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Dès les premières images du documentaire Le Faussaire, le spectateur est hypnotisé par Mark Landis. Ou Mark Lanois. Ou père Scott. Cet homme fascinant a utilisé au moins six identités pour berner un maximum de musées répartis dans vingt États américains. Déjà enfant, il s'amusait à reproduire des oeuvres en observant attentivement les photos dans les catalogues d'exposition que ses parents récupéraient au gré de leurs voyages. L'homme, qui souffre de troubles lourds de la concentration, dispose d'un talent incroyable : il peut imiter à la perfection les oeuvres d'artistes aussi divers que Picasso, Walt Disney, Marie Laurencin, Thomas Sully ou encore Milton Avery.
Mark Landis ne s'arrête pas à l'imitation : son but dans la vie est de faire exposer ses copies dans des musées. Et il a réussi : au moins 46 musées sont tombés dans ses pièges. Obsédé par cette passion coupable, il les contacte méthodiquement et leur propose de leur donner des oeuvres correspondant à leurs collections : aucun conservateur ne peut refuser de le recevoir. Puis il se présente sur place avec son cartable en cuir, endosse parfaitement l'une de ses identités, explique par exemple que sa soeur décédée (personnage imaginaire elle aussi) avait acquis les tableaux lors de ventes aux enchères. Il fournit même de faux certificats ! Puis il s'éclipse, non sans avoir promis des dons en argent à l'avenir afin d'inciter les musées à exposer ses tableaux au lieu de les placer en réserve.
Des photocopies sous la peinture
Sans analyse poussée des tableaux, l'illusion est parfaite, du moins lorsque Mark a pris le temps de travailler avec soin. "C'est un artiste incroyable", "il a un véritable talent", reconnaissent des conservateurs de musée dans le documentaire. Mais, lassé de passer des dizaines d'heures sur chaque reproduction, Mark Landis s'est mis à coller une photocopie de l'oeuvre sur le support, avant de peindre des détails par-dessus et de simuler les coups de pinceau, les traces d'usure et même les moisissures sur le dos du cadre, à coups de crayon de couleur, de papier absorbant ou de café instantané. Le résultat est toujours saisissant à l'oeil nu, mais il ne résiste pas à un passage sous la lampe à ultraviolets. Même lorsqu'il est démasqué, Mark Landis ne risque pas grand-chose. Il ne demande pas d'argent aux musées, contrairement au maître faussaire allemand Wolfgang Beltracchi, condamné en 2011 à six ans de prison. Pour les dons, l'authenticité des objets reste à l'appréciation des musées : il n'y a rien d'illégal là-dedans ! Un musée crédule (ou prudent) a même écrit à Mark Landis pour lui signaler qu'il avait probablement acheté un faux !
Un personnage mystérieux
L'homme vit dans l'appartement que lui a légué sa mère, dont le décès a été un traumatisme extrêmement violent. Lorsqu'elle avait rencontré Mark Landis en 2011, notre correspondante aux États-Unis racontait : "Il ne cesse de parler avec vénération de sa mère et de sa beauté. Elle est morte l'an dernier (en 2010, NDLR) et il a tout laissé en l'état. Son sac à main par terre, ses fourrures, sa montre Cartier." Installé négligemment sur un lit, plutôt que sur une table ou un chevalet, il fait ses faux pour honorer la mémoire de ses parents, glisse-t-il timidement dans le documentaire. Mais on sent que ce n'est pas la seule raison.
Ce n'est pas la coréalisatrice Jennifer Grausman qui nous aidera à cerner le personnage : "Je n'aime pas répondre à cette question, je préfère que les spectateurs se fassent leur propre opinion", explique-t-elle à l'issue de l'avant-première parisienne, lundi 16 mars. Un spectateur lui demande comment va le faussaire, qui semble non seulement très seul mais aussi franchement déprimé sur les images issues des trois années de tournage entre 2011 et 2014. "Il va beaucoup mieux, il a rencontré beaucoup de monde grâce au documentaire et il vient de fêter ses 60 ans avec des journalistes et des étudiants en art", répond-elle.
Obsession contre obsession
Les réalisateurs ont aussi voulu mettre en scène Matthew Leininger, un ancien conservateur qui consacre sa vie à poursuivre Mark Landis. Et l'on assiste à un véritable duel d'obsessions. "Il n'aurait pas dû s'attaquer à moi", plaisante Matthew Leininger, licencié car il passait trop de temps à suivre les traces du mystérieux faussaire. Lorsqu'ils se rencontrent, après des années sans se voir, ils commencent par discuter des catalogues d'exposition : sont-ils fidèles au travail de l'artiste ?
Puis Mark Landis est gêné : "Je n'ai jamais voulu vous causer du tort, murmure-t-il à l'ex-conservateur. Dites-moi si je peux faire quoi que ce soit." "Vous pourriez arrêter !" lui répond aussi sec Matthew Leininger. Et Mark accepte, comme si c'était une décision facile, sur un coup de tête. Mais a-t-il vraiment arrêté ? Le documentaire ne le dit pas, et Jennifer Grausman reste prudente : "Il dit qu'il a arrêté... On verra dans quelques années si c'est vrai."
Le documentaire a reçu un accueil mitigé du monde de l'art, qui s'est parfois senti insulté : il est vrai que le professionnalisme des conservateurs est largement remis en question. "Des musées ont protesté, car ils sont présents dans la liste des institutions bernées, mais d'autres ont demandé l'autorisation de diffuser le film dans l'une de leurs salles", explique Jennifer Grausman. Autre élément qui ne grandit pas le monde de l'art : au détour d'une conversation avec la coréalisatrice, l'on apprend que la Fondation Picasso a réclamé "un accord" (comprendre : de l'argent) pour autoriser la diffusion en France du film, qui contient quelques images d'un tableau plagié. Business is business...
LIRE ÉGALEMENT notre portrait de 2011 : Moi, Mark Landis, peintre, faussaire et philanthrope
Le Faussaire (titre original : Art and Craft), par Sam Cullman et Jennifer Grausman, co-réalisé avec Mark Becker, 1 h 29, projeté en France dès le 18 mars 2015 (distribué par VisioSfeir). Voir aussi la liste nationale des séances et la fiche AlloCiné.
Et qu'en pense Guy Wildenstein, marchand de tableaux, expert autoproclamé... ? Toujours disposé à authentifier "généreusement" une oeuvre (cf. Reportage TV)
Quel talent ! Mais je ne comprends pas qu'il "souffre de troubles lourds de la concentration" car, pour reproduire si minutieusement de telles oeuvres, il me semble qu'il doit falloir une bonne dose de concentration, non ?