Tunisie : Jabeur Mejri, un athée en prison

Le jeune homme a écopé d'une peine très lourde pour avoir insulté l'islam. Rares sont les Tunisiens qui prennent sa défense.

De notre correspondante à Tunis,

Capture d'écran du site de soutien à Jabeur Mejri.
Capture d'écran du site de soutien à Jabeur Mejri. © DR

Temps de lecture : 5 min

C'est la journée internationale de défense des droits de l'homme. Et le président de la République tunisienne, ancien président de la Ligue tunisienne des droits de l'homme, Moncef Marzouki, a octroyé la grâce présidentielle à 79 prisonniers. Selon le ministère de la Justice, Jabeur Mejri "ne figure pas dans la liste".

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"Moncef Marzouki et Samir Dilou ont trahi la révolution. Un jour, on se vengera", s'emporte Henda Hendoud, membre du comité de soutien de Jabeur Mejri qui a déposé la demande de grâce. C'est la troisième fois que le comité de soutien demande la grâce. "Prisonnier d'opinion", selon Amnesty International, le premier post-révolution en Tunisie, Jabeur Mejri, 29 ans, a été condamné, fin mars 2012, à 7 ans et demi de prison et 1 200 dinars (550 euros) d'amende, pour avoir publié sur les réseaux sociaux des caricatures jugées insultantes envers l'islam. Son ami, Ghazi Beji, 29 ans, a écopé de la même peine, par contumace après avoir réussi à prendre la fuite. En juin 2013, ce dernier a obtenu le statut de réfugié en France après un long et périlleux voyage le menant en Algérie, en Turquie ou encore en Roumanie.

"Des idées plus graves que je ne pensais"

"La peine est un peu élevée, concède aujourd'hui l'avocat Me Foued Cheikh Zouali, à l'origine de la plainte contre les deux blogueurs. Je m'attendais à trois ou quatre ans de prison." Professeur en "droit de l'homme et libertés publiques" à la faculté de Sousse, l'avocat est connu ici pour ses liens avec l'ancien régime. Ce qu'il dément vivement. Il reçoit dans son bureau à Mahdia, petite ville côtière au sud-est de Tunis, où se sont déroulés les faits deux ans plus tôt.

Derrière une pile de dossiers amoncelés sur son bureau, il raconte qu'à l'époque, un citoyen "est venu [lui] montrer des dessins distribués devant la faculté de Gestion". Des tracts sur lesquels figuraient des caricatures et des textes critiquant l'islam, mais aussi d'anciens collègues avec lesquels Ghazi et Jabeur avaient eu un différend. L'avocat dit avoir décroché son téléphone pour demander des explications à Jabeur, qui l'aurait insulté. L'affaire devient "personnelle". Il découvre alors des caricatures et des textes diffusés en ligne, dont "L'illusion de l'islam", de Ghazi Beji, illustré par Jabeur Mejri. "Ils avaient des idées plus graves que je ne pensais. Personne ne peut toucher à la liberté de conscience, mais c'est un crime d'insulter la religion des autres. Il ne faut pas confondre liberté d'expression et anarchie", estime Me Foued Cheikh Zouali.

"Un lavage de cerveau"

"Le procès n'était pas équitable. Il y avait une forte pression salafiste à l'époque", s'insurge Me Bochra Bel Haj Hamida. En première instance, Jabeur n'était pas représenté par un avocat. En appel, la demande d'expertise médicale par la famille n'a pas eu de suite. Les deux militants athées ont écopé de la peine maximale pour chacun des trois chefs d'accusation : "atteinte aux bonnes moeurs", "outrage à l'ordre public" et "offense à autrui via les réseaux publics de communication". En vertu de lois vivement dénoncées par les ONG de défense des droits de l'homme.

Aucune des deux familles ne connaissait la teneur de leurs activités sur Internet, ni leurs convictions religieuses. Issu d'un milieu plutôt conservateur, Jabeur Mejri, diplômé en anglais, voit les années de chômage défiler. Pour sa soeur, Ines, 27 ans, cela explique en partie ce rejet de l'islam. Elle accuse aussi Ghazi Beji de lui avoir fait "un lavage de cerveau", comme si cela était plus facile à accepter, comme si Jabeur n'avait pas déclaré et écrit dans une lettre envoyée au comité de soutien qu'il était "athée" et "non-croyant", s'excusant plus loin auprès des "musulmans s'il y a une insulte envers leur messager sacré". "Il se sent coupable maintenant. Il a fait une erreur", tranche l'étudiante en comptabilité, qui ne porte pas le voile. Un temps la famille a pensé à déménager, mais les soeurs assurent que maintenant "les voisins sont solidaires".

