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Portrait

Jay Z rappeur business class

Ancien dealer devenu star du hip-hop, Jay Z s'est construit un véritable empire, jusqu'à devenir l'un des artistes les plus riches du monde. Marié à la chanteuse Beyoncé, ami de Barack Obama, l'autoproclamé « Warren Buffett noir » incarne le self-made-man américain, version XXI e siècle.

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Par Pierre Demoux

Publié le 25 févr. 2015 à 01:01Mis à jour le 6 août 2019 à 00:00

On peut être le pape du hip-hop, un poids lourd de l'industrie musicale mondiale, l'un des rappeurs les plus respectés... et devoir une partie de son succès à une petite orpheline de onze ans. En 1998, Shawn Carter, alias Jay Z, commence à émerger sur la scène américaine quand il reprend l'une des chansons de la comédie musicale « Annie » - l'histoire d'une petite fille à la recherche de ses parents, à l'affiche à Broadway depuis près de quarante ans désormais. Réécrit pour coller à sa vie dans Bedford-Stuyvesant, quartier miteux de Brooklyn, « Hard Knock Life » devient un succès planétaire et lance définitivement sa carrière. Seize ans et plusieurs centaines de millions d'albums vendus plus tard, le rappeur de quarante-cinq ans, reconnaissant, revient aujourd'hui vers « Annie », cette fois comme coproducteur de la version cinéma, qui sort aujourd'hui en France. Une activité de plus dans l'empire que s'est taillé cet ancien petit dealer de crack devenu entrepreneur multicarte : musique, vêtements, boissons, parfums, cigares, bars, sport... Un empire fondé sur un principe, résumé dans l'un de ses textes : « I'm not a businessman, I'm a business, man. »

Ce credo, simple et efficace, lui a permis d'amasser une fortune estimée à 520 millions de dollars par « Forbes ». « C'est un véritable homme d'affaires qui trouve un moyen de faire de l'argent avec tout ce qu'il touche, explique Zack O'Malley Greenburg, journaliste à « Forbes » et auteur d'une biographie non officielle (*). Sa stratégie a généralement été de lancer ses propres produits et sociétés, puis de les inclure dans ses oeuvres pour s'enrichir lui-même plutôt que d'autres. » Ses clips, interviews et autres apparitions sont des modèles de placement de produits. Comme pour la marque de vêtements Rocawear, fondée avec son acolyte Damon Dash - et dont il a revendu ses parts en 2012 pour 204 millions de dollars - ou pour ses multiples partenariats avec des marques telles que General Motors, Samsung, Budweiser, Hewlett-Packard, Reebok... Car Jay Z fait vendre, comme l'a constaté une petite marque de champagne français dont il a fait la boisson la plus branchée du moment.

Chigny-les-Roses, capitale du show-business

Au milieu des vignes champenoises, dans le village de Chigny-les-Roses, la maison Cattier a connu l'un des plus fulgurants succès de l'histoire du vin. La « success story » a débuté en 2006 avec une parole malheureuse d'un dirigeant de Louis Roederer, un concurrent, s'interrogeant dans une interview sur la popularité de ses champagnes auprès des rappeurs. Sous-entendu intolérable, s'insurge Jay Z : « Tout ce qui ne ressemble pas à un "merci" est raciste. » Le boycott de Roederer est lancé. Cet amateur de vins (il possède une cave de plusieurs milliers de bouteilles) s'entiche alors du champagne Armand de Brignac, une marque en sommeil que Cattier vient de relancer. Et le place dans un de ses clips, où il dédaigne ostensiblement un champagne Roederer au profit d'un Armand de Brignac.

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La bouteille se retrouve dans les bars et clubs que possède Jay Z, dans les loges VIP de la salle des Brooklyn Nets, une équipe de basket dont il a été actionnaire minoritaire, et devient l'objet fétiche des stars du show-business et du sport. « C'est devenu aussitôt un phénomène planétaire inimaginable. Les demandes ont afflué de partout, ce n'est plus nous qui démarchions les distributeurs mais l'inverse ! », se souvient Philippe Bienvenu, directeur commercial de Cattier. 100.000 bouteilles ont été écoulées l'an dernier, à 250 dollars pièce au minimum aux Etats-Unis mais avec un prix grimpant jusqu'à 500.000 dollars pour une collection spéciale en 2013 : une réussite inattendue pour la maison de Chigny-les-Roses, que Jay Z est venu visiter en 2010 après un concert à Paris. Un passage en toute simplicité : jet privé depuis la capitale et convoi de 6 limousines pour une visite-dégustation de deux heures, suivie d'un barbecue.

« Dès le départ, il nous a dit qu'il agissait par coup de coeur, qu'il ne voulait ni contrepartie ni rôle d'ambassadeur de la marque », assure Philippe Bienvenu. Le rappeur aurait en fait depuis plusieurs années des intérêts dans Sovereign Brands, un distributeur américain d'alcool... qui assure notamment, via sa filiale Armand de Brignac LLC, la promotion et la distribution du champagne éponyme de Cattier à travers le monde. Une filiale rachetée en novembre dernier par... Jay Z. Un beau coup pour l'autoproclamé « Warren Buffett noir », clin d'oeil au richissime investisseur américain qu'il côtoie parfois, de même que Bill Gates.

Ceux qui ont eu affaire à lui le décrivent comme un gros travailleur, avide de connaissances. Philippe Bienvenu a ainsi été « impressionné par son implication et son talent d'homme d'affaires ». Opportuniste et roublard, il a aussi appris de ses erreurs, comme lors de cette altercation avec un producteur accusé de trahison, achevée à coups de couteau. « C'était immature », reconnaîtra ce beau bébé de 1,95 mètre à propos de cet épisode, qui lui a valu trois ans de prison avec sursis.

Son expérience d'entrepreneur a débuté à vingt-six ans : mécontent de son contrat avec sa maison de disques, il lance avec Damon Dash et Kareem Burke son propre label. Nommé en référence à John Rockefeller, Roc-A-Fella passera en 2004 sous le giron d'Universal, qui confie alors à Jay Z la direction de sa branche hip-hop, Def Jam. Un fauteuil de PDG qu'il accepte avec l'envie de promouvoir l'ascension sociale des Noirs américains : « Dans les conseils d'administration, je suis souvent le seul Noir et le seul jeune au milieu de ces hommes d'affaires blancs. Je n'ai pas l'impression de faire partie du club des dirigeants, mais d'être un excentrique qui a réussi. » Cette arrivée dans l'univers du costume-cravate et ses multiples partenariats commerciaux ont aussi pu brouiller son image auprès d'autres rappeurs plus engagés. Comme Chuck D, de Public Enemy, lâchant : « Je dirais qu'il y a des gens derrière lui qui ont investi énormément sur son nom. » Un investissement gagnant puisque la quasi-totalité de ses albums a fini en tête des ventes aux Etats-Unis.

« Billion dollar couple »

Malgré quelques révélations, son passage à la tête de Def Jam ne restera pas gravé dans les mémoires. Il démissionne d'Universal en 2007 pour signer un accord inédit de dix ans et 150 millions de dollars avec la société d'événementiel Live Nation, qui lui permet de fonder sa propre société de production et de management d'artistes et de sportifs, Roc Nation. Son ambition : attirer des stars (les chanteurs Kanye West, Rihanna et Shakira, le basketteur Kevin Durant...), dont certaines qu'il avait lui-même recrutées chez Def Jam, pour s'attaquer à des géants comme les agences IMG, CAA ou... Universal. Cette stratégie offensive, il l'a récemment appliquée en faisant une offre de 56 millions de dollars à Aspiro AB, un groupe suédois qui propose du streaming en haute définition et qui vient de se lancer aux Etats-Unis. Un secteur prometteur (l'écoute en ligne a représenté l'an dernier plus de la moitié des revenus du numérique musical) mais dominé par un leader mondial, Spotify, et sur lequel Apple veut aussi s'imposer. Le New-Yorkais veut également accrocher un autre trophée, plus symbolique : devenir le premier milliardaire du hip-hop. Et il peut compter pour cela sur le soutien de sa femme, la chanteuse Beyoncé, qu'il a épousée en 2008, six ans après leur rencontre.

Leur première collaboration en duo a donné le ton. Dans « 03 Bonnie and Clyde », ils se placent comme les héritiers des célèbres amoureux-gangsters. Ils ont depuis largement fait sauter la banque : leur patrimoine commun approche le milliard de dollars, au point qu'une partie de la presse américaine les surnomme déjà le « billion dollar couple ». Leur tournée commune de 21 dates, l'an dernier, a généré 100 millions de dollars de recettes. Rarement un couple a réuni deux stars aussi célèbres et puissantes l'une que l'autre. « Leur mariage rend tout ce qu'ils touchent encore plus rentable car quand l'un lance une société ou s'associe à un produit, cela sous-entend que l'autre aussi, explique Zack O'Malley Greenburg. Ils sont devenus des icônes pour une large frange de l'Amérique. » Leur réussite professionnelle a très peu atteint leur image de couple cool. Même si leur fille de trois ans, Blue Ivy, a reçu un cheval à bascule en or massif à 600.000 dollars en cadeau d'anniversaire. Ils sont le pendant show-business du couple Obama, avec qui ils sont amis. Invités régulièrement à la Maison-Blanche, Beyoncé a chanté au premier bal officiel en 2009, puis lors de sa seconde investiture en 2013. « Jay Z sait à quoi ressemble ma vie, plaisante le président américain. Nous avons tous les deux des filles. Et nos femmes sont plus populaires que nous. »

Une icône new-yorkaise

Plus que d'autres figures du hip-hop comme Dr. Dre, le fondateur des casques audio Beats, rachetés 3 milliards de dollars par Apple en mai, ou Sean Combs (alias Diddy), devenus hommes d'affaires et qui le surpassent d'ailleurs au classement des rappeurs les plus fortunés du monde, Jay Z incarne « l'exemple même du rêve américain du self-made-man appliqué au XXIe siècle », estime Zack O'Malley Greenburg. Des affaires florissantes, un couple glamour et ultramédiatique, la proximité avec l'élite politique, tout cela lui a offert un vernis de respectabilité plus brillant qu'à ses homologues. Son parcours - parti de rien et arrivé au sommet - « renvoie à un thème central de l'histoire américaine », a expliqué Michael Eric Dyson, professeur de sociologie à Georgetown, qui lui consacre un cours. « Cela renvoie à ce que cela signifie d'être américain et c'est ce qui explique son succès et sa reconnaissance. »

Depuis peu, le natif de Brooklyn s'aventure sur un terrain qu'il a peu fréquenté jusqu'ici, la politique. Il n'a jamais caché ses opinions démocrates, pris plusieurs fois position sur la question des relations raciales et apporté un soutien financier à diverses causes - comme un don de 1 million de dollars à la Croix-Rouge après l'ouragan Katrina. Mais, ces derniers mois, les autorités new-yorkaises sont venues le solliciter, après les affaires Garner et Brown : le maire de la ville et le gouverneur de l'Etat, Bill de Blasio et Andrew Cuomo, ont vu tout l'intérêt de s'afficher aux côtés de l'une des figures les plus emblématiques de New York auprès des jeunes. Car Jay Z rappelle sans cesse son attachement à sa ville. Il est allé soutenir le mouvement Occupy Wall Street; a participé au retour d'un club de basket NBA à Brooklyn; supporte inconditionnellement les équipes de sport locales - « J'ai rendu la casquette des Yankees plus célèbre qu'aucun joueur ne l'a fait », chante-t-il à propos de l'équipe de baseball; s'associe aux artistes et sportifs locaux... Le titre le plus emblématique de son amour pour The Big Apple est d'ailleurs devenu le nouvel hymne de la ville, l'égal du « New York, New York » de Frank Sinatra. Dans « Empire State of Mind », en duo avec une autre native de la Grosse Pomme, Alicia Keys, il raconte sa fierté d'avoir grandi dans ces rues. Et y livre la clef de son parcours : « A New York, il n'y a rien que tu ne puisses accomplir. »

Pierre Demoux

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