A Raqqa, l'organisation Etat islamique (EI) prospère. David Thompson, journaliste spécialisé dans les réseaux djihadistes, signalait mercredi l'ouverture d'un restaurant par un membre français, dans la ville syrienne contrôlée depuis juin 2013. La devanture annonce des pâtes et des spécialités marocaines.

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Mais ce luxe ne concerne pas tout le monde. Dans la capitale auto-proclamée du califat d'al-Baghdadi, la vie quotidienne est rythmée par le bon vouloir de Daech. Et les cinq prières quotidiennes. Désormais, les hommes sont obligés de prier à la mosquée, sous peine de se faire réprimander par la police al-Hisha, chargée de faire respecter la loi islamique version EI. Les commerçants qui ne ferment pas leurs boutiques pour s'y rendre risquent la flagellation et la confiscation de leur échoppe. "Notre travail est sans cesse interrompu, il est difficile de fermer et ouvrir sa boutique quatre fois par jour. Je prie dans mon magasin depuis longtemps, mais être obligé à prier finira par être rédhibitoire", déplore un commerçant au site spécialisé sur le Proche-Orient Al-Monitor. En filigrane, il explique que ce contrôle des mouvements a modifié le visage de la ville de 200 000 habitants.

Vidéo de la police al-Hisha publiée par le réseau Raqqa Is Being Slaughtered Silently.

La loi de Daech

La contrainte, les habitants de Raqqa y sont confrontés dans de nombreux autres domaines. Les femmes ne peuvent sortir dans la rue sans référent masculin -mari, frère, père- et sans porter le niqab. Même les hommes reçoivent des conseils vestimentaires, rapporte la chaîne quatari AlJazeera: pantalons amples retroussés aux chevilles ou rentrés dans les chaussettes sont recommandés. Pour tous, la musique, à l'exception des chants religieux, est interdite.

Dans la rue, les militants de l'EI prêchent leur bonne parole. A ce titre, les programmes scolaires sont revus, conformément à l'idéologie de Daech. Toutes les mentions de la Syrie devront être remplacées par "Etat islamique", explique un document traduit par le quotidien américain Wall Street Journal. Et tout faux pas est puni: des témoins ont rapporté plusieurs crucifixions sur la place publique. L'ironie veut qu'elle s'appelle "place du paradis".

Dans ce climat, les habitants se cachent même pour fumer. Selon la vision radicale de l'islam prônée par l'EI, cette pratique est considérée comme un suicide, un acte interdit. Les fumeurs encourent d'abord des coups de fouet, puis, en cas de récidive, la prison ou le placement dans un camp dans le désert, explique un membre de Raqqa Is Being Slaughtered Silently (RBSS, "Raqqa est massacrée en silence"), un groupe anti-EI qui documente la vie quotidienne de la ville, au quotidien britannique The Independent. Un membre de l'EI a été retrouvé décapité, une cigarette entre les lèvres. La peur règne, et les boutiques de cigarettes ou de pipes à chicha ont fermé, faisant exploser le marché de la contrebande. Les prix ont été multipliés par trois. Et les cafés de la ville, longtemps fréquentés par les fumeurs, ont vu leur clientèle diminuer. Certains ont mis la clé sous la porte.

Economie en lambeaux

Ce contrôle de la population se fait sur un terrain économique ravagé, avec des inégalités de plus en plus marquées. Interrogé par le quotidien britannique The Guardian, un autre militant de RBSS évoque une pénurie croissante de nourriture. Selon lui, plus de 1000 familles bénéficient de la soupe populaire, que l'EI ne finance pas. Le prix du pain a augmenté de 150% depuis septembre et l'eau courante est devenue un luxe.

Les récentes frappes de la coalition n'ont rien arrangé: "Nous avons des frappes du régime syrien le matin et des frappes de la coalition à la fin de la journée. Entre les deux, l'EI contrôle et tue des gens. Tout le monde est fatigué et effrayé", témoigne-t-il. La coalition a détruit la raffinerie et la centrale électrique de la ville, désormais tributaire des générateurs. Pour les habitants, l'électricité est disponible entre trois et cinq heures par jour. Les djihadistes ne sont pas concernés par ce rationnement.

Tweet du réseau Raqqa Is Being Slaughtered Silently.

Selon plusieurs témoignages, les militants de l'EI se ménagent en effet un certain confort par rapport au reste de la population: hôpitaux privés, salaires élevés, habitations en bon état... Dans ses vidéos de propagande, l'EI montre la vie à Raqqa comme un paradis pour tous les musulmans du monde, fait observer le Wall Street Journal. Dans l'une d'elles, un jeune homme la compare même à "une grande fête". Habitants et militants espèrent qu'elle aura une fin.


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