L’Oise fait partie des départements où Le Front National espère gagner des cantons, lors des élections départementales de ce week end. Reportage à Beauvais, dans une zone mi-rurale, mi-urbaine, où le FN tente de racler les voix du monde agricole à la droite.
“Si on ne peut plus bénéficier des subventions de la Pac, on n’aura plus de revenu, c’est aussi simple que ça.” Derrière son bureau, Claude est catégorique. Cet agriculteur de Sérifontaine, à vingt-cinq kilomètres de Beauvais exclut de voter FN aux élections départementales de ce week end. Raymond, agriculteur à la retraite depuis deux ans, partage cet état des lieux : “sans l’Europe, on serait tous morts économiquement”, concède ce Gaulliste convaincu devant son café, installé dans son pavillon de Goincourt.
La météo est clémente ce mardi 17 mars, les rayons de soleil inondent les vallées fertiles de l’Oise et notamment celles du canton de Beauvais-2, où se mélangent des territoires urbains et ruraux. Une zone fertile pour le FN qui, au fil des élections locales, y a tissé un solide socle électoral.
“La montée du Front National dans cette circonscription est caractéristique de cette France désindustrialisée, explique le politologue Jérôme Gombin. Ce sont des zones en perte de vitesse économique, avec de réelles menaces de déclassement pour la population. Le FN apparaît alors comme la seule alternative possible aux partis traditionnels, dont les dominations politiques sont remises en cause.”
Beauvais, à une heure de Paris, est connue pour sa cathédrale possédant le plus haut choeur gothique au monde, sa manufacture de tapisserie fondée par Colbert au 17e siècle et son FN à plus de 40 % dans de nombreux cantons. Lors d’une élection législative partielle en 2013, marquée par une abstention frôlant les 70%, la candidate du Front National Florence Italiani n’avait échoué que de 800 voix face au candidat UMP, le baron local et ancien président du conseil général Jean-François Mancel.
Il avait été exclu du RPR en 1998 pour des alliances avec le parti d’extrême droite, avant de retourner à l’UMP. Quant au Parti socialiste, il avait été éliminé au premier tour. Ces quelques centaines de voix qui ont manqué à Florence Italiani, les binômes frontistes investis pour les élections départementales – le premier tour a lieu le 22 mars – aimeraient bien aller les chercher du côté des agriculteurs. Claude, agriculteur à Sérifontaine, explique : “On représente 5% à 6% des votants, tout au plus. Mais on se déplace toujours massivement pour aller voter.”
« On ne peut pas faire sans l’Europe«
Dans ce canton, le tandem frontiste est composé de Florence Italiani et de Sébastien Chenu. Cet ex-secrétaire national de l’UMP a rejoint les rangs du Rassemblement Bleu Marine l’automne dernier. Attablé dans un café de la place Jeanne Hachette, dans le centre ville de Beauvais, le quadra assure qu’il sera bien présent au second tour. “Tout le monde sera contre nous”, sent-il bon de nous préciser. Florence Italiani et lui ne jurent que par la “Paf”, la Politique Agricole Française, ardemment réclamée par Marine Le Pen et censée remplacer l’actuelle Politique Agricole Commune (Pac).
Sébastien Chenu peut aussi s’appuyer sur son suppléant Laurent Maigret, ancien administrateur au syndicat des jeunes agriculteurs de l’Oise. Le syndicat lui a retiré ses mandats après qu’il a refusé de démissionner de son poste. Quoi qu’il en soit, tourner le dos à la Pac reste une ineptie pour Raymond, agriculteur à la retraite : “Les subventions de la Pac sont un sacré levier sur le marche international pour les agriculteurs, on ne peut pas faire sans l’Europe aujourd’hui.” La France est en effet le pays de l’Union européenne qui profite le plus des subventions de Bruxelles. Pour Claude, agriculteur à Sérifontaine, tout n’est pourtant pas rose avec la Pac :
“On nous parle à longueur de temps de simplifications, alors que tout va en se complexant. Les derniers articles concernant les dossiers de la Pac n’ont toujours pas été rédigés. D’ailleurs, aujourd’hui, il faut avoir fait l’Ena pour comprendre comment remplir les demandes de subvention”, maugrée-t-il.
Un vote qui reste tourné vers l’UMP
Même si ces deux agriculteurs voteront UMP lors du premier tour dimanche, ils ne restent pas avares de critiques envers le parti gaulliste.
“J’ai l’impression que les tandems de candidats ont fait un travail de terrain durant la campagne. Mais il ne faut pas y aller que durant les élections. Ils multiplient les messages sur les réseaux sociaux, c’est bien. Mais, on a aussi besoin de sentir leur tripes”, regrette Raymond.
Il a une grande peur de l’abstention : “J’ai toujours en mémoire la mobilisation du 11 janvier. Alors si vous êtes vraiment Charlie, allez voter ! Comment peut-on critiquer sinon ? L’abstention n’est pas la règle du jeu.” Claude regrette lui “le manque de perspective pour les jeunes dans la région.” Et voit le choix du FN, “non pas comme du racisme, mais de la désillusion. Une désillusion qui n’a été résolue ni par la droite, ni par la gauche.”
Si le vote des agriculteurs reste donc tourné vers l’UMP, le politologue Jérôme Gombin note une évolution négative ces dernières années:
“Même si on reste dans l’héritage du pacte historique des années 60 entre les syndicats agricoles et le pouvoir gaulliste, ce vote commence à s’effriter. L’UMP de Nicolas Sarkozy n’a plus grand chose à voir avec le RPR de Jacques Chirac. Mais comme mécaniquement, il leur reste acquis, le vote agricole n’est plus un enjeu central pour cet UMP-là.”
Cette drague du monde agricole par le FN, dont le vote s’ancre pourtant historiquement à droite, n’a pas échappé au Premier ministre Manuel Valls. Il dénonçait, le 23 février, que voter FN revenait à “détruire le modèle européen qui a soutenu l’agriculture française”. Mais pour Florence Italiani, sortir de la Pac n’est pas un problème : “L’argent donné par l’Europe aux agriculteurs, c’est la France qui le ferait” tente-t-elle de résumer. Sébastien Chenu rajoute : “Les agriculteurs ont envie de vivre de leur travail et ne pas être subventionnés.”
FN et UMP au coude-à-coude
Dans un sondage CSA pour BFM TV publié jeudi, au niveau national le FN et le tandem UMP-UDI sont au coude-à-coude (28% et 27% respectivement). Le Parti socialiste complète le podium, loin derrière à 20%. Dans l’Oise, cette tendance s’accentue : aux dernières élections européennes – au scrutin particulier – le FN arrivait en tête avec 38 % des voix. L’UMP rassemblait lui 20 % des voix tandis que le Parti socialiste, se fracassait avec seulement 9,7% d’électeurs.
“On a le sentiment qu’ils ont laissé tomber cette bataille”, témoigne Martine, commerçante du centre de Beauvais. C’est dans ce contexte que Manuel Valls a retroussé ses manches et s’affaire depuis plusieurs semaines à déconstruire le programme du Front National. Le 9 mars dernier, il a choisi la ville de Bresles, dans un canton de voisin de Beauvais-2 pour aller à la rencontre de 400 personnes. Le Premier ministre a multiplié les déplacements en province pour mobiliser les troupes avant le premier tour de dimanche. Suffisant pour éviter une débâcle annoncée ? Rien n’est moins sûr.