La liberté d'expression se définit en fonction du temps et du lieu

"Au début, on vivait dans la terreur. On pensait vendre la maison, déménager pour aller vivre ailleurs, se souvient Mahmoud Beji, le père de Ghazi. Avec le temps, les choses se tassent. Et les salafistes et Ennahda sont au plus bas." Sous la tonnelle du café Malibu, près du petit port de la ville, ce professeur de français à la retraite qui cite Marx, Victor Hugo ou encore La Fontaine sirote un thé à la menthe et parle de religion, d'islam, de laïcité... Il dénonce un "procès de religion". "Leur seul crime est de ne pas avoir compris la religion. L'expliquer aux gens serait mieux que de les jeter en prison", estime ce père "déçu" par Marzouki : "J'ai voté pour lui, pour son statut de militant. La montagne a accouché d'une souris."

En septembre, lors d'une conférence à Washington, Moncef Marzouki a tenté d'expliquer que Jabeur Mejri était emprisonné "pour sa propre sécurité" et qu'il sera libéré "au moment opportun". Des propos réitérés en novembre sur les ondes de France Info. Samir Dilou, le ministre des droits de l'homme et de la Justice transitionnelle, estime que "la surmédiatisation de cette affaire a eu un effet néfaste. La Tunisie est une société arabo-musulmane : s'attaquer au prophète de manière si explicite fait exception ici. La liberté d'expression se définit en fonction du temps et du lieu", tente-t-il d'expliquer, citant comme exemple le départ de Cannes de Lars Von Trier (qui avait expliqué qu'il avait de la "sympathie" pour Hitler avant de présenter des excuses, NDLR).

Réticence

"À chaque annonce de grâce, c'est une torture morale. Je pense qu'il s'agit plus de calculs politiques de la part de Marzouki. Il le libérerait s'il était en campagne électorale", lâche Kawther Zouari, membre du comité de soutien. Créé en avril 2012, il a peiné à mobiliser. "Les personnalités publiques avaient une certaine réticence à défendre le cas de Jabeur au début. Après l'affaire Persépolis [film franco-iranien, diffusé en octobre 2011, à la suite duquel des émeutes s'étaient déclenchées, NDLR], on a commencé à cataloguer les gens entre ceux qui croient en Dieu ou non", détaille Kawther Zouari. Petit à petit, quelques partis politiques ont rallié discrètement cette cause. Les ONG internationales se sont mobilisées. Amnesty International a lancé une large campagne et une pétition, "10 jours pour signer". Tous les 13 du mois, en référence au 13 mars, journée nationale pour la liberté d'Internet, décrétée par Marzouki le 13 mars 2012, un sit-in se tient à Tunis.

"Une grande majorité de la population ne connaît pas cette affaire. Une autre la dénonce parce qu'il ne faut pas toucher à l'islam, admet Kawther. La société n'est peut-être pas encore au stade de comprendre les contours de la liberté d'expression. Mais aujourd'hui, c'est Jabeur ; demain, qu'est-ce qui nous dit qu'il n'y aura pas de condamnations à cause d'un tweet comme dans les pays du Golfe ?"







http://jabeurghazifree.blogspot.fr/2013/04/des-nouvelles-de-jabeur-prisonnier_23.html

http://www.10jourspoursigner.org


http://www.tunisienumerique.com/tunisie-mardi-13-mars-decrete-journee-nationale-pour-la-liberte-dinternet/111604

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Commentaires (9)

  • jorova

    Ah lala ! Il y avait des problèmes de religion entre ceux qui croient qui étaient déjà compliqués, maintenant il y en a aussi pour ceux qui ne croient pas, on est pas rendu !

  • y

    N'exagérons pas. Cela ne mériterait pas en France 7 ans de prison. La liberté de croire ou de ne pas croire devrait être universelle puisque toutes les religions prétendent détenir "la VÉRITÉ". Donc certaines doivent se tromper. Si Dieu, quel qu'il soit, existe bien. Laissons les humains tranquilles dans ce domaine. Ne pas croire ne mérite en aucun cas la prison. C'est une atteinte aux droits de l'homme.

  • tiopere1

    C'est un droit absolu qui n'a qu'un limite, il ne doit pas s'attaquer aux martyrs assassinés par des barbares comme le fait M'bala avec son ananas pour se moquer des victimes de la shoah, pas plus que l'on a droit de plaisanter sur l'esclavage. On peut par contre se moquer de toutes les religions et des cotés ridicules de certains dogmes, sans encourir des peines de prisons voire mème la mort pour apostasie.