés par les frappes et les combats affluent des régions dominées par les djihadistes et livrent de nouveaux récits sur la terreur mise en place par le califat autoproclamé, arrivent de Mossoul des nouvelles d’une autre guerre, celle que l’EI mène à la culture.

Le 31 janvier, l’agence Associated Press (AP) rapportait les témoignages anonymes d’habitants de la deuxième ville irakienne, devenue capitale de l’EI en juin 2014, selon lesquels les djihadistes auraient expurgé, courant janvier, le fonds de la bibliothèque centrale et de la bibliothèque de l’université de Mossoul de volumes jugés non conformes à l’islam pour en brûler publiquement une partie. Epargnant les ouvrages de théologie islamique considérés comme conformes à leur interprétation de la religion, les djihadistes auraient visé en particulier les livres de philosophie, de sciences et de poésie ainsi que, d’après AP, les albums pour enfants, également jugés subversifs.

Selon Dara Sinjari, professeur de l’université de Mossoul, aujourd’hui réfugié au Kurdistan irakien, des saisies similaires ont été effectuées le 30 janvier auprès des libraires et des bouquinistes de la ville, prolongeant une vague de mesures répressives à l’encontre de l’écrit dont les échos nous sont parvenus de manière éparse au cours du mois écoulé. « Il n’est plus autorisé de vendre autre chose que des ouvrages islamiques, et encore, uniquement ceux qui correspondent à leur vision de l’islam », explique M. Sinjari, qui parvient à entretenir un contact téléphonique régulier avec ses collègues restés sur place malgré les difficultés de communication.

Le 26 février, le groupe djihadiste diffuse une vidéo de propagande montrant la destruction de sculptures dans le musée de la ville, le deuxième le plus important d’Irak. L’Unesco dénonce la destruction de « l'héritage culturel » du pays.

Lire aussi : Les images d’un musée saccagé par des djihadistes en Irak

Nouveaux examens obligatoires

Comme tous ceux qui transmettent des informations sur la situation à l’intérieur de Mossoul, ses interlocuteurs sont contraints de s’isoler en périphérie de l’agglomération pour capter le réseau mobile irakien, coupé par l’EI en centre-ville depuis novembre. Dès juillet 2014, soit un mois après la chute de la ville, des autodafés avaient été rapportés par certains médias irakiens. Concernant pour l’essentiel des ouvrages relativement récents, les derniers en date paraissent compléter la politique éducative de l’EI qui, prétendant à de véritables prérogatives étatiques, a repris en main l’enseignement universitaire. Ainsi, par décret, l’EI a fermé en octobre 2014 les collèges de sciences politiques et des beaux-arts, les départements d’éducation physique, d’hôtellerie, d’archéologie et de philosophie et a imposé, par le biais de son ministère de l’éducation, de nouveaux examens obligatoires en matière d’éducation islamique.

Les hommes de l’EI savent cependant faire la différence entre les ouvrages récents susceptibles de gêner leur projet idéologique et les antiquités monnayables que recelait Mossoul. Contrairement à ce qu’a pu laisser faire croire la dépêche de l’AP, les ouvrages les plus précieux n’auraient pas fait l’objet de destruction. Selon Lamia Al-Gailani, archéologue affiliée à l’Ecole des études orientales et africaines de Londres, le Musée de Mossoul, transformé en bureau de collecte de taxes, ne contenait plus de pièces d’importance depuis 1991.

« Les manuscrits syriaques sont en sécurité à Erbil et ne sont plus à Mossoul depuis des années »

Le Père Najeeb se veut également rassurant : « Les manuscrits syriaques sont en sécurité à Erbil et ne sont plus à Mossoul depuis des années ». Appartenant à l’ordre des dominicains, présents à Mossoul dès 1750 et chassés de la ville au printemps dernier, il s’est employé depuis longtemps à la préservation et à la numérisation des manuscrits anciens conservés autrefois par ses prédécesseurs dans un monastère qui servirait aujourd’hui de prison et de centre de torture à l’administration du califat.

Trafic d’antiquités

Le destin des ouvrages précieux conservés à la bibliothèque centrale de Mossoul, dont les manuscrits les plus anciens issus des archives des grandes familles de la ville datent du XIIIsiècle, reste quant à lui très incertain. S’ils ne sont sans doute pas dépourvus de valeur marchande, il reste difficile d’établir formellement le degré de participation des nouveaux maîtres de Mossoul au trafic international d’antiquités qui menace l’immense patrimoine archéologique irakien depuis 2003 et le basculement du pays dans le chaos.

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Livrée à une violence endémique depuis l’occupation américaine de l’Irak puis conquise par les djihadistes en juin 2014, Mossoul n’en finit pas de tomber. Coupée du monde, soumise à la loi de la terreur, purgée de ses populations minoritaires, promise à une dévastation totale en cas de reconquête et maintenant privée de ses livres, l’antique Ninive n’est plus que le souvenir d’une ville disparue depuis longtemps.

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