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Mort du poète suédois Tomas Tranströmer, Prix Nobel de littérature 2011

Poète suédois le plus connu à l’étranger et véritable institution dans son pays, il avait 83 ans.

Par  (Collaborateur du « Monde des livres »)

Publié le 27 mars 2015 à 19h17, modifié le 19 août 2019 à 12h59

Temps de Lecture 4 min.

Prix Nobel de littérature 2011, le poète suédois Tomas Tranströmer est mort le 26 mars, a annoncé sa maison d’édition suédoise, Bonnier. Il avait 83 ans et était diminué depuis un accident vasculaire cérébral qui, en 1990, l’avait laissé aphasique. C’est ainsi son épouse qui avait prononcé le discours de réception de son prix Nobel. Mais cette incapacité n’empêchait pas sa voix de porter loin. « A travers ses images condensées, translucides, il nous donne un accès neuf à la réalité », avait expliqué le comité Nobel pour expliquer son choix.

Né en 1931 à Stockholm, Tomas Tranströmer a raconté sa jeunesse, sa passion pour l’entomologie et ses résultats scolaires plutôt moyens dans Les souvenirs m’observent (Le Castor astral, 2004). A l’âge de 15 ans, il découvre la littérature et la poésie, écrit des textes modernistes, est fasciné par les poètes classiques, notamment latins. Rapidement, sa voix et sa langue s’affinent, se précisent. Il n’a que 23 ans lorsque paraît son premier recueil, 17 poèmes, en 1954. Il n’est encore alors qu’un étudiant de l’université de Stockholm, dont il sortira diplômé de psychologie, deux ans plus tard.

Vertige de l’évidence

Ses textes brillent par leur sobriété, la délicatesse de leurs perceptions et de leurs impressions intimes, leur richesse métaphorique. Le premier vers du poème inaugural de 17 poèmes est saisissant à cet égard, déjà cohérent avec toute l’œuvre à venir : « L’éveil est un saut en parachute hors du rêve. » Il est immédiatement remarqué. Le vertige de l’évidence, la densité complexe d’une énonciation a priori banale, l’originalité de l’image : tout est déjà là.

Dans sa postface aux Œuvres complètes (1954-1996) publiées par Le Castor astral en 1996, le poète Renaud Ego dit très bien cette fausse simplicité, presque narrative, de Tomas Tranströmer : il fait l’expérience du « caractère instable de la matière, cet état dont la physique moderne nous a appris qu’il était l’essence ». Apparemment, le poème constate le réel, s’inscrit dans un mouvement énumératif qui dénote et qui recense. Pas à pas, mot à mot, ce qu’il est donné de voir, au poète comme au lecteur. En vérité, le procédé révèle en quelques lignes ce qui nous échappe, les blancs et les failles de l’observation, les profondeurs sous la surface.

Un homme de tous les temps

Poète de notre temps, qui prend le train et le métro, dort parfois dans des chambres d’hôtel, regarde par la fenêtre, visite des églises, écoute de la musique, contemple la nature et voyage beaucoup, l’écrivain suédois est cependant un homme de tous les temps, du permanent dans ce qu’il a de changeant et de mouvant. Un voyant à l’articulation du temps qui passe et de celui qui demeure. Du moment, de l’histoire et de la mythologie à la fois.

Exemple parmi des dizaines, cet « Oiseaux du matin » (Accords et traces, 1966), qui commence presque mine de rien – « Je réveille la voiture/au pare-brise saupoudré de farine » – avant de changer de cap, à mi-chemin, mais sur le même ton : « Par une porte dérobée dans le paysage/la pie arrive/noire et blanche. Oiseau de Hel. »

L’ordinaire devient extraordinaire dans la langue du poète. Le singulier devient universel. Car Tomas Tranströmer donne constamment à saisir des perceptions et des situations singulières, individuelles. Avant l’irruption de métaphores aux héritages surréalistes, de béances métaphysiques, de silences et de vides éclatants. L’une de ses plus belles pièces des années 1960, « Solitude » (également dans Accords et traces), prend ainsi le prétexte d’un accident de la circulation (« C’est ici que je faillis périr un soir de février./La voiture sur le verglas glissait/du mauvais côté de la route ») pour précipiter le texte dans une saisissante inquiétude (« J’ai longtemps parcouru/les campagnes glacées de l’Östergötland./Et n’y ai vu âme qui vive »). Une inquiétude définitive (« Tout le monde fait la queue chez tout le monde »).

Une renommée mondiale

Dans les années 1970, la langue de Tomas Tranströmer s’épanouira encore, accueillant de plus en plus souvent la prose et le verset. A cette époque, son ami, le poète américain Robert Bly, le traduit pour la première fois en anglais. Sa renommée devient mondiale.

A la suite de son accident vasculaire cérébral de 1990, Tomas Tranströmer ralentit sa production. Les silences s’agrandissent, la lumière devient plus intense, parfois grave. Des premiers haïkus apparaissent dès Funeste gondole (1996), avant d’envahir ses derniers travaux, fulgurants : Poèmes courts (2002) et La Grande Enigme (2004).

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Admiré par le Russe Joseph Brodsky, le Chinois Bai Dao et de nombreux autres poètes, notamment de langue anglaise, sans compter son rayonnement dans les pays scandinaves, Tomas Tranströmer avait obtenu, grâce à son prix Nobel, la consécration internationale qu’il méritait.

Lire : 24 heures avec le poète Tomas Tranströmer, Prix Nobel de littérature 2011

Extrait "La Galerie"

(…) Ce ne sont plus des masques mais des visages

qui traversent le mur blanc de l’oubli
pour respirer, pour poser une question.
Je reste éveillé et je les vois se battre
et disparaître et reparaître.

Certains prêtent leurs traits à d’autres, ils changent de visage
au plus profond de moi, là
où la mémoire et l’oubli font leur maquignonnage.

Ils traversent les retouches de l’oubli,
le mur blanc,
ils disparaissent et reparaissent.

Il y a un deuil ici qu’on ne nomme pas ainsi.

Bienvenue dans les vraies galeries !
Bienvenue dans les vraies galères !
Les vraies grilles !

Le jeune karatéka qui paralysa un homme
continue à rêver d’argent vite gagné.

Et cette femme ne cesse d’acheter des choses
pour les jeter dans la gueule des grands vides
qui rôdent autour d’elle.

Monsieur X n’ose plus quitter son appartement.
Une sombre clôture de personnages équivoques
se dresse entre lui
et l’horizon qui se retire toujours.

Elle qui un jour s’enfuit de Carélie
elle qui savait rire… (…)

La Barrière de vérité, 1978, traduit du suédois par Jacques Outin, dans Anthologie, Le Castor astral, ou Œuvres complètes, Gallimard.

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