A woman walks past campaign posters of France's Socialist Party (PS) in the northern French city of Lille on March 7, 2015 ahead of regional elections in France. AFP PHOTO PHILIPPE HUGUEN

Les militants socialistes semblent manquer de conviction.

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Dans la Nièvre, au début de mars

Jusqu'ici, tout va bien. Les gens ne lui claquent pas la porte au nez, au pire, ils disent... qu'ils vont s'abstenir. Pascale Massicot, candidate PS dans l'ouest de Nevers, arpente ce quartier pavillonnaire qui s'étire au pied des HLM de la Grande-Pâture. Elle anticipe la mauvaise humeur des électeurs, glisse très vite dans la conversation, sur le paillasson, que "le gouvernement, c'est le gouvernement", tandis qu'elle, elle se présente au conseil départemental : "Les routes, les collèges, les aides sociales, vous voyez ?"

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Parfois, c'est peine perdue : "J'ai mon opinion sur le gouvernement et je la garde pour moi, lui rétorque sèchement un retraité. Le tract, vous pouvez le laisser dans la boîte aux lettres." A 53 ans, Pascale Massicot a connu les banquets socialistes qui faisaient salles combles et la mitterrandôlatrie de tout le département. Aujourd'hui, les Nivernais écoutent poliment les socialistes. Il y a quelques jours, après une discussion d'une demi-heure, une jeune femme a vivement remercié une élue. En la quittant seulement, elle lui a glissé qu'elle votait Front national.

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A Guérigny, le maire a rendu sa carte du PS l'an passé, après plusieurs décennies de militantisme. Non, décidément, Jean-Pierre Château n'y croit plus, à ce parti rouillé, incapable d'attirer qui que ce soit. D'ailleurs, il a enlevé de ses tracts le poing et la rose, comme nombre de candidats socialistes de la Nièvre : aujourd'hui, Château se dit "républicain". "Républicain", comme "le président", ainsi qu'il nomme, avec emphase, François Mitterrand; "républicain", comme Jaurès, qui a tenu meeting ici, à quelques mètres, et dont Château conserve un buste dans une vitrine. Au-delà de l'étroite fenêtre du bureau, le vent agite le drapeau tricolore sur le fronton de la mairie.

Lille (Nord), quartier de Moulins, le 19 mars

Ciel gris, pluie. Sur l'avenue Denis-Cordonnier, l'interphone ne répond pas, et la grille ne s'ouvre pas. Martine Filleul, candidate socialiste sur le canton de Lille 4, tente de se protéger du froid, la tête rentrée dans les épaules : "Le porte-à-porte, ça n'a plus rien à voir avec ce qu'on a connu, soupire-t-elle. Tous ces codes, ces halls ultrasécurisés...

La plupart du temps, on ne peut même plus entrer dans les immeubles !" Aujourd'hui, elle passe la journée avec Bernard Roman, venu la soutenir dans ce quartier très populaire de Lille dont il est le député depuis presque vingt ans, réélu en juin 2012 avec 65% des suffrages. Ce matin, ils ont rendez-vous avec Bilal, agent d'accueil dans un centre social, militant sur lequel ils comptent pour mobiliser à gauche.

Le jeune homme ne cache pas son inquiétude : "C'est beaucoup plus dur qu'avant. Ceux qui sont dans la galère, ils pensaient que ça irait mieux avec Hollande et, au final, ils se retrouvent avec moins d'aides qu'avant. Les jeunes, ceux avec lesquels je parle à la salle de sport ou à la mosquée, les Noirs, les rebeus, ils se sentent exclus, abandonnés, ils pensent que la République, elle défend seulement les juifs. Franchement, Monsieur Roman, c'est dur..."

Il y a quelques semaines, sa femme, Halifa, a été insultée dans le métro : "Sale bougnoule !" lui a lancé un homme lorsqu'elle s'est assise en face de lui. Le pire, dit-elle, c'était l'indifférence des autres voyageurs. "Quand ça arrive, il faut absolument déposer plainte !" s'indigne Bernard Roman. Bilal lui sourit gentiment : "Vous savez ce qu'ils ont répondu, à la police, quand un ami à moi est allé dire qu'il s'était fait traiter de sale bougnoule ? "C'est ce que tu es, non ?""

Midi. Martine Filleul et Bernard Roman sont attendus pour l'apéro au Tire-Laine, lieu de travail pour des musiciens, rue de Thumesnil. "Plutôt sans alcool, pour moi", répond la candidate à Bastien, qui lui propose une bière : "Ça commence mal", glisse Yann à Nono, le patron. Roman insiste : "Martine, c'est comme moi, presque une petite soeur. Dimanche, il faut y aller." Au Tire-Laine, les musiciens aiment bien le député, pas les socialistes : "On est tous dans la merde, constate Nono, lillois d'origine manouche. Le Front, ça fait des années qu'on le voit monter, qu'on essaie d'alerter les politiques et qu'il ne se passe rien. Avec Hollande, on pensait que ça allait s'apaiser, les tensions. C'est pire ! Et puis, on nous prend pour des cons, on file des ronds aux grandes entreprises comme si Sarkozy ne l'avait pas fait avant."

Au déjeuner, tout le monde se retrouve pour un couscous Chez Nordine. "Martine est là pour vous écouter, alors dites-lui ce que vous avez sur le coeur !" lance le député socialiste. Frédo, directeur du centre social Marcel-Bertrand depuis quinze ans, évoque une population désabusée : "Les gens sont très éloignés de cette élection ; ils ne sont ni virulents ni agressifs, ils se demandent juste à quoi ça va servir. Le seul truc qui fonctionne encore, c'est pas la politique, c'est la confiance : "Si Frédo le dit...""

"La gauche, les plus pauvres n'y croient plus et, chez les commerçants, c'est presque tous Front national, confirme sa voisine de table. L'insécurité qui n'a pas baissé dans le quartier, les dealers sur la place devant la fac de droit - ils ont l'impression que la police ne fait rien..." Hichem, qui dirige un club de foot, raconte qu'il a tenté de discuter ; le lendemain, il a retrouvé sa voiture vandalisée. "C'est vrai, on finit même par avoir peur d'aller parler aux jeunes", se désole Gilles, directeur du Prato, pôle national des arts du cirque. "Un soir, j'en ai vu un avec une kalachnikov devant l'entrée du théâtre ! Le quartier est oublié, j'exagère à peine quand je dis qu'il y a la ville d'en haut et la ville d'en bas."

16h30, permanence de Bernard Roman. Chips, cacahuètes, Coca : les militants socialistes sont invités à faire la connaissance de Martine Filleul et de son "binôme", Marc Godefroy. Marguerite, 81 ans, socialiste depuis plus de soixante ans, hésite devant les tracts que la candidate lui donne à distribuer : "Oh là là ! pour ce que ça sert... On ne nous ouvre même plus les portes ! Tout ce que j'entends, c'est : "Je suis trop déçu par la gauche." C'est vrai, remarquez, qu'on nous pompe de l'argent dans tous les sens... Moi, je paie la CSG, alors que je vis avec 640 euros de pension ! Mais bon, j'y crois encore. Quand faut y aller, faut y aller."

Sa copine Yvette, 76 ans, regrette aussi "le bazar" autour des frondeurs du PS : "Franchement, ils nous ont fait grand tort. Ils ont le droit de pas être d'accord, mais pas maintenant ! Les gens nous disent : "Vos socialistes, ils ne savent même pas s'accorder !""

Gérard, lui, parle de sa mère, 72 ans, qui a vu sa retraite diminuer, qui ne comprend rien à cette élection, et qui glissera pourtant un bulletin socialiste dans l'urne, encore une fois : "Ici, on vote comme M. Roman, c'est tout." Vers 18 heures, arrive Karima, folle de joie, qui passe en coup de vent : "Je voulais vous dire, j'ai obtenu la nationalité française, et je vais voter pour la première fois ! Enfin, je ne vais pas seulement vivre ça devant ma télé... Moi, j'ai confiance en la gauche, il faut juste leur laisser un peu plus de temps ; le changement, ça se fait pas en un mandat." Martine Filleul respire un peu. Bernard Roman se fait moins d'illusions : "Sur tous les gens que l'on a croisés, je sais bien que certains disent voter à gauche pour me faire plaisir, et qu'ils mettront un bulletin FN."

Paris, Salon du livre, le 21 mars

"J'ai été très, très émue par votre livre... Vraiment, j'ai adoré !" Isabelle est enthousiaste devant Philippe Torreton, installé dans l'allée des dédicaces du stand Flammarion. Mais le livre qu'elle a adoré, c'est le précédent, Mémé (paru chez L'Iconoclaste, 150 000 exemplaires vendus), pas du tout Cher François. Lettres ouvertes à toi, Président, que le comédien vient de publier pour dire, sur plus de 300 pages, toute sa déception d'homme de gauche. "Prenez aussi celui-ci !" lance Torreton, amusé, montrant un exemplaire de Cher François... "Oui, oui", promet Isabelle, qui s'éloigne déjà - "En tout cas, l'autre était extra!"

Beaucoup de demandes, peu de politique. Philippe Torreton signe des jaquettes de DVD : Présumé coupable, sur l'affaire d'Outreau, ou encore Banlieue 13. Ultimatum, dans lequel il joue le rôle du chef de l'Etat ; beaucoup de photos, aussi, souvent d'anciens portraits, du temps où il était sociétaire du Français ; des carnets, des livres d'or - mais non, ce n'est vraiment pas son coup de gueule politique qui fait venir le chaland. Soudain, voici Germaine, de Lyon, Cher François sous le bras : "Je suis comme vous, il m'énerve, ce président. Il est en train de détruire tout ce que la gauche avait construit, c'est insupportable !" Torreton approuve : "Il ne se passe pas un jour sans qu'un festival ferme... l'Etat se désengage toujours un peu plus !" "C'est vrai, acquiesce Germaine, je travaille dans une association et on a de moins en moins de subventions...

On a besoin de gens comme vous, il faut continuer de leur rentrer dedans, insiste-t-elle. Grâce à vous, on garde le moral !" Philippe Torreton poursuit la conversation, trop heureux de pouvoir parler un peu d'un sujet qui lui tient à coeur : "Depuis le 7 janvier, pas un membre du gouvernement ne s'est exprimé sur la culture ; pour moi, c'est pourtant l'arme absolue du vivre ensemble..." Plus tard, Jean-Louis s'avance, concerné : "Moi aussi, j'en ai marre de leur discours formaté, de leur manque de courage, de voir ces ministres se pavaner à la télé... Le PS n'existe plus ! La gauche est totalement absente !"

Philippe Torreton hoche la tête : "Ils ont abandonné le terrain de l'idéal au nom de l'orthodoxie financière. Voir un président s'en remettre à la croissance comme à un dieu... Mais il n'a pas compris que c'est fini, la consommation à outrance ?" La discussion dure quelques minutes. A l'instant de signer son livre, Torreton sourit, tandis qu'il écrit : "A Jean-Louis. Merci pour ce moment."

